Comment prétendre refonder le parti, sans nommer ses failles ?
Ces failles, pourtant, ne sont pas invisibles — elles sont simplement tues.
Depuis plusieurs années, Québec solidaire semble se résigner à un certain pragmatisme gestionnaire, hérité de la dernière campagne électorale. Le moment de la « taxe orange » en fut le symbole : un repli sur une posture défensive, où l’on cherche à rassurer plutôt qu’à convaincre, à ménager l’opinion publique plutôt qu’à la transformer.
Au lieu de pointer les véritables responsables du déséquilibre fiscal — les multinationales, les grandes fortunes, les profits indécents —, on a choisi la prudence du calcul, au détriment du courage politique. C’est là que s’est amorcée la dérive : celle d’un parti qui se veut radical dans ses idéaux, mais modéré dans ses gestes.
À cela s’est ajouté un glissement démocratique plus profond. Le Comité national de Saguenay a été un moment révélateur : une tournée des régions qui devait nourrir un grand débat collectif, mais dont le rapport n’a jamais été présenté aux membres. Ce processus, transformé en déclaration programmatique rédigée à huis clos, illustre un malaise croissant : celui d’un parti qui consulte sa base sans réellement lui confier le pouvoir de décider.
Ce déficit démocratique s’est aussi reflété dans la réactualisation du programme. On a produit un « manifeste des travailleurs », certes bien intentionné, mais vidé de sa teneur politique. On a refusé de nommer les rapports de force, les classes sociales, les logiques de domination qui structurent le capitalisme. On a parlé de précarité, sans parler de profits. D’écologie, sans parler d’exploitation.
Comme si la transformation sociale pouvait se faire à coût neutre, sans conflit avec le capital.
Et que dire de nos structures internes ? L’élection des porte-parole au suffrage universel, présentée comme un geste de démocratisation, reproduit en réalité les biais du système médiatique. Elle favorise les figures déjà connues, celles qui disposent de réseaux, de visibilité et de ressources financières — bref, celles qui peuvent se permettre de faire campagne. Cette logique exclut de fait une grande partie des militant·e·s de terrain, pour qui la politique se vit dans l’action, pas dans la communication. Elle transforme ce qui devrait être un exercice d’émancipation démocratique en un concours de notoriété.
Enfin, le repli du parti sur lui-même, sur sa seule scène nationale, mine la portée de notre projet. Québec solidaire parle trop peu du nécessaire travail commun avec la gauche du reste du Canada, alors même que toute lutte pour l’indépendance populaire se heurtera au pouvoir du capital financier et à l’appareil fédéral.
Nous parlons trop rarement aussi de la gauche internationale, de ces mouvements populaires et écosocialistes qui, partout dans le monde, affrontent les mêmes ennemis : la spéculation, la privatisation du vivant, le démantèlement du droit du travail.
Or, sans solidarité transnationale, sans alliances concrètes avec ces luttes sœurs, notre projet de transformation demeure prisonnier de ses frontières — condamné à n’être qu’une réforme locale d’un système globalement injuste.
Ce sont ces angles morts, ces renoncements successifs, qui expliquent aujourd’hui la fatigue militante et le sentiment de déconnexion. Refonder le parti, ce n’est pas seulement changer de ton ou de visage : c’est d’assumer et d’ouvrir les débats qui ont été refermés trop tôt, et redonner sens à ce qu’une « gauche de rupture » veut dire dans les faits.
C’est d’autant plus regrettable que la direction actuelle, parfois au cœur de ces tensions, a balisé le débat — peut-être par peur de froisser les esprits ou « donner l’impression » que les séquences turbulentes des derniers mois sont choses « du passé ».
Sans regard critique sur soi, il est difficile d’avancer. Difficile aussi d’éviter de répéter les mêmes erreurs.
Une course qui peine à mobiliser
Soyons honnêtes : cette course ne soulève pas les passions. Elle demeure confidentielle, peu médiatisée, et encore trop distante de la base militante. Pourtant, elle aurait pu être un moment fort de réflexion et de réappropriation collective — un temps pour redonner souffle au projet solidaire.
Au lieu de cela, on assiste à un exercice convenu, sans véritables débats politiques. Comme si la recherche du consensus devait remplacer la confrontation d’idées. Ce silence traduit moins une sérénité qu’un essoufflement : celui d’un parti qui s’éloigne peu à peu de sa vocation de rupture pour s’enfermer dans les logiques institutionnelles.
Une course porteuse d’avenir aurait dû poser les vraies questions : comment refonder la démocratie interne ? Comment renouer avec les luttes populaires ? Comment rompre, concrètement, avec le modèle néolibéral qui détruit le vivant et fragilise nos solidarités ? Ces débats n’auraient pas divisé le parti : ils l’auraient revivifié.
Trois approches politiques, trois visages d’une même recherche de sens
J’ai perçu trois visions distinctes, chacune apportant une pièce du puzzle, mais aucune d’entre elles ne propose une réponse complète au moment politique que nous vivons.
La première vision mise sur l’imaginaire du rêve, de l’audace, de la créativité politique. Elle invite à retrouver l’enthousiasme des débuts de Québec solidaire — ce souffle de liberté et d’espoir collectif qui avait su inspirer bien au-delà des cercles militants. Cette approche parle à ce qu’il y a de plus noble dans la gauche : la conviction que l’action politique peut encore transformer le monde, que l’espérance est un moteur de changement.
Mais rêver ne suffit pas si les conditions matérielles de l’espérance ne sont plus réunies. Pour espérer collectivement, il faut pouvoir se loger, se nourrir, se soigner, respirer. Sans cela, l’appel à « l’audace » devient une incantation — belle, certes, mais détachée du réel vécu par la majorité.
Le discours s’appuie sur des propositions comme la taxation des riches, des banques ou des grandes fortunes. Ce sont des mesures justes, nécessaires, mais qui font aujourd’hui consensus au sein de Québec solidaire. Elles ne définissent plus à elles seules une orientation politique. Elles atténuent les excès du capitalisme sans jamais en remettre en cause la logique centrale : celle de la marchandisation du monde et de l’accumulation infinie. Autrement dit, on en ressort inspiré, mais pas outillé. Le rêve n’est pas encore devenu stratégie.
Et puis, il y a ce silence qui dérange.
Celui sur la compatibilité avec le Parti québécois.
Non pas qu’une tendance soit elle-même complaisant envers des idées réactionnaires — loin de là, soyons clairs. Cependant, depuis plusieurs années, le PQ s’est habitué à un discours qui franchi les lignes rouges : un nationalisme identitaire, qui exclut et qui divise plus qu’il n’unit.
Lorsqu’on demande jusqu’où ils seraient prêt à aller dans une éventuelle alliance avec un PQ dans le camp du « oui » qui continue de tolérer ces dérives, la réponse se fait attendre. Toujours. Et ce silence, à force de durer, finit par dire quelque chose.
À quel moment trace-t-on la ligne entre ouverture stratégique et compromission politique ?
Si un référendum sur l’indépendance devait s’organiser demain, sur quelle base et avec qui le mènerait-on ? Avec un PQ incapable de condamner clairement le racisme ou la xénophobie lorsqu’ils se glissent dans ses rangs ?
Ces questions ne sont pas accessoires : elles sont centrales pour une gauche qui veut bâtir un projet émancipateur, décolonial et inclusif.
Cette première vision émeut, sans doute. Elle ranime le goût de croire en un Québec plus juste, plus humain. Mais elle contourne la conflictualité du moment politique. Elle inspire, mais ne confronte pas. Et dans une période où les droites sont en ascension et où le débat public est de plus en plus polarisé, une gauche qui n’ose pas nommer ses adversaires politiques finit par devenir inoffensive
La seconde vision, elle, incarne davantage la continuité de la ligne actuelle du parti. C’est celle qui prône « l’unité », la « modération du ton » et la « cohésion interne ». Dans un parti parfois fracturé, cette approche part d’une intention sincère : éviter la division, maintenir le dialogue, préserver une image publique stable. Elle valorise la civilité et la prudence, deux qualités trop souvent absentes de la gauche.
Mais sans un diagnostic lucide des échecs récents, la continuité devient inertie.
Depuis plusieurs années, QS peine à faire entendre sa voix. Nous plafonnons dans les sondages, oscillant autour de 6 %. Le discours électoral se dilue dans le bruit ambiant. Les militant·e·s, eux, s’épuisent, faute d’avoir l’impression de peser réellement sur les orientations du parti. La démocratie interne s’est affaiblie au fil des processus de « réactualisation » du programme, vidés de débats substantiels.
Face à ce constat, l’appel à « l’unité » ne suffit pas.
L’unité, oui en principe — mais autour de quoi ? Autour d’un projet commun clair, d’une stratégie partagée, d’une vision de société. Pas autour d’un silence poli ou d’une discipline imposée d’en haut.
Lorsque l’unité devient un objectif en soi, elle se transforme en prétexte pour éviter les débats de fond : ceux sur le rapport au pouvoir, sur la place du parti dans les luttes sociales, sur la stratégie indépendantiste ou encore sur la transformation de l’État.
Cette vision a le mérite d’être rassurante, de vouloir protéger le parti de la division. Mais elle peine à rallumer la flamme. Elle ne parle pas au cœur des militant·e·s fatigués ni à la base qui cherche un sens à son engagement.
Dans un contexte de crise sociale et écologique profonde, cette prudence risque de ressembler à une forme de conservatisme organisationnel. Et c’est une ironie tragique : une gauche devenue conservatrice d’elle-même.
La troisième, enfin, quant à elle, incarne une gauche sincère, humaniste et profondément animée par le désir de rassembler. C’est une approche portée par de belles intentions, une foi dans la bienveillance et la capacité de dialogue. Mais à mes yeux, dans le contexte actuel, cela ne suffit plus.
Nous traversons un moment charnière : la droite est décomplexée, elle se structure, et occupe sans gêne le terrain médiatique, culturel et politique. Les droites — et leurs relais — avancent avec aplomb, pendant que nous hésitons encore à assumer pleinement notre radicalité. Dans ce contexte, une gauche douce, trop conciliante, risque d’être perçue comme désarmée.
Ce qu’il nous faut aujourd’hui, plus que jamais, c’est une gauche qui s’assume, qui parle fort, qui bouscule, qui confronte les fausses évidences et les conforts du statu quo. Une gauche qui n’a pas peur d’être en désaccord ni d’être jugée « trop radicale » par les gardiens de l’ordre établi. Les temps exigent de la fougue, de la vigueur, de la répartie — pas seulement de la bonté et de la bienveillance.
Sans cette combativité, nous risquons de devenir une force morale sympathique, mais inoffensive. Or, le moment historique que nous vivons nous commande autre chose : une gauche vivante, insurgée, capable de dire non avec force — et d’incarner, par son audace, la possibilité d’un autre monde.
Un moment politique critique
Au-delà des personnes, c’est le contexte qui devrait nous préoccuper.
Le Québec vit une montée rapide des droites — certaines se disent modérées, d’autres ne se cachent même plus. Les médias dominants, eux, oscillent entre complaisance et défense du statu quo.
Pendant ce temps, Québec solidaire stagne à 6 % dans les sondages.
C’est effarant : nous sommes, 19 ans après notre fondation, aux mêmes niveaux qu’à nos débuts.
Certes, il reste une éternité politique avant octobre 2026. Mais si la tendance se maintient, nous risquons non seulement de perdre des député·es, mais aussi de perdre le sens même de notre projet collectif.
Et ça, ce serait plus grave encore.
Cette course devrait être un wake-up call.
Un moment pour repolitiser notre parti, rouvrir le débat stratégique, reconnecter QS à sa base populaire, syndicale, communautaire. Un moment pour redonner du souffle à la gauche — une gauche de rupture, vivante, enracinée.
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