Édition du 30 avril 2024

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Politique québécoise

Mémoire sur le projet de loi no 14 présenté par l’Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue

Presse-toi à gauche vous offre des extraits du mémoire récemment déposé par l’Action Boréal de l’Abitibi-Témiscamingue. Vous trouverez l’adresse pour avoir accès à l’intégral du mémoire à la fin de l’article.

L’Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue

L’Action boréale est un organisme à but non lucratif, créé en 2000 pour
promouvoir la préservation de la forêt boréale au Québec à l’intention des
générations futures. Dirigée par un conseil d’administration formé de sept
personnes, elle compte aujourd’hui environ 1500 membres représentatifs de
toutes les régions du Québec.

Depuis sa fondation, les actions de l’ABAT ont visé l’atteinte de deux objectifs
principaux :

1- La création d’un réseau d’aires protégées et de réserves de biodiversité
visant à conserver dans leur intégralité des portions sauvages,
accessibles et représentatives de la forêt boréale, en ciblant de manière
prioritaire les forêts anciennes et peu perturbées.

2- La refonte en profondeur de la Loi sur les forêts et du régime forestier
inique et à courte vue qu’elle engendre, et la modification, d’une manière
plus générale et graduelle, des pratiques forestières actuelles,
destructrices des habitats, de la biodiversité et de la richesse collective,
afin de civiliser l’industrie qui accapare aujourd’hui les ressources
naturelles de la forêt publique au détriment de tous ses autres usagers.

Considérant la refonte en profondeur du régime forestier, l’ABAT ajoute à sa
mission la surveillance de la mise en oeuvre du nouveau régime afin :

1- d’assurer une vision à long terme et la mise en oeuvre de nouvelles pratiques forestières compatibles avec la protection des habitats, de la biodiversité et de la richesse collective,

2- de démocratiser les modes de décisions associés à l’élaboration
des stratégies d’aménagement,

3- d’assurer un partage équitable de la ressources pour soutenir les collectivités qui en dépendent, et 4- de prendre en compte les autres utilisateurs.

L’ABAT et l’industrie minière

Mais que vient donc faire l’ABAT dans le dossier des mines ? Les deux objectifs
précédemment mentionnés ont été partiellement réalisés comme en témoigne l’atteinte de 8% d’aires protégées au Québec (mais pas encore en Abitibi- Témiscamingue) ainsi que l’adoption de la nouvelle Loi sur les forêts.

L’ABAT a donc été amenée à s’intéresser au dossier de l’industrie minière
principalement en raison de l’obstacle que constitue le titre minier (claim) à la création d’aires protégées, ce titre ayant, selon l’actuelle Loi sur les mines,
préséance sur toute autre utilisation du territoire. Voilà pourquoi, dans notre
mémoire, nous insisterons sur cette préséance fondée sur le principe du free
mining, principe que le projet de loi actuel maintient pour l’essentiel.

Préséance du titre minier

Dans les régions minières de la forêt boréale, et très certainement en Abitibi, l’un des obstacles majeurs à l’établissement de nouvelles aires protégées est la préséance des droits que confère le claim aux sociétés d’exploration minière. Sachant que ces titres miniers couvrent autour de 40% du territoire abitibien (Voir Annexe 3), on comprend facilement le pouvoir extravagant et
disproportionné que détiennent les minières sur le sort des aires candidates. Par ailleurs, les réclamations de l’Action boréale en ce qui concerne les aires
protégées n’affecteraient qu’un pourcent du territoire jalonné.

On pourrait se réjouir du fait que le projet de loi 79 « instaure des dispositions qui permettent au ministre de soustraire certaines zones à l’activité minière et de refuser d’accorder certains types de droits miniers afin d’éviter les conflits avec d’autres utilisations du territoire ».1 Malheureusement, cette disposition n’est pas rétroactive comme il est indiqué à l’article 97 des dispositions transitoires du projet de loi.2 De plus, comme un des objectifs explicite de la nouvelle loi est de « stimuler les travaux d’exploration », il est permis de penser que le ministre n’aura recours à ces dispositions que dans des cas très exceptionnels. Il est clair, selon nous, que le législateur s’est contenté de pratiquer une timide brèche dans le principe du free mining plutôt que de procéder à la remise en question fondamentale d’un privilège devenu inacceptable dans un contexte de mondialisation et de raréfaction des ressources.

En effet, l’article 304.2. « soustrait au jalonnement, à la désignation sur
carte, à la recherche minière ou à l’exploitation minière tout terrain compris
à l’intérieur d’un périmètre d’urbanisation au sens de la Loi sur
l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A-19.1) et tout territoire affecté à la
villégiature suivant un schéma d’aménagement et de développement ou un
plan métropolitain d’aménagement et de développement adoptés en vertu
de cette loi ». Or, selon notre estimation, les périmètres urbains
possiblement exclus représentent approximativement 1% du territoire
ayant un potentiel minier.

Nous disons bien « possiblement exclus » car, selon le même article, un
titulaire de claims en périmètre urbanisé pourra exécuter des travaux avec
le consentement de la municipalité concernée. Or, l’expérience démontre
que les élus municipaux, du moins en Abitibi-Témiscamingue, sont très
majoritairement favorables à accueillir les projets miniers dans leurs murs.
À ce jour, seul le maire de la ville d’Amos a publiquement déclaré qu’il
refuserait toute exploitation… sous la cathédrale et l’évêché de sa ville.

Premier arrivé, premier servi

Dans un mémoire présenté au ministère des Ressources naturelles et de la
Faune sur la Stratégie minérale du Québec en octobre 2007, nous constations
que la Loi sur les mines prévoit les règles d’attribution des titres miniers,
lesquelles s’appuient sur le principe du free mining, « …c’est-à-dire l’accès
universel à la ressource. Le premier arrivé obtient le droit exclusif de rechercher et d’exploiter les substances minérales. » Comment peut-on sérieusement concilier cette approche du « premier arrivé, premier servi » avec une véritable planification rationelle de l’aménagement durable du territoire et de l’utilisation des ressources ? Rappelons que le free mining a été élaboré dans un contexte far-west d’absence gouvernementale. Ce contexte a bien sûr changé. Partout maintenant il y a des populations établies, avec leurs valeurs propres, souvent autres que minières.

Force est de constater que, dans le cadre du présent projet de loi, le
gouvernement refuse de toucher à cet archaïque et sacro-saint principe qui mine littéralement les efforts de conservation de notre patrimoine naturel.

(…)

La difficile cohabitation mines/municipalités

Nous n’allons pas élaborer sur ce point, sinon pour dire que nous appuyons
totalement les recommandations présentées par certaines villes à l’effet de
légiférer pour que le titre minier n’entrave pas les schémas d’aménagement des MRC et que les minières soient tenues de collaborer avec les autorités
municipales lors des exercices de planification de l’aménagement du territoire.

C’est le cas notamment des villes de Rouyn-Noranda et de Sept-Îles qui
demandent expressément que le titre minier n’ait plus préséance sur
l’aménagement des villes et du territoire.

(…)

Le projet de loi 14, tout en maintenant le droit d’expropriation que confère le
free mining, offre la mince consolation d’obliger le titulaire d’un claim à aviser les propriétaires « de l’obtention de son claim dans les 60 jours suivant son inscription ». En d’autres termes, le propriétaire foncier sera informé de la possibilité qu’il soit un jour exproprié ou que son milieu de vie immédiat soit défiguré, mais il demeurera tout aussi impuissant face à une industrie aux pouvoirs démesurés.

D’ailleurs, dans le cas du déplacement massif de population à Malartic par la
minière Osisko, le BAPE a jugé qu’« en l’absence d’une forme d’encadrement par les autorités concernées, un mouvement irréversible a été entrepris avant même que le projet n’ait reçu les autorisations requises, ce qui soulève des questions sur le plan éthique et humain. »

Selon l’avis du BAPE, les ministères concernés « doivent se concerter pour établir un mécanisme d’encadrement d’un déplacement massif de résidences pour notamment permettre à la population d’être consultée, informée de ses droits et soutenue en cas de différend. »7 Il va même jusqu’à suggérer au MDDEP « d’examiner la pertinence d’assujettir le déplacement massif de résidences aux dispositions de la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. »

40% d’aires protégées… minières

L’accès garanti au territoire, que le présent projet de loi refuse de remettre en question, équivaut pratiquement à un droit de véto sur toute autre mesure de protection du patrimoine naturel.

Depuis dix ans, l’ABAT travaille à identifier des territoires susceptibles d’être
protégés par l’État dans le cadre de la Loi sur la protection du patrimoine naturel adoptée par le gouvernement du Québec en 2002. Nous avons, dans ce but, conçu un plan de conservation par étapes, visant d’abord la préservation de 8 % des territoires abitibien et témiscamien, en accord avec l’engagement formel annoncé par le gouvernement québécois, pour atteindre éventuellement la norme de 12 % établie par la Convention sur la biodiversité adoptée à Rio de Janeiro en 1992 et signée par le ministre de l’Environnement du Canada de l’époque, monsieur Jean Charest. Mentionnons que l’objectif de 12% a depuis été adopté par le gouvernement du Québec.

Les droits constitutionnels des Autochtones

La Cour suprême du Canada a confirmé l’obligation légale de la Couronne (ce
qui comprend tous les ministères fédéraux et provinciaux) de consulter et
d’accommoder les Autochtones sur tout projet de développement sur leur
territoire pouvant affecter leurs droits ancestraux ou issus de traités, établis ou potentiels. Encore là, le précepte du free mining entre en conflit avec ces droits, particulièrement là où les revendications territoriales ne sont pas réglées, notamment en Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord.

Dans les territoires conventionnés de la Baie James et du Nunavik, les minières signent des ententes avec les Cris et les Inuit permettant à ces derniers de bénéficier des retombées économiques des projets miniers. En Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord, les nations algonquine et innue n’ont jamais signé de traité ou de convention ni jamais cédé aucune partie de leur territoire ancestral. Cela ne justifie cependant nullement qu’ils soient ignorés lors des projets de développement minier.

L’obligation légale de la Couronne de consulter et d’accomoder les droits
ancestraux ne peut être déléguée à une entreprise privée. C’est la responsabilité du gouvernement, lequel, dans le cadre juridique actuel, a les mains liées par son obligation légale d’accommoder les minières à qui il a concédé le libre accès au territoire.

Cinq recommandations fondamentales pour que le Québec ait meilleure
mine !

1. Assurer des bénéfices adéquats

Exiger des redevances dignes de ce nom pour compenser la perte de nos
ressources non-renouvelables. Partager ces redevances avec les
communautés et les régions directement affectées. S’assurer également
que les QuébécoisEs n’hériteront plus jamais d’un passif environnemental
pour la restauration des sites miniers abandonnés, dont la facture est
présentement évaluée à plus de 300 M$ au Québec et à 4 milliards au
Canada.

• Redevances obligatoires de 10% sur la valeur brute produite
(possiblement jusqu’à 15% durant les périodes prospères), dont 50%
seraient partagés avec les régions directement affectées, et la
redevance régionale serait elle aussi partagée à part égale entre les
communautés autochtones et allochtones.

L’ABAT endosse le principe à l’effet que les redevances soient
basées sur la valeur brute produite plutôt que sur les bénéfices
déclarés par les minières. Par contre, nous recommandons que l’État
soit partie prenante à 50% de l’exploitation des ressources minérales,
gazières et pétrolières et qu’il retire aussi des redevances du même
ordre (50%), comme cela se fait dans d’autres pays. Citons
notamment la Norvège dont l’État contrôle à 51 % les pétrolières et
les gazières.

• Exiger 100% de garanties financières en fiducie à la signature du
certificat autorisant les travaux pour assurer la restauration complète
des sites miniers affectés, y inclus les fosses à ciel ouvert. Pour réparer
les torts du passé, établir une redevance spéciale de 0,5% sur la valeur
brute produite afin de financer un « fonds de restauration des sites
miniers abandonnés » au cours des 15 prochaines années.

2. Encadrer les mégamines à ciel ouvert « fort tonnage – faible teneur »

Encadrer (voire dans certains cas interdire) ce type d’exploitation dont les
coûts environnementaux se feront sentir sur des générations à venir. Obliger la restauration complète des fosses une fois l’exploitation terminée.
Règlementer notamment sur les aspects suivants :

• Taille maximale des fosses et teneur minimale des gisements à
exploiter ;

• Taxes supplémentaires pour eau, énergie, résidus miniers et/ou gaz à
effet de serre ;

• Restauration complète des fosses ;

• Lignes directrices éthiques pour consulter, conseiller et soutenir les
populations des communautés affectées par les méga-projets miniers.

3. Moratoire sur les mines d’uranium

Instaurer un moratoire sur les mines d’uranium, tant que l’ensemble des
risques et des dangers liés à cette industrie n’auront pas été caractérisés
publiquement. On doit également pouvoir prouver que les risques liés à
cette industrie peuvent être éliminés à long terme, tout en démontrant l’utilité véritable de l’uranium pour la société en l’absence d’alternatives plus
viables.

4. Éliminer la préséance des droits miniers

Éliminer la préséance des droits miniers afin d’assurer un aménagement
viable et équilibré du territoire, dans le respect des droits des particuliers,
des municipalités et des collectivités autochtones. Cela implique notamment
de :

· Reformuler l’article 235 de la loi afin d’exiger explicitement
l’information, la consultation et l’autorisation des propriétaires privés
avant l’exécution de tous travaux sur leurs terrains.

· Permettre aux municipalités et aux MRC de soustraire aux activités
minières toute partie de leur territoire pour des raisons d’intérêt public
ou pour le bien-être général de la population.

· Permettre au gouvernement de retirer ou de changer la vocation d’un
titre minier pour des raisons d’intérêt public, notamment pour la création
d’aires protégées et pour l’atteinte des objectifs de conservation du
patrimoine naturel du Québec.

5. Protéger

Mieux protéger l’environnement en assujetissant tous les projets miniers à la
Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) du Québec et en renforçant les
capacités du MDDEP pour le suivi et le contrôle des projets miniers.

· Exiger des études d’impacts sur l’environnement pour toute nouvelle
mine selon la procédure déjà prévue dans la LQE, laquelle permet des
consultations publiques encadrées par le BAPE ou par les instances
conjointes Québec-Cris-Naskapis-Inuit dans le nord québécois.

· Encadrer les travaux d’exploration minière en obligeant d’informer le
MDDEP sur les travaux en cours et en procédant à l’inspection aléatoire
de 5% des projets chaque saison.

· Rendre règlementaire les directives environnementales du secteur
minier (dont la Directive 019) et obliger l’application des meilleures
pratiques et technologies disponibles (dont la gestion intégrée des résidus
miniers, la réduction continue des émissions et le recyclage maximal de
l’eau).

Harmoniser la Loi sur les mines avec la Loi sur le développement durable et
ses 16 principes.

Conclusion et recommandations de l’ABAT

L’Action boréale est d’avis que seule une abolition pure et simple du précepte du free mining qui sous-tend la législation minière actuelle pourra mener à une véritable modernisation de la Loi sur les mines.

Le MRNF aurait pu s’inspirer de sa réforme du régime forestier et se redonner du pouvoir sur une industrie minière depuis trop longtemps considérée comme intouchable. La séparation des deux « A » (aménagement et approvisionnement forestiers) a en effet permis au gouvernement de se réapproprier le contrôle de la forêt qu’il avait cédé par les CAAF. Nous demandons donc au gouvernement du Québec de séparer les deux « E » de l’industrie minière : l’exploration et l’exploitation. Cela lui permettrait entre autre de contrôler l’accès à la ressource plutôt que de l’octroyer a priori comme c’est le cas actuellement. Autrement dit, le « premier arrivé, premier servi » serait la population du Québec à qui appartiennent les ressources minérales.

Sur le modèle du forestier en chef chargé de veiller à la pérennité de la
ressource forestière, nous proposons la création d’un poste de « prospecteur » en chef qui serait notamment chargé de tenir à jour un registre des dépôts et réserves connus et d’en assurer l’exploitation rationelle et en temps opportun pour le bénéfice à long terme des communautés plutôt que pour les profits trimestriels d’actionnaires privés. Le caractère non renouvelable des ressources minières commande la plus grande sagesse dans leur utilisation, ce que ne permet pas la soumission aux fluctuations du marché mondial et à la pression croissante sur les ressources par les pays dits émergents.

Nous demandons finalement au gouvernement de soutenir le débat sur
l’industrie minière amorcé depuis quelques années au Québec et de le structurer davantage en instituant à une commission chargée de mener une large consultation. Cela offrirait l’occasion d’amorcer une réflexion sur la
nationalisation graduelle des ressources naturelles, forestières et minières.

L’ABAT est d’avis qu’il faudrait procéder rapidement à la nationalisation de la
ressource or, laquelle, selon les connaissances actuelles, sera épuisée en 2025 au rythme actuel de consommation11. Non essentiel aux besoins vitaux des populations, l’or devrait être soustrait à l’avidité des spéculateurs et décrétée réserve patrimoniale commune à être exploitée sur le long terme en fonction des besoins technologiques réels.

Devant la menace que fait peser une demande mondiale devenue boulimique,
nous ne pouvons plus nous permettre de brader notre sous-sol contre des
bénéfices immédiats qui s’épuisent avec la ressource. Nous avons le devoir
d’assurer l’autonomie minérale à long terme de la nation québécoise.

Pourt consulter l’intégral du mémoire d’Action Boréal Abitibi-Témiscamingue
http://www.rqge.qc.ca/content/m%C3%A9moire-sur-le-projet-de-loi-no-14-loi-sur-la-mise-en-valeur-des-ressources-min%C3%A9rales-dans

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