Édition du 23 avril 2024

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LGBT

Le militantisme LGBTQ+ en mutation au Québec

De la légalisation du mariage homosexuel à la prohibition de la discrimination basée sur l’identité de genre, le Québec aura connu, à travers les décennies, des avancées sociales, politiques et légales majeures pour les personnes LGBTQ+. C’est bien souvent des militants – LGBTQ+ ou pas – qui auront porté à bout de bras ces causes, risquant parfois leur carrière, leur réputation et leur vie afin que les personnes LGBTQ+ puissent être reconnues, acceptées et protégées. Toutefois, le militantisme d’aujourd’hui s’apparente-t-il au militantisme d’antan ? Qu’est-ce qui distingue le militantisme LGBTQ+ en 2024 ?

PHOTO : Line Chamberland / Celeste Trianon / Alexe Frédéric Migneault
tiré de Fugues Infolettre , le 2024-04-05

Par Philippe Granger, 29 mars 2024

Alexe Frédéric Migneault ne s’est jamais vraiment considéré comme une personne militante. Cette personne non binaire vivant à Montréal s’est toutefois retrouvée sous le feu des projecteurs à la fin de 2023 pour son militantisme. Depuis de nombreux mois, voire des années, Alexe Frédéric Migneault souhaite que ses documents de la Régie de l’assurance maladie du Québec porte la lettre « X », et non « F » ou « M », ce qu’iel peut légalement exiger depuis maintenant plus d’un an. Après avoir multiplié les démarches infructueuses auprès de la bureaucratie gouvernementale, Alexe Frédéric a décidé d’effectuer des grèves de la faim.

Sa dernière grève de la faim, datant de la fin du mois de novembre 2023, a duré douze jours, et a été largement médiatisée. Cherchant principalement à faire avancer son propre cas, Alexe Frédéric se considère davantage comme « un opportuniste désespéré » plus qu’un militant.

« Je n’avais pas du tout l’habitude de m’impliquer activement dans des causes militantes. L’objectif initial de mes actions était purement égoïste : c’était pour faire débloquer mon dossier à moi, et puis ça s’est élargi au fur et à mesure que je gagnais en visibilité et en soutien. »

Parce qu’aujourd’hui, l’atteinte de l’égalité sur papier est de moins en moins ce qui est visé – de très nombreuses avancées ayant déjà été faites à cet égard -, mais davantage l’application de ces mesures adoptées. Les partis politiques et les instances juridico-politiques reconnaissent désormais tous l’existence et les droits des personnes LGBTQ+, ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant.

«  À l’époque, il n’y avait aucun interlocuteur nulle part. Il n’y avait aucun relais politique. Il fallait se batailler juste pour avoir des interlocuteurs, des interlocutrices, alors que maintenant, il y a un ou une ministre qui est responsable, il y a un bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, il y a l’opposition… », souligne ainsi Line Chamberland, professeure au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de 2011 à 2020.

L’action militante aura permis une reconnaissance des LGBTQ+ aux yeux des politiciens, mais il ne faut quand même pas oublier l’apport (relativement récente) des alliés et alliées, rappelle Line Chamberland : « Une autre grosse différence c’est qu’il y a des alliés. Dans les années 80, il n’y avait pas d’alliés. Ça s’est [développé] petit à petit, [notamment avec] les syndicats, avec la Fédération des femmes du Québec… Ces alliances-là sont encore là, même si des fois j’ai l’impression qu’elles sont moins entretenues. »

Les trans et non-binaires à l’avant-plan

Le militantisme LGBTQ+ actuel porte désormais une attention particulière aux personnes trans et non-binaires, des personnes bien longtemps marginalisées non seulement au sein des instances politiques, mais aussi au sein-même des organisations LGBTQ+.

Si les réalités trans et non-binaires restent encore mystérieuses pour plusieurs, Line Chamberland constate une évolution assez fulgurante de la sensibilisation à ces réalités.

« Les droits des trans et non-binaires ont progressé plus rapidement. [Il reste que] les identités trans et non-binaires ne sont pas toujours bien connues dans la population, même auprès des groupes alliés. »

La mise à l’avant-plan récente des personnes trans et non-binaires mène à un certain ressac. Line Chamberland constate ainsi encore de l’hostilité envers ces personnes. Un phénomène que Céleste Trianon corrobore. Céleste Trianon est une militante trans. Fondatrice et directrice générale du collectif Juritrans, Céleste effectue de l’aide juridique afin de soutenir les personnes trans et non binaires. Selon elle, les hostilités actuelles peuvent parfois miner le militantisme LGBTQ+. « Ce n’est pas une année facile présentement pour faire du militantisme. […] C’est un temps effrayant pour militer, mais c’est un temps plus nécessaire que jamais », clame-t-elle.

«  Je vois beaucoup de parallèles entre aujourd’hui et la crise du SIDA, quand les personnes séropositives étaient vues sous-humains, inférieurs. C’est ça qu’il faut combattre [présentement pour les trans]. »

Si Alexe Frédéric ne va pas jusqu’à comparer la situation à celle de la crise du SIDA, iel considère que des similitudes peuvent être constatées entre la discrimination envers les minorités sexuelles et la discrimination envers les personnes trans et non binaires. «  Le combat pour la reconnaissance des identités de genre non-traditionnelles, c’est clairement une continuité des batailles pour les orientations sexuelles atypiques. C’est exactement les mêmes arguments qui sont utilisés contre nous les personnes trans et non-binaires que ce qui étaient utilisés contre les personnes homosexuelles.  »

Réseaux sociaux : amis ou ennemis ?

Parler des réseaux sociaux comme facteur de changement majeur du militantisme est inévitable. L’arrivée de ces outils de communication ont notamment permis à des militants d’obtenir une plus grande visibilité, mais laissent aussi place à des propos haineux contre les personnes LGBTQ+. Ainsi, c’est afin de préserver sa santé mentale qu’Alexe Frédéric évite les réseaux sociaux « comme la peste ». Cette situation adhère en quelque sorte à son approche militante, Alexe Frédéric considérant qu’il est « plus facile de garder en tête l’humanité d’un sujet quand c’est une personne dans sa totalité que quand c’est 1000 likes. »

«  Les réseaux sociaux jouent un rôle un peu trop important », juge pour sa part Céleste Trianon. « C’est beaucoup plus facile de rejoindre des milliers de personnes à la fois, de faire passer des messages rapidement et efficacement, mais, en même temps, […] les réseaux sociaux demeurent des boucliers de la désinformation qui sont le principal ennemi de la cause trans et des causes LGBT dans le monde en ce moment. »

Des propos que semble soutenir Line Chamberland : « Peut-être que les débats sont plus polarisés aujourd’hui. Les réseaux sociaux, c’est sûr que ça change la manière que se font les débats et la polarisation actuelle ne facilite pas les débats. »

Dans tous les cas, Céleste se fait plutôt optimiste quant à l’avenir des LGBTQ+, et appelle aux militants de ne pas lâcher le morceau. «  Nos communautés ne peuvent pas disparaître. C’est quelque chose que l’Histoire a constaté à de nombreuses reprises. […] Les choses vont éventuellement s’améliorer, c’est sûr, mais ça va nécessiter que nos communautés continuent à revendiquer notre humanité, tant et aussi longtemps que ce sera nécessaire. »

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