Édition du 23 avril 2024

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Europe

Europe : le no man’s land démocratique

Billet de Lionel Mesnard, le 24-08-2015

1 - Battre monnaie, un combat démocratique et républicain ?

Il faut remonter à Louis XI, non seulement dans l’édification de l’état nation, et pour que soit mis en circulation l’écu comme monnaie nationale. Ce roi détesté de l’église, aux facéties un peu sordide est pourtant celui qui et donna à la France les bases d’un état moderne. Mieux ses influences sont d’inspirations purement républicaines. Du moins il puisa en Italie et auprès de son banquier, Laurent de Médicis dit le Magnifique, cette construction intellectuelle et de la ville-état et République de Florence.

Quand Louis le onzième arriva au pouvoir, la moitié de l’Europe cent vingt ans auparavant a perdu près de la moitié de sa population, la guerre de cent ans a pris fin, il y a peine deux décennies. L’activité économique vers 1470 était moribonde, le pays manquait de bras, pourtant son impulsion va permettre à ce que la France devienne la première puissance européenne. Dans un premier temps, le nouveau monarque renvoie tout l’entourage ou anciens conseillers de son père et les remplace par des bourgeois, puis il fait augmenter le travail salarié relançant par la même l’activité en panne, il fait venir de la main d’œuvre étrangère (allemande) et le tout en assurant au pays sa souveraineté en faisant battre monnaie.

Si le personnage est étrange, son génie politique est rarement loué. Mais l’objet n’est pas de tresser des louanges, mais de poser quelques interrogations sur la monnaie comme outil fondamental de la souveraineté ?

Nous ne sommes pas encore sortie d’une crise économique systémique, faute de pouvoir disposer des moyens légaux, c’est-à-dire la loi donnant les moyens de combattre cette gabegie financière spéculative et aussi mafieuse. Le fait d’avoir une monnaie hors contrôle des citoyens est non-sens démocratique comme l’a stipulé Yanis Varoufakis dans son entrevue au journal, Le Monde du 22 août 2015 (*) certaines phrases de cette entrevue accompagneront ce billet). Il est difficile de ne pas partager son appel à tous les progressistes européens, et qui plus est son analyse et sa pratique de l’Eurogroupe en dit long sur le rôle tentaculaire de la Commission sise à Bruxelles.

Le petit machin technocratique de conception très française n’a aucune légitimité, mais cela fait des années que ses inspirations sont au seul service du capital et de sa volonté de tout vendre. Sorte de clone de notre système « énarchique », mais puissance 10 en matière de nuisances sociales et autres. La belle idée européenne est aujourd’hui avec cette grosse métastase, décidant du sort d’une masse à précariser ou à appauvrir pour l’enrichissement de quelques transnationales, ou fonds de pension outre-Rhin ou étasuniens, elles aussi sans contrôles citoyens, et dans la vase clos des conseils d’administration et via les paradis fiscaux.

« Il y a une déconnexion radicale entre l’aspiration des citoyens à plus de transparence, de responsabilité, de démocratie, et la réalité des règles européennes, fondées sur l’opacité, et où la démocratie est considérée comme un mot sale. (*)

Sans respect des fondamentaux démocratiques, sans contrat social, sans de véritables contre-pouvoirs, et qui est plus sans monnaie souveraine, je ne sais, s’il faut concevoir un plan B ? Mais l’idée d’articuler un programme en faveur des populations européennes sans distinction de frontière, pour une monnaie au service d’une économie prenant en compte : le vivant, comme valeur première et l’égalité comme principe de base, semble l’objectif à tenir. Le reste est du domaine du comptage de mouton, ou de l’ordre du slogan un peu vieillissant. S’il s’agit de reproduire un vieux schéma bourgeois, de reproduction élitaire, nous buterons à chaque coup sur des ambitions personnelles et des figures de style. Il faut redonner place à une expression collective, il suffirait d’aborder le contenu plutôt que de remplir l’écran ou le ressac médiatique !

« Pour ce, il me semble essentiel de créer un réseau européen de progressistes, au-delà des divisions politiques traditionnelles et des frontières, prêt à poursuivre un objectif radical : démocratiser l’euro et ses institutions. Tous ceux qui sont convaincus que rien de bon ne peut venir des technocrates de Francfort ou de Bruxelles dépolitisant la monnaie, ces hommes tentant de traiter les problèmes politiques comme s’ils se résumaient à des difficultés techniques — ce qui aboutit toujours à des solutions toxiques — doivent s’asseoir et discuter. (*)

J’éviterai de commenter les cassures internes entre militants et appareils de la gauche perdue ou en mille morceaux, c’est hautement pathétique. Il suffit de tomber sur certains articles critiques ou suivre un peu le cours de l’actualité des futures et proches élections régionales. Cela a tous les aspects d’un préau d’école, spectacle de chamailleries diverses et de comment je tire ou je retourne ma veste ! Et victoire absolue pour les entre deux chaises, les suivistes et les girouettes… Je me rassure en me disant que le problème n’est pas qu’hexagonal... Si la démocratie se limite à vouloir afficher sa binette le temps d’un scrutin, nous ne sommes pas sortis de l’impasse. La mascarade est à son comble. L’essentiel est ailleurs, ou comment mettre un arrêt au mouvement engagé vers une vassalisation rampante des états, la Grèce faisant office de laboratoire d’essai.

« Si la Grèce tente, en dépit du bon sens et des lois élémentaires de l’économie, d’appliquer ce mémorandum et les réformes qui l’accompagnent, elle courra droit au Grexit. Car ce programme est conçu pour faire sombrer notre économie. Résultat : nous ne pourrons pas tenir nos engagements, et le docteur Schäuble pourra nous pointer du doigt et couper les aides au pays. Le Grexit est très clairement l’objectif qu’il poursuit. (*)

2 - Le temps des vaches maigres ne fait que commencer !

Donc, celui que qualifie une journaliste du Monde « d’économiste trublion » et je vous passe les adjectifs creux qui lui sont accolés. Ses réponses sont non seulement d’une grande clarté et en plus il esquisse des solutions, et nous prévient, sur ce qu’envisage le docteur Schauble comme perspectives aux états nations et leurs peuples et à la France en particulier. La baisse des impôts annoncée pour 2016 est de ce registre. Cela vise à un affaiblissement de l’Etat. Plus il sera faible et impuissant à ramasser l’impôt, nous nous retrouverons comme les Grecs dans l’impossibilité de le faire car sous le diktat ultra-libéral. François Hollande est l’allié objectif de l’oligarchie financière et son relais local, au pays des cyniques, les tartuffes se bousculent. Sapin, Moscovici, Hollande ont su apparemment démontré leur inexistence politique et leur absence de dessein pour l’avenir. Quand l’objectif du ministre allemand de l’économie est bien celui-ci :

« Pour atteindre la France. L’Etat-providence français, son droit du travail, ses entreprises nationales sont la véritable cible du ministre des finances allemand. Il considère la Grèce comme un laboratoire de l’austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d’être exporté. La crainte du Grexit vise à faire tomber les résistances françaises, ni plus ni moins. (*)

Le temps des vaches maigres n’est pas prêt de finir. Le risque d’un nouvel effondrement des bourses mondiales pointe son nez. La chute de 8% de la bourse de Shanghai, ce lundi 24 août 2015, ressemble ou se présente-t-il comme un nouveau « lundi noir » ? « Pour avoir écrit ici le 4 février dernier (…) qu’une nouvelle crise économique mondiale menaçait, et en avoir révélé les signes avant-coureurs, j’ai déclenché d’innombrables ricanements. L’analyse est encore plus vraie aujourd’hui : le monde s’approche d’une grande catastrophe économique. Et personne n’en parle. » C’est ainsi que débute le dernier article du 17 août de Jacques Attali sur son blog avec le titre : La crise, Acte 2. J’avais aussi en ce début d’année, dans mon bloc-notes remarqué cette nouvelle grosse bulle spéculative autour de l’immobilier chinois. Depuis quelques années ce type de crise est devenu cyclique et sur un rythme moyen d’une tension par décennie.

La prochaine vague est en route et le mouvement à tendance à s’accélérer, c’est-à-dire un peu plus court dans le temps, et plus puissant d’une crise à une autre en intensité. Sans pouvoir prévoir quand ? parce que ni économiste, ni devin, néanmoins le phénomène est devenu régulier depuis 1987, suivit de 1999-2001, puis 2008. Une nouvelle crise systémique augurerait d’une récession mondiale et un ralentissement des économies avec à la clef une croissance atone, voire nulle. Jacques Attali donne quelques arguments pour comprendre, que l’année 2008, pas encore digérée et ayant poussée à l’endettement des économies occidentales, se trouve sans levier, ou pas de baisse des taux d’emprunts possibles, car déjà au plus bas, le pire est donc en perspective.

Si l’on croise en plus avec la situation politique générale, l’Europe est rongée par les oligarchies financières et ses logiques et appuis technocratiques bruxellois, poussant les citoyens et travailleurs au désarroi. Nous trouvons face à nous un « no man’s land » démocratique. Pareillement, le cynisme et la complicité de nos gouvernants face aux marées humaines fuyant la guerre est inconcevable. Ils dissertent sur les droits de l’homme quand chaque jour des milliers d’êtres crèvent à petit feu. Nous ne sommes plus au stade de politiques d’exclusions, mais face à des politiques criminelles de non-assistances à personnes en danger de mort.

Par l’absence de politiques claires, et combatives, d’une démocratie véritable à l’échelon national ou européen, le seul sursaut est dans la construction d’un grand réseau européen citoyen organisé et solidaire, pour la construction d’un programme radical au service de notre humanité souffrante. Car si à chaque crise chez nous le chômage augmente, à l’autre bout de la planète cela se solde par une augmentation de l’extrême pauvreté, soit plus d’un milliard d’individus, avec moins de un euro jour. Avec de fortes probabilités comme en 2008 de nouveau des milliards vont partir en fumée. 30 à 40.000 milliards de dollars ont ainsi volé en éclats la dernière fois, soit de quoi assurer les 750 milliards annuels pour éradiquer la pauvreté sur la planète sur plusieurs décennies. Il va falloir choisir, car ce capitalisme prédateur et destructeur est en la cause objective. Ce sera en bout de course la fin de l’humanité pour le siècle suivant et crises sur crises pour le siècle en cours.

Comme l’a dit un député socialiste dans une entretien récent, la Révolution française n’est pas encore achevée, et l’enjeu comme je l’avais déjà stipulé reste démocratique et urgent. Sauf que, tant que l’on minimisera la problématique universelle et citoyenne à des enjeux de pouvoirs et des logiques de reproductions sociales, oui Jean Christophe Cambadélis à bien raison de penser que le risque de guerre civile se profile. Sauf que l’unité n’y suffit plus, surtout à ce jeu de dupe ou de ripolinage de la devanture. Le débat pour un progrès consenti est ouvert et il importe que le plus grand nombre se l’approprie. Je retiendrai à ce propos que dans ses dernières entrevues, Yanis Varoufakis rappelle que le problème n’est pas de savoir qui sera leader, mais ce qu’il y à faire pour construire une alternative crédible ne pliant pas devant l’inertie actuelle.

Ce n’est qu’un début continuons le débat ! Je vous renvoie à un texte programmatique de Yanis Varoufakis sur l’Europe de mars 2015 : CLIQUEZ ICI !

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