Il faut tout de même l’avouer : ça ne va plus très bien dans les hautes sphères. On a beau s’isoler en montagne loin de la rumeur populaire, le très mauvais état du monde continue à inquiéter dangereusement.
Cela se reflète dans le contenu de certains ateliers et conférences qui ont été donnés. L’un d’entre eux, intitulé Faire des affaires correctement, prétend qu’il faut considérer l’avancement des valeurs positives, et pas seulement s’en tenir à faire des profits. Toute une preuve de perspicacité, avouons-le !
Le problème de Big Brother et de l’espionnage illimité inquiète grandement. Celui du chômage, surtout chez les jeunes, aussi. La destruction de l’environnement fait l’objet de quelques préoccupations : on s’alarme autant du mauvais état des océans que des effets du réchauffement climatique (auquel il faut savoir « s’adapter », titre l’un des ateliers.)
Des problèmes plus ciblés sont évoqués : la bulle de près de 14 trillions de dollars en prêts pour les étudiants aux États-Unis, alors que les diplômés ont de plus en plus de difficultés à trouver des emplois dans leur domaine de compétence. Ou encore, l’avenir de la Suisse, après l’élimination du secret bancaire, que l’on semble considérer comme un fait accompli. Hérésie suprême : l’Amérique du Sud gauchiste est considérée comme un modèle, par sa « croissance inclusive ».
Davos serait-il en train de devenir altermondialiste ? N’ayez crainte. D’autres ateliers nous entraînent sur des pistes plus convenues. Le protectionnisme est toujours vu comme le mal absolu auquel il ne faut cesser de s’attaquer. Certes, il faut réglementer davantage, mais il faut aussi déréglementer par derrière, en concluant de nouveaux accords de libre-échange.
La technologie et l’« innovation » sont toujours considérées comme des panacées. À Davos, on ne cesse jamais de rechercher les nouvelles tendances, on suit le sens du vent, peu importe où il nous mène. L’avenir est toujours à portée de la main, et avec lui, d’innombrables « nouvelles opportunités ». Ce n’est pas la faillite du monde et l’accumulation de constats désolants qui empêcheront que l’optimisme soit de mise à Davos, comme le titrait Le Devoir du 22 janvier : dès que des rumeurs de croissance se pointent, les problèmes se règlent d’eux-mêmes et les mauvais nuages disparaissent.
Après tout, pour les participants, le plus important n’est pas d’assister à des conférences déprimantes, mais bien d’alimenter les réseaux de contact. Davos demeure surtout un rendez-vous hyper élitiste auquel seuls quelques 2500 individus triés sur le volet peuvent participer.
Les coûts de la participation d’ailleurs ont de quoi décourager toute personne qui n’est pas très fortunée. Pour fréquenter le Forum économique mondial, il faut d’abord débourser 52 000 $ par année pour être membre. Votre billet pour Davos vaut 19 000$. Débourser 157 000 $ vous permettra d’entrer dans des lieux sélects où les médias ne sont pas autorisés. Et le niveau « stategic partner » vous garantit la confidentialité des échanges pour la modeste somme de 532 000 $. Il faut ajouter à la facture les repas copieux et le coût des chambres exorbitant dans les hôtels luxueux de cette prestigieuse station de sports d’hiver.
Si vous choisissez d’être accompagné, la facture passera à plus du double. L’organisation, nous dit le journal Le Monde, recommande de préférer la compagnie d’une femme, autant que possible, question de « diversifier la liste d’invités ». Comme quoi dans ce repaire de mâles dominants, friqués et rétrogrades, une agréable compagne sera toujours un gentil appât pour vous permettre d’établir de bons contacts.