Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La plaie du vote stratégique cause des dégâts démocratiques importants

Ainsi, selon ce que M. Jean-François Daoust a écrit sous la rubrique libre opinion dans Le Devoir le 3 avril, le vote stratégique serait en bonne partie un mythe, une vue de l’esprit en quelque sorte.

PAUL CLICHE,
Auteur du livre Pour réduire la déficit démocratique : le scrutin proportionnel

Ayant milité depuis près de 15 ans au sein de partis progressistes souverainistes comme l’Union des forces progressistes (UFP) et aujourd’hui Québec solidaire, je peux témoigner, au contraire, que la manifestation de cette plaie démocratique, induite par le scrutin majoritaire à un tour, produit des résultats antidémocratiques importants. Le vote stratégique a influencé grandement les résultats de scrutins où Québec solidaire avait de bonnes chances d’être élu comme, par exemple, l’élection de 2007 dans Mercier et celle de 2008 dans Gouin. Il risque aussi de faire la différence, lundi, dans Sainte-Marie-Saint-Jacques où la lutte est particulièrement serrée entre Québec solidaire et le Parti québécois.

Mais ce phénomène ne se manifeste pas seulement dans les circonscriptions où quelques centaines de votes séparent les candidats solidaires des candidats péquistes. J’ai pu le constater, ces dernies jours, alors que j’ai fait du porte-à-porte dans le complexe résidentiel où je demeure dans l’Est de Montréal. J’ai alors discuté avec quelques centaines de personnes et je me suis aperçu que plusieurs, ayant voté jusqu’ici pour le PQ, étaient sympathiques au programme de Québec solidaire et admettaient que ses deux députés avaient fait un excellent travail. Mais néanmoins elles m’ont dit ne pouvoir l’appuyer parce qu’elles voulaient éviter l’élection du candidat libéral. Pourtant il s’agit d’une circonscription où le député péquiste a été élu avec une confortable majorité en 2012.

Tirons les conclusions suivantes de ce phénomène bien réel qui n’est pas une vue de l’esprit, loin de là. Le vote stratégique empêche des tiers partis émergents comme Québec solidaire de prendre la place qui devrait leur revenir démocratiquement sur la scène politique québécoise. En les privant de quelques sièges parlementaires stratégiques il freine leur progression. Et en étant généralisé dans plusieurs circonscriptions, ne serait-ce que de façon marginale, il prive le parti d’un financement public substantiel. Cette perte est cruellement ressentie compte tenu du fait que la caisse électorale d’un tiers parti est loin d’être aussi bien garnie que celle des partis traditionnels. Mais c’est la règle d’airain du scrutin majoritaire favorisant le bipartisme qui continue à s’appliquer comme cela a été le cas dans les 40 élections provinciales que le Québec a connues depuis 1867.

La démonstration qui précède ne s’applique pas seulement dans le cas de Québec solidaire. À droite, on constate que des milliers de votes que la Coalition avenir Québec (CAQ) a recueillis en 2012 menacent maintenant de s’exprimer en faveur du Parti libéral par peur de la tenue d’un référendum si le PQ était réélu. Au niveau fédéral c’est la même chose dans le cas du Nouveau parti démocratique (NPD) et du Parti libéral surtout en Ontario et en Colombie britannique. Bien des votes néo-démocrates sont transférés aux libéraux de crainte de l’élection d’un candidat conservateur. Le phénomène est tellement ressenti comme crucial qu’on discute depuis plusieurs années de la fusion possible du PLC et du NPD.

M. Daoust estime de façon conservatrice à quelque 6% la proportion d’électeurs qui votent réellement stratégiques. Mais c’est énorme quand on constate que ce n’est que par 7 571 votes distribués dans 12 circonscriptions que s’est joué le sort des élections de 2012. C’est en effet ce chiffre, ne représentant que douze centièmes de 1% des 4 362 688 votes valides enregistrés dans l’ensemble du Québec, que s’est décidé l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire ou, par contre, un gouvernement libéral minoritaire qui aurait maintenu le PQ dans l’opposition.

Cette analyse permet en effet de constater que le Parti québécois devait récolter 5 784 votes de plus pour être victorieux dans les 9 circonscriptions stratégiques qui lui manquent pour former un gouvernement majoritaire plutôt que minoritaire, soit passer de 54 à 63 députés. Par contre, il ne manquait que 3 209 votes au Parti libéral pour former un gouvernement minoritaire, soit passer de 50 à 53 députés, et ainsi maintenir le PQ dans l’opposition avec 51 députés.

Je conclus en constatant que le texte prétendument objectif de M. Daoust constitue plutôt une opération de révisionnisme teinté d’impressionnisme.

Montréal, le 3 avril 2014

Paul Cliche

Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTIONNEL et membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle.

Il a été responsable du dossier de la réforme des institutions démocratiques à l’Union des forces progressistes (UFP).

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