Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Manifeste des survivantes

Manifeste des mères ayant vécu la perte d’enfant(S) dans un contexte d’homicide intrafamilial avec suicide de l’ex-conjoint

Manifeste présenté au gouvernement du Québec
déposé par des mères qui survivent au filicide de leurs enfants. Décembre 2013.
Marie-Paule McInnis
Huguette Archambault
Marie-Hélène Guimont
Martine Bélanger
Caroline Poissant
Nadine Brillant
Rédigé par
Shirley Whittom (M. Sc Psychologie)
Marie-Paule McInnis (B.A. Psychologie)

MOT DES AUTEURES

Le meurtre de nos enfants, par leur propre père, notre ex-conjoint, quelqu’un avec qui nous avons partagé un jour nos vies, notre corps, notre intimité, ne nous a pas laissées que sans voix ; c’est un acte qui nous a tranché la gorge de part en part, nous coupant le souffle, nous coupant l’accès à notre coeur… Il ne nous reste que nos pensées, où tournoient l’absurdité, le surréalisme, le froid de l’existence pure, dénuée de tout sentiment. On pleure et on meurt et, pendant un certain temps, là se résume notre expérience de l’existence. Quand on récupère notre coeur, on pleure et on meurt… Les souvenirs, la culpabilité, le manque, la détresse et le désespoir nous envahissent complètement, nous submergent et on tombe dans une chute qui semble sans fin, sans fond. Puis vient le jour où l’on revoit le monde… dans un corps étranger, où l’on doit cohabiter avec un inconnu, cet autre alter ego prévu pour les scénarios apocalyptiques, que nous ne connaissons pas et qui nous fait peur. A-t-il connu nos enfants ? A-t-il déjà aimé un monstre ? Fait-il confiance au monde ? M’aidera-t-il à vivre ou à mourir ?

Cette réalité peut révéler une part de ce que nous avons à vivre. Ce manifeste est notre cri du coeur. Il est issu de rencontres qui ont eu lieu dans le cadre d’un projet documentaire qui porte sur la réalité interne et quotidienne d’un groupe de femmes ayant vécu le meurtre de leurs enfants par leurs ex-conjoints.

Pour nous toutes, ces actes terribles ont été commis dans un contexte où des procédures légales au sujet d’un ou des enfants et/ou une séparation conjugale étaient en cours. Le manifeste portera principalement sur les constatations et observations de chacune de nous quant aux lacunes du système en termes de prévention du drame (qualité du soutien, des mesures de sécurité, du besoin d’intervenants spécialisés dans des contextes aussi délicats), de même que du soutien et de l’accessibilité des ressources après le drame (par exemple, une reconnaissance de la gravité et de l’impact du geste commis et de la ténacité de ses échos, d’une considération juste et adéquate de l’expérience traumatique – indemnisation adéquate – un soutien psychologique adapté et pouvant couvrir, en termes de durée, la portée du traumatisme dans le temps).

Il est triste de constater que, malgré l’évidence des dommages touchant toutes les sphères de fonctionnement d’un tel acte, les « victimes » sont restées dénuées d’une attention des instances politiques/publiques qui aurait pourtant été légitime et bien fondée. Malgré les récents bouleversements en matière d’indemnisation aux victimes d’actes criminels (projets de loi 22 et 25 modifiant la loi de l’indemnisation aux victimes d’actes criminels) et l’apparente sincérité des « offres » quant aux recours des parents survivants au meurtre de leurs enfants, la timidité du soutien et de l’indemnisation offerte nous oblige à défendre nos droits puisque, étant donné « l’ancienneté » de nos histoires, nous restons malgré tout, non considérées, pour ne pas dire délaissées… Le système de justice nous laissant, encore une fois, loin derrière…

Ainsi, en tant que mères d’enfants assassinés, nous prenons position en formulant quelques recommandations et revendications et, à ce titre, nous demandons la considération de ces demandes par un examen sérieux, conséquent à la gravité de la problématique dont il est ici question.

Nous gardons espoir que vous entendrez et comprendrez l’importance de ce cri du coeur de parents qui survivent à l’innommable.

PRÉCISION

Dans notre groupe, les responsables de l’assassinat de nos enfants sont les ex-conjoints, qui sont les pères biologiques de ces derniers. La raison pour laquelle nous nous arrêtons à cette dynamique particulière n’est pas de nature discriminatoire, mais est plutôt issue de notre vécu spécifique. Car, dans l’ensemble des victimes d’actes criminels, il y a les survivants de drames familiaux et dans ce sous-groupe, il y a aussi plusieurs sous-types (parricide, matricide, familicide, filicide, néoticide, etc.).

Dans les filicides en particulier, il y a aussi plusieurs sous-groupes : ceux commis par des femmes, ceux commis par des hommes, ceux suivis d’un suicide ou non. Les motivations peuvent en effet varier en fonction des genres (Dubé et al. 2004 ; Dubé, 2008 ; Léveillée et al., 2007 ; Martin-Borges, 2006).

Donc, étant donné la complexité et l’importance des variables mises en cause, nous nous sentons aptes à n’aborder que le cas de figure de filicides commis par des pères dans un contexte de séparation difficile où des procédures légales étaient engagées (ou appréhendées dans un avenir proche). Le contexte concerne toutes les signataires de ce manifeste.


NOS DEMANDES

I. Reconnaissance du statut de victime par l’IVAC

II. Une indemnisation de 50 000 $ par enfant assassiné, montant rétroactif jusqu’en 1972

III. De l’aide psychologique et psychiatrique à vie

IV. De l’aide à l’intégration à l’emploi

V. Simplification du processus et meilleur accompagnement de la part du réseau CAVAC

VI. Respect total des exigences du parent survivant quant à la disposition des dépouilles des enfants assassinés

VII. Une meilleure formation et concertation des intervenants sociaux et judiciaires en matière de violence conjugale, particulièrement de la DPJ

VIII. Transfert de la succession du meurtrier au conjoint survivant ou à la famille de ce dernier, une mesure dissuasive

IX. Révision des politiques d’intervention de la DPJ

I. DEMANDE : RECONNAISSANCE DU STATUT DE VICTIME PAR L’IVAC

Selon la loi de l’IVAC, le parent dont l’enfant a été assassiné par l’ex-conjoint n’est par reconnu comme une victime. Or, selon le Code criminel, une victime est une personne qui, après la commission d’un acte criminel, vit des conséquences physiques, psychologiques, sociales, émotionnelles. C’est ce que nous vivons toutes, profondément, à chaque seconde de notre existence.

Nos enfants ont été victimes d’homicide, c’est un fait. Les ex-conjoints qui tuent leurs enfants commettent un acte criminel sur nos enfants, mais aussi envers nous. En tuant nos enfants, c’est nous que les assassins visaient. Pourquoi et comment est-il possible de ne pas considérer un élément si probant ? D’autant que ces meurtres ont été commis à la suite d’un élément déclencheur dans lequel nous étions impliquées (séparation conjugale, procédures judiciaires/légales pour la garde des enfants), et faisant suite à plusieurs menaces sérieuses de la part de nos ex-conjoints.

La présentation de la Dre Isabelle Gaston à la Commission des institutions traite de cette notion du statut de victime. Tous les parents ayant perdu leurs enfants, ici dans un contexte d’homicide, vous diront : « J’aurais préféré être tué… » ou « Arrachez-moi les yeux, les bras, les jambes, les entrailles, etc., ce ne sera jamais pire… ». Si être tué en tant qu’enfant correspond à être une victime, nous croyons que les parents méritent ce titre mille fois plutôt qu’une.

Les « drames familiaux » ne sont pas de nature accidentelle, stérile ou soudaine. Comme les meurtres intraconjugaux, ils sont souvent associés à l’aboutissement d’une longue relation de violence, de domination et de contrôle, du moins en ce qui nous concerne. Des dommages et des dégâts étaient déjà bien présents avant le filicide, nous étions déjà fragilisées, élément qui devrait être considéré par l’IVAC.

Les discussions au sein de notre groupe démontrent clairement la présence de l’une et/ou l’autre des pathologies associées à des situations traumatiques, c.-à-d. d’abord l’état de stress aigu associé au choc comme tel, puis l’état/le trouble de stress post-traumatique (ESPT/TSPT) (incluant la chronicisation des symptômes) ainsi que les comorbidités associées (dépression, troubles anxieux, abus de substances, etc.).

Il est impossible de se méprendre sur la gravité des dommages causés et de ne pas être considérées comme des victimes en nous refusant, par ce fait même, ce statut à l’IVAC. Certaines d’entre nous ont vécu ces événements depuis maintenant de nombreuses années. Pourtant, les effets se font encore ressentir de façon significative :

« Pour ma part, le choc a déclenché chez moi de l’épilepsie. Vivre en état de choc post-traumatique est complètement traumatisant. Je suis angoissée en permanence, déprimée, incapable de manger. Je fais des cauchemars à répétition, vis de l’agressivité exacerbée et je suis en état d’hypervigilance. Je surveille tout autour de moi, car je vis dans la crainte constante qu’un autre drame se produise. J’ai dû écouter l’enregistrement du message que mon ex a laissé au 911 après avoir tué ma fille pour identifier sa voix, identifier son écriture sur les lettres qu’il a laissées. Ça s’est imprimé dans ma tête et ça ne veut plus ressortir. » (M.-H. Guimont).

II. DEMANDE :
UNE INDEMNISATION DE 50 000 $ PAR ENFANT ASSASSINÉ, MONTANT RÉTROACTIF JUSQU’EN 1972

Dans les premiers temps suivant le drame, il est question d’une seconde à la fois. Ainsi, des déficits évidents sont présents en ce qui concerne le rendement quotidien : retourner travailler/étudier devient un obstacle majeur, excessivement difficile, voire impossible. La notion du quotidien est empreinte de fragilité, de douleur, de lourdeur. Les tâches simples, tout à fait ordinaires, sont devenues un fardeau (symptômes dépressifs).

Par conséquent, l’IVAC doit, entre autres, prévoir : le versement d’une rente qui tient compte de l’intensité du traumatisme subi et de la chronicité de ses impacts tels que le deuil, les flashbacks qui paralysent, la fuite du contenu conscient, les idéations douloureuses et effrayantes associées aux dernières heures de vie de nos enfants, les traces laissées par des années d’abus (conséquences sur l’estime de soi, la confiance, la motivation, les répercussions du drame et de tout ce qui l’entoure sur la santé physique et psychologique, les répercussions sur la vie professionnelle et sur la capacité de rendement au travail, etc.)

En tant que proches des victimes, les parents survivants n’ont eu droit qu’à 2 000$ par enfant assassiné jusqu’en mai 2013. Ce montant a alors été majoré par le gouvernement du Québec, passant à 12 000$ par enfant assassiné. Nous souhaitons que ce montant soit harmonisé avec les autres régimes d’indemnisation publics, tels que la SAAQ, qui verse, pour un enfant mort dans un accident de voiture, une indemnité de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Ce montant nous permettrait de pouvoir cesser de travailler un certain temps afin de vivre notre deuil de façon humaine sans être préoccupées par des considérations financières.

Impacts sur la vie professionnelle

De nombreuses années après le meurtre de nos enfants, plusieurs d’entre nous sont toujours incapables de réintégrer le marché du travail, car notre système nerveux supporte désormais très mal le stress. Vingt-sept ans après l’assassinat de ses enfants, Huguette Archambault est toujours sans emploi, elle qui travaillait pourtant dans des urgences.

Marie-Hélène Guimont, quant à elle, était aux études quand le drame est survenu. Il ne lui restait qu’une session pour terminer sa formation en soins infirmiers. Le meurtre de sa fille a eu un effet sur sa capacité de fonctionnement qui ne lui a pas permis de terminer sa scolarité et d’obtenir son diplôme. Sans la survenue de ce drame, elle serait infirmière depuis maintenant 8 ans.

Dans le cas de Mme Nadine Brillant, qui est travailleuse autonome, une diminution de productivité a eu un effet direct sur ses revenus, mais aucun répit ne lui est accordé. Rien n’est prévu pour la soutenir dans une épreuve pareille. Est-ce normal d’avoir à retourner au travail seulement trois jours après l’assassinat de ses deux enfants par leur propre père ? Dans les deux premiers cas, ces femmes n’ont pas eu la chance d’avoir un travail salarié, avec les avantages associés. Le cas de Mme Brillant, quant à elle, démontre clairement les risques et les désavantages associés au statut de travailleur autonome et l’insensibilité du système par rapport au traumatisme subi. Nous pourrions vous parler de répercussions sur la vie professionnelle pour chacune de nous.

Rétroaction pour les indemnisations non versées

Quand les projets de loi concernant l’IVAC ont été déposés, une prise de position a été adoptée concernant l’indemnisation des victimes liées aux cas antérieurs au dépôt de ces projets. Le ministre de la Justice, Me Bertrand St-Arnaud, a d’ailleurs bien mentionné que les dispositions quant aux projets de loi seraient effectives qu’à partir de leur entrée en vigueur.

Il est tout à fait injustifié que des parents ayant eu à subir le traumatisme causé par l’homicide de leurs enfants n’aient pas droit à cette compensation en raison qu’ils ne soient pas assez « nouvellement traumatisés ».

Bien au contraire, dans notre groupe, les femmes dont le drame remonte à plusieurs années ont vu leur vie basculer. Bien qu’elles aient pu se tenir debout, elles ne sont pas arrivées à se réaliser comme elles le faisaient jadis ou tel qu’elles auraient pu le faire. Si elles avaient disposé des ressources nécessaires, tant internes qu’externes, elles auraient eu une chance de mieux se reconstruire et d’optimiser davantage leurs compétences malgré le drame vécu.

Notre groupe compte six survivantes de drames familiaux, survenus à différents moments depuis les années 80. C’est pourquoi nous insistons sur l’urgence de mesures à adopter dans le cas de drames familiaux, mais aussi sur la légitimité du dédommagement des victimes « anciennes », l’inaction ayant, de façon injuste, prolongé les répercussions du drame.

Afin de réparer cette injustice, nous demandons une augmentation de la rente versée au parent survivant, rétroactive jusqu’à 1972, année de l’entrée en vigueur du régime de l’IVAC, l’indemnisation des victimes d’actes criminels.

Nous demandons donc une indemnisation de 50 000 $ par enfant assassiné, montant rétroactif jusqu’en 1972.

III. DEMANDE :
DE L’AIDE PSYCHOLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE À VIE

Nos enfants ont été assassinés, dans un contexte où il y avait beaucoup de ressentiment. Alors, quand le drame survient, les événements liés à la relation, à la séparation, incluant le fait que nos enfants, du moins en partie, aient servi d’objets d’abord de menaces, puis de représailles, envahissent nos pensées et nous paralysent mentalement.

Que ces êtres que nous aimions plus que nous-mêmes soient si injustement traités, bafoués, dans leurs droits à la dignité et au respect, revêt une injustice sans nom. La peur, l’effroi, l’incompréhension, la détresse qu’ils ont pu ressentir avant de se faire assassiner nous hantent et c’est un sentiment avec lequel nous devons composer jour après jour.

L’impuissance ressentie, le fait que nous n’ayons rien pu faire pour les protéger, qu’ils nous ont peut-être cherchées, appelées, suscite une douleur difficile, voire impossible à imaginer. Alors, que cette douleur, cette épreuve, ne soit pas reconnue est un affront de plus et de trop et nous revendiquons cette reconnaissance d’avoir été atteintes au plus profond de nous-mêmes et ce, à la suite d’un acte que nous considérons comme extrêmement lâche et délibéré.

Il a aussi été mis en évidence par les femmes de notre groupe que leurs ressources internes de résilience et de récupération étaient déjà fort sollicitées pendant les moments précédant le drame familial, en raison de la violence conjugale subie. Par ailleurs, après le drame, ces mécanismes peuvent perdurer en raison du traumatisme, mais, à des délais variables, ils sont remplacés par d’autres qui correspondent à une espèce d’engourdissement léthargique impliquant une perte d’énergie, de motivation pour aller de l’avant et d’une diminution notable de la capacité physique nécessaire au fonctionnement quotidien.

Les proches ne savent pas quoi faire et ont tout aussi peur de ce qui se trouve au coeur de cette douleur, c.-à-d. le danger, la menace pour l’intégrité psychologique. L’entourage n’est pas outillé et les ressources sont non seulement insuffisantes, mais l’expertise dans ce domaine est assez rare, surtout pour celles dont le drame est survenu il y a plusieurs années.

Ce type de deuil requiert d’être accompagnées de façon adéquate ; le poids que nous portons doit être accueilli et considéré dans la prise en charge. D’être accompagnées au coeur de la souffrance est un enjeu majeur dans une meilleure intégration du deuil et de la perte. Étant considérées, non pas comme des victimes, mais comme des proches de victimes, nous n’avons droit qu’à vingt séances de psychothérapie payées par l’IVAC, ce qui est une aberration considérant nos traumatismes psychologiques.

C’est pourquoi nous demandons d’avoir accès à un soutien psychologique et psychiatrique, payé par l’État québécois, aussi longtemps que nous en sentirons le besoin et sans délai de prescription pour formuler une demande d’aide.

IV DEMANDE :
DE L’AIDE À L’INTÉGRATION À L’EMPLOI

Dans l’ensemble, les conséquences à l’emploi sont évidentes au point où elles ne peuvent être confondues à de simples impressions ou interprétations personnelles. Les conséquences sont réelles, visibles et durables.

L’IVAC devrait donc établir un plan de réadaptation sociale plus généreux, équivalent à celui offert aux criminels en milieu carcéral, et ce, dans un délai raisonnable (sans délai de prescription), car il ne faut pas s’attendre à ce que les personnes ayant eu à vivre des drames comme les nôtres soient prêtes à suivre une formation ou à retourner au travail rapidement avec tout ce que cela demande d’efforts au cours des premières années suivant le filicide.

De plus, pour ceux et celles sans emploi, une aide au placement adaptée devrait être offerte afin de faciliter l’intégration en milieu professionnel pour des cas comme les nôtres.

Par ailleurs, pourquoi les CAVAC (centres d’aide aux victimes d’actes criminels) n’engageraient-ils pas des victimes ? De la même façon que des ex-alcooliques sont souvent embauchés pour travailler auprès d’hommes et de femmes aux prises avec des problèmes d’alcool ? Cette initiative aurait deux effets bénéfiques : celui de donner de l’emploi à des gens qui peinent à se trouver du travail et celui d’améliorer la qualité des services là où un manque d’empathie et d’humanisme a été observé et soulevé par chacune d’entre nous.

V. DEMANDE :
SIMPLIFICATION DU PROCESSUS ET MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT DE LA PART DU RÉSEAU CAVAC

Le mandat des centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) est de dispenser des services de première ligne à toute personne victime d’un acte criminel et ses proches, ainsi qu’aux témoins d’un acte criminel.
Bien que plusieurs services intéressants et utiles soient offerts, il y a cependant des lacunes.

Pour des personnes en état de choc comme des endeuillés de filicide, il y a trop de conditions et d’obstacles pour l’obtention de services.

Bien que leur slogan soit « Formé pour vous épauler », les services offerts sont adaptés pour des personnes très peu hypothéquées. Nous ne croyons pas que les professionnels soient formés en fonction du crime commis. Des victimes telles que nous devraient bénéficier d’une unité d’intervention particulière aux répercussions qu’a laissé sur nous le meurtre de nos enfants, de l’incapacité à être proactives dans les demandes d’aide ; c.-à-d. une meilleure prise en charge, un accompagnement plus serré et soutenu, une attention particulière à faire valoir les droits.

Comme pour toutes les ressources liées aux drames familiaux, les ressources et professionnels du CAVAC devraient être mieux formés pour des cas similaires aux nôtres.

L’attitude, souvent arrogante et froide des intervenants n’a pas sa place dans les CAVAC. 15

VI DEMANDE :
RESPECT TOTAL DES EXIGENCES DU PARENT SURVIVANT QUANT À LA DISPOSITION DES DÉPOUILLES DES ENFANTS ASSASSINÉS

Nous demandons à ce que, lorsqu’un conjoint commet un filicide et se suicide ensuite, la gravité de l’acte commis et des préjudices associés soient considérés faisant en sorte qu’un « arrêt d’agir » soit ordonné.

Dès cet instant, il devient impossible pour les membres de la belle-famille de disposer des corps, de même que de la succession.

La loi devrait prévoir un article interdisant que les dépouilles des enfants soient inhumées aux côtés de leurs meurtriers. Si, à la suite de l’arrêt d’agir, l’enquête démontre que le conjoint a bel et bien commis un filicide/familicide, la loi devrait interdire l’inhumation du meurtrier avec ses victimes, comme ce fut le cas pour les enfants de Marie-Paule Mc Innis.

En effet, Jérôme et Justin ont été enterrés, sans le consentement de la mère, pendant que celle-ci était traitée à l’hôpital pour stress post-traumatique.

VII DEMANDE :
UNE MEILLEURE FORMATION ET CONCERTATION DES INTERVENANTS SOCIAUX ET JUDICIAIRES EN MATIÈRE DE VIOLENCE CONJUGALE, PARTICULIÈREMENT DE LA DPJ

Pour celles d’entre nous ayant cherché de l’aide avant que leurs enfants ne soient assassinés, elles ne se sont pas senties écoutées ou entendues par différentes ressources clés, qui auraient pu changer les choses dans le déroulement des événements.

La crédibilité accordée aux plaintes concernant notamment les appréhensions, peurs, inquiétudes avant le drame, est d’une importance cruciale.

Cependant, les menaces et les comportements suspicieux/inquiétants ne retiennent pas une attention et une considération adéquates.
Malgré les recours auxquels nous pensions pouvoir nous tourner et la dénonciation de nos appréhensions, de comportements inquiétants de l’ex-conjoint, de menaces de nature suicidaire et morbide sur la vie de nos enfants, aucune mesure sérieuse, proportionnelle avec la gravité de la situation, n’a été prise.

Pourtant, les instances vers lesquelles nous nous sommes tournées ont comme mandat la protection et la sécurité des individus, la protection des enfants, le respect des droits, le soutien en situation de crise. Ainsi, nous avons demandé de l’aide à nos avocats, aux services policiers, aux travailleurs sociaux, à la DPJ, mais aucune de ces ressources ne nous a permis, même un tant soit peu, de nous sentir en sécurité ou de nous assurer que nos enfants seraient protégés.

Dans le cas où des conjoints(es) sont effrayés(es) et appréhendent que du mal soit fait à leurs enfants, une investigation devrait être mise en branle pour se pencher sérieusement sur la situation. De plus, quoique ça puisse sembler audacieux au point de vue organisationnel, une mesure pourrait être mise en place qui prévoirait un retrait temporaire de l’enfant ou des enfants de la famille pour assurer sa sécurité, tant que le danger reste à un niveau critique, ce danger étant évalué par un professionnel qualifié à cet effet.

Une personne ressentant une peur vive et profonde pour la sécurité de son enfant ressentira du soulagement et un sentiment de sécurité par une telle mesure. En effet, il y a des situations où certaines d’entre nous ont dû laisser aller leurs enfants avec le père, alors qu’elles étaient parfaitement conscientes du danger de mort qui planait sur eux, que des menaces claires avaient été proférées, en raison des droits du père sur son enfant.

Les lacunes évidentes quant à la sécurité avant le drame sont un élément qui a été vigoureusement soulevé dans notre groupe. Et nous ne sommes pas les seules.

En 1997, le coroner Jacques Bérubé écrivait dans un rapport sur les meurtres de Françoise Lirette et de son fils de 14 ans, tués par l’ex-conjoint et père des victimes : « L’incompréhension du phénomène social qu’est la violence conjugale, écrit le coroner, a fait en sorte qu’un individu a harcelé pendant des mois son ex-conjointe, l’a menacée de mort à plusieurs reprises, en a informé plusieurs personnes et intervenants sociaux, avec le résultat que personne ne l’a réellement pris au sérieux, à l’exclusion d’un seul témoin, et qu’il a pu mettre à exécution son funeste projet. »

Jacques Bérubé en appelle à une meilleure formation. « Que le gouvernement du Québec prenne les moyens nécessaires pour s’assurer que tous les intervenants sociaux, médicaux et judiciaires bénéficient d’une formation continue adaptée à leurs mandats spécifiques. Cette formation doit être orientée de manière à assurer une réelle et efficace complémentarité entre les ressources... »

Par ailleurs, l’une des recommandations du comité d’experts sur les homicides intrafamiliaux, dont le rapport a été déposé en novembre 2012 au ministre de la Santé et des Services sociaux et ministre responsable des aînés, va aussi dans ce sens : « Offrir une formation spécifique sur les homicides intrafamiliaux (repérage et intervention) aux intervenants concernés. »

A-GIR : un modèle à suivre

Un programme ayant retenu notre attention est celui du groupe A-GIR, à Laval, un comité de gestion des dossiers à haut risque, qui prévoit des interventions rapides en matière de violence conjugale. Dans ce programme, les victimes sont au coeur de toute l’intervention, le groupe permettant d’assouplir certaines procédures afin de pouvoir agir rapidement. Lorsqu’une situation comporte une menace imminente pour la vie (évaluée à l’aide d’une grille de référence), un répondant institutionnel est contacté et ce dernier se charge de réunir les acteurs concernés pour une intervention rapide, axée sur la protection de la victime. Ce type de groupe n’a pas été mentionné par le rapport des experts (Tremblay et al., 2012). Pourtant, c’est une mesure qui nous semble faire partie des mesures de protection à prévoir en cas de refus de consultation du conjoint. Ce programme a été mis sur pied en 1997 après la publication d’un rapport d’enquête (coroner Bérubé dans le cas Gaumont-Lirette) concernant un homicide ayant pu être évité si les différents acteurs s’étaient concertés.

Un tel programme peut sauver des vies et peut constituer la seule solution possible dans des cas similaires aux nôtres. C’est pourquoi nous jugeons pertinent de prévoir un tel groupe d’intervention disponible dans l’ensemble du Québec.

VIII. DEMANDE :
TRANSFERT DE LA SUCCESSION DU MEURTRIER AU CONJOINT SURVIVANT OU À LA FAMILLE DE CE DERNIER, UNE MESURE DISSUASIVE

Pour nous toutes, les meurtres de nos enfants ont été perpétrés comme mesures de représailles à notre égard. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seules. Dans le documentaire Les Survivantes, la chercheuse Suzanne Léveillée, spécialisée en meurtres intrafamiliaux, avance que 80% des hommes qui tuent leurs enfants après une séparation ou dans le cadre de conflits entourant la garde des enfants, passent à l’acte comme mesure de représailles envers la mère.

Ces hommes, dont plusieurs sont atteints de troubles de la personnalité, ne veulent qu’une chose : déposséder la mère de tout.

Ainsi, nous sommes persuadées que si, dans un cas authentifié comme étant de nature criminelle, les biens et les avoirs du meurtrier pouvaient être détournés de la succession au profit du conjoint survivant, cela aurait pour effet de dissuader certains parents aux prises avec une rage meurtrière de mettre leur plan funeste à exécution.

Le conjoint dangereux ne pourrait supporter l’idée qu’en tuant les enfants, le parent survivant hérite de tous ses biens et avoirs.

En somme, cet amendement suggéré vise essentiellement à « prendre à son propre jeu diabolique » le conjoint violent et à mettre en échec sa stratégie morbide.

IX DEMANDE : RÉVISION DES POLITIQUES D’INTERVENTION DE LA DPJ

Bien que certaines femmes de notre groupe se soient fiées à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour protéger leurs enfants, rien n’a été fait pour empêcher les funestes événements de se produire, bien au contraire. Dans certains cas, la garde des enfants a été retirée aux mères ou encore des mesures de protection tout à fait inadéquates ont été mises en place.

Nous demandons une révision des politiques d’intervention de la DPJ et une révision des cas où il y a eu filicide alors que la DPJ a eu à intervenir, à un moment ou un autre, avant le drame.

CONCLUSION

Malgré les années et les injustices, nous avons su rester debout. Le simple fait d’établir un contact entre nous nous a permis d’être comprises, de pouvoir nous exprimer tout en sachant que nous pouvions le faire sans retenue, en toute liberté. Le lien qui s’est tissé entre nous est profond et libérateur, car nous partageons toutes la même douleur.

Ensemble, nous avons pu nous comprendre et nous mettre d’accord sur ce que nous avons vécu, partager l’expérience d’une douleur intense afin de nous permettre de cheminer au coeur d’un deuil qui nous semblait impossible, parsemé d’injustices et d’absurdités.

Le seul fait de ne plus être seules constitue un réconfort qui nous confirme que les requêtes qui jalonnent ce manifeste sont tout à fait raisonnables et bien fondées.

Elles ne pourront qu’avoir un impact réel et significatif sur le rétablissement de personnes aux prises avec les effets d’un acte aussi destructeur et dévastateur.
Nous osons donc espérer que vous serez entendre nos revendications et que vous serez disposé à y répondre.

C’est avec respect que nous vous adressons ce manifeste et nous nous attendons à ce qu’il soit traité avec toute la considération et le sérieux qu’il mérite.

C’est donc avec courage et par amour pour nos enfants, par souci pour leur dignité et considération de leur vie que nous vous soumettons humblement ces demandes.

Les Survivantes tiennent à remercier Marc Bellemare, avocat et ancien ministre de la Justice, pour sa contribution à ce manifeste à titre de conseiller juridique.

LES SURVIVANTES

Marie-Paule McInnis
Huguette Archambault
Marie-Hélène Guimont
Martine Bélanger
Caroline Poissant
Nadine Brillant

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