Édition du 7 mai 2024

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Politique québécoise

Langue française et modèle d'intégration égalitaire

La publication des études de l’Office québécois de la langue française sur la situation de la langue française a soulevé les angoisses habituelles de la minorisation et de l’assimilation. Le Québec serait divisé en deux : dans le Québec hors de la région de Montréal la langue française continuerait d’être largement majoritaire et dans la métropole et particulièrement sur l’île de Montréal elle n’aurait bientôt plus qu’un statut de langue minoritaire.

Les principales conclusions du rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec

Les chiffres qui ont frappé l’imagination, c’est qu’en 2031, la population francophone sur l’île de Montréal serait réduite de 54 % à 47,5 % au niveau de la langue d’usage à la maison. Cela ferait des francophones une minorité linguistique sur l’île. [1]

Les facteurs du déclin du groupe francophone sont clairement identifiés : la sous-fécondité des femmes francophones, une immigration internationale essentiellement non francophone, des pertes migratoires importantes liées à l’étalement urbain qui touche surtout les francophones et enfin le maintien d’un plus fort pouvoir d’attraction de l’anglais sur la population anglophone malgré la réalité majoritaire du français au Québec.

Ce plus grand pouvoir d’attraction a été mesuré. Il s’agit de comparer le différentiel entre le nombre de personnes d’une langue maternelle donnée et le nombre de personnes d’une langue d’usage déterminée. Dans la région de Montréal, la langue d’usage de l’anglais est de 39,6 % plus élevée que le nombre de personnes de langue maternelle anglaise. Pour le français, il y a seulement 5,2% de plus de personnes parlant le français comme langue d’usage que de personnes dont c’est la langue maternelle. Ces chiffres démontrent le pouvoir d’attraction de l’anglais et expliquent la minorisation du français qui se profile à l’horizon. [2]

La deuxième caractéristique de l’évolution démographique est la forte augmentation du groupe allophone. Cette situation est liée à une fécondité plus élevée, à une mortalité plus basse que celle de la population d’accueil. Entre 1971 et 2006, le nombre d’allophones était passé de 11 à 22 % de la population de l’île de Montréal et les études prévoient qu’en 2031, ces derniers formeraient environ 30% de la population utilisant une langue tierce à la maison.

Le groupe anglophone pour sa part a connu une légère hausse, à cause de la migration vers la couronne d’un certain nombre d’anglophones et la diminution des pertes migratoires interprovinciales qui ont permis le maintien du pourcentage du groupe francophone.

Ces faits amènent plusieurs en envisager un déclin inéluctable du groupe francophone non seulement à Montréal, mais dans l’ensemble du Québec. L’évolution linguistique mettrait en danger la langue française comme langue officielle. Alors que seulement 30% des allophones s’assimilent à la communauté francophone, démontrer que l’anglais a un pouvoir d’attraction sans commune mesure avec le nombre d’anglophones natifs.

Angoisse de la minorisation et développement de fausses solutions

Cette angoisse devait suffire à nourrir de fausses solutions. Après le PLQ, le Parti québécois envisageait de réduire le nombre d’immigrants qu’il fallait accueillir. Yves-François Blanchert, député péquiste de Drummond affirme péremptoirement, sans toutefois vouloir définir un quota, que 50 000 immigrants c’est trop et que les structures d’accueil et de francisation sont insuffisantes et inefficaces. Voilà pourquoi Montréal s’anglicise. Legault et l’ADQ enfourchent le même raisonnement, mais plus fermement. Il faut diminuer le nombre annuel d’immigrants à 45 000 pour les deux prochaines années. D’autres parlent d’une réduction de ce nombre à 35 000.

Les bases d’une orientation intégrationniste

Pour rompre avec l’angoisse de l’assimilation et dépasser la vision de l’immigration comme étant essentiellement une menace à la langue française et au peuple québécois, il faut définir une nouvelle perspective nationale. Le Québec est un peuple francophone, dominé par des intérêts économiques étrangers américains et canadiens-anglais. Il est opprimé par un État canadien qui ne le représente pas. L’indépendance, c’est d’abord le projet de construire un état souverain cherchant à adopter des politiques d’égalité sociale et politique. L’indépendance vise donc à donner au peuple québécois, tous les pouvoirs pour lui permette de résoudre les questions centrales de la société québécoise : redistribution des richesses, dépassement des inégalités sociales, protection de l’environnement, extension de la démocratie participative et décentralisation du pouvoir. C’est dans un tel cadre que doit être posée la lutte pour la défense de la langue française.

La défense de la langue française dans la société québécoise dans la durée implique une intégration réelle de la population immigrante. Et cela doit dépasser la simple volonté de francisation. La défense active et militante de politiques favorisant l’égalité de droit et de fait des nouveaux arrivants doit être au coeur d’une politique d’intégration. Elle constituera un puissant incitatif au ralliement et à l’attachement à la langue française. Cette orientation repose l’idée que l’intégration linguistique de cette population au Québec francophone sera d’abord liée à une intégration socio-économique réussie réalisant une aspiration à une vie meilleure. L’intégration doit être abordée avant tout comme une problématique sociale et économique.

Quels sont les axes et revendications faut-il mettre de l’avant dans ce cadre ?

a. la langue de travail est au centre de cette perspective.

"Le taux de chômage des immigrants de 25 à 54 ans établis depuis moins de cinq ans au Québec est près de trois fois supérieur aux natifs.... Les immigrants (du même groupe d’âge nés en Afrique et établis au Québec depuis moins de cinq) avaient, en 2007, un taux de chômage de 27,1% soit plus de 4 fois supérieur a celui des Québécois nés au Canada (6,3 %). [3]

Il faut d’abord assurer un accès égal aux ressources communes que sont le travail et l’éducation. L’accès égalitaire au travail est donc l’axe principal autour duquel doit s’articuler une politique linguistique. Car c’est dans un milieu de travail partagé, dans la défense collective visant l’amélioration d’un tel milieu que se crée le lien permettant la construction d’une identité partagée. Cela implique le développement d’une ouverture aux différences culturelles. L’égalité sociale dans l’accès au travail et la défense collective d’un milieu de travail respectant les droits de la majorité travailleuse favorisent l’apprentissage de la langue commune. Le soutien à la francisation dans les entreprises tant de 50 employés-e-s et plus que dans celles de cinquante employé-e-s et moins sera un facteur permettant la cohésion et la solidarité face à la défense de la majorité des personnes oeuvrant dans un tel milieu. La défense de l’intégration au travail passe par la reconnaissance des diplômes, des acquis expérientiels et par des formations favorisant la préparation à l’emploi et à l’insertion socio-professionnelle. L’identification des obstacles à l’intégration trace les tâches qui sont devant les forces qui veulent favoriser cette intégration : - mesures pour faire reconnaître l’expérience acquise à l’étranger, soutien pour surmonter les problèmes liés à la langue en milieu de travail, remises en question des règles régissant l’accès aux métiers et aux professions règlementés, mise à niveau des compétences, lutte contre la précarisation générale de l’emploi, renforcement des réseaux sociaux soutenant les personnes immigrantes, dénonciation des discriminations de tout genre. [4]

La concentration de l’immigration à Montréal tient à des raisons économiques et sociales... et particulièrement au non-recrutement d’immigré-e-s par les administrations publiques à tous les niveaux. Mais ce non-recrutement lui-même est lié non seulement à des mesures discriminatoires, mais également aux politiques de coupures du personnel dans les différents ministères. Des politiques de luttes contre ces coupures le plus souvent liées à la privatisation de secteurs entiers de l’appareil d’État sont nécessaires et poseraient, liées à des mesures d’accompagnement des personnes immigrantes en région, les conditions du dépassement de la situation actuelle. Et ce ne sont là que des exemples de ce que signifie lier la lutte pour l’intégration véritable à la langue française dans une perspective égalitariste.

b. Dépasser la francisation sous pression par des mesures favorisant la réussite et la diplômation des enfants d’immigrants à l’école.

Il faut favoriser un accès égal aux ressources en éducation. Et cela signifie qu’il faut tenir compte des conditions qui nuisent à cet accès comme à la réussite scolaire et mettre en place des mesures favorisant le dépassement des difficultés propres à une population devant être soutenue dans son parcours scolaire à cause des difficultés de réussir créées par la méconnaissance de la langue. Il faut diversifier les formules permettant l’intégration et la réussite : classes d’accueil, immersion en classe ordinaire avec soutien linguistique... Il faut que l’école soit transformée pour pouvoir fournir "des interventions adaptées aux clientèles pluriethniques défavorisées, éducation antiraciste, actions liées à l’éducation interculturelle. [5] Toutes ces mesures s’inscrivent dans une logique d’intégration égalitaire. C’est dans la même logique qu’il faut se demander : si les collèges francophones pouvaient garantir les chances de réussites aux jeunes immigrants, ces derniers seraient-ils intéressés ? [6]

" La dimension identitaire ne vient pas en priorité, elle est située dans le prolongement du développement d’un sentiment d’appartenance qui découle du premier attachement au milieu le plus proche. L’attachement qui est lié à un sentiment d’appartenance à une collectivité nationale dans son ensemble se développe dans une phase ultérieure, pas pour tous, à condition que l’identité de cette collectivité puisse être endossée par des personnes qui veulent aussi conserver une part de l’identité avec laquelle ils sont arrivés dans leur pays d’accueil. [7]

Il ne s’agit pas simplement de chercher à "imposer des normes". Car on ne peut dicter des allégeances et des identifications. Il faut plutôt créer les conditions du développement d’un sentiment d’appartenance et d’adoption de la langue française comme langue commune. Ce sentiment d’appartenance et d’allégeance à la langue française ne peut être que le fruit d’un rapport réciproque basé sur le respect mutuel de la diversité culturelle et sur un combat commun pour une intégration égalitaire véritable. Cette orientation permet l’élaboration de nombreuses pistes dont nous n’avons ici donné que quelques exemples.


[1Rapport sur l’évolution de la situation linguistique du Québec, Québec, septembre 2011

[2Lionel Meney, Main basse sur la langue, Liber, 2010

[3Michel Pagé, Politique d’intégration et cohésion sociale, Conseil supérieur de la langue française, mars 2011, page p.31

[4Ibid, Michel Pagé, page 27

[5ibid, Michel Pagé, p. 14)

[6ibid, Michel Pagé, page 20

[7Michel Pagé, page 37

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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