Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le chemin de Damas du super-ministre de l’Économie du Québec ?

Réduire de 50% les véhicules… mais dans le contexte du capitalisme vert

En déclarant qu’il fallait d’ici 2050 réduire de moitié le nombre de véhicules au Québec, le super- ministre de l’Économie a brisé le tabou du droit au sacro-saint char, noyau dur de l’extractivisme tant pétrolier que tout-électrique dit capitalisme vert. Sans compter que son corollaire en est l’étalement urbain anti-agriculture et anti-nature des banlieues tentaculaires de maisons unifamiliales et en rangées.

Combinés, ces deux larrons, par l’endettement des ménages, s’avèrent la poigne de fer du capital financier à la gorge du peuple-travailleur pour le faire marcher droit dans les sentiers épineux du capitalisme. Bien sûr, le ministre a déclaré qu’il n’y aura aucune obligation légale de se départir de son véhicule. Il sait très bien que l’austérité néolibérale y verra. Ce sera le cas pour la majoritaire gent urbaine servi par un transport en commun en voie de privatisation donc cher et sporadique, sauf le 10% le plus riche, le 1% avec leurs voyages d’affaires en avion et encore plus le 0.1% avec leurs jets privés. Ceux et celles des régions éloignées compenseront le meilleur marché de leur habitation, non grevée par la rente foncière, par l’obligation économique de se pourvoir d’un véhicule dont le bon marché est douteux.

Le super-ministre, englué dans le croissancisme du capitalisme vert au profit de Québec Inc., s’aperçoit que le Québec va manquer de production électrique propre pour satisfaire à la demande qui s’annonce. Il faudrait augmenter la production d’électricité de 50% (La Presse canadienne, Le Québec a besoin de 100 TWh pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, Radio- Canada, 22/03/22). Au printemps 2022, la moitié des surplus de 40 térawatts-heure (TWh), soit l’équivalent de 20% de la consommation québécoise, avait été gagée pour moitié à deux contrats d’exportation à long-terme (New-York et Massachussetts) et l’autre moitié à des besoins internes (Olivier Bourque, Hydro-Québec : où sont passés les surplus d’électricité ?, Journal de Montréal, 26/03/22). À l’automne 2022, cette deuxième moitié de 20 TWh était rendue à 25 TWh dont 9TWh pour « centre de données, hydrogène vert, batteries, serres » et 8 TWh pour les véhicules électriques (Hélène Baril, Hydro-Québec revoit encore à la hausse ses besoins en électricité, La Presse, 3/11/22). Panique en la demeure. On pèse sur l’accélérateur des projets éoliens à construire par l’entreprise privée en association avec les municipalités régionales de comté ou les conseils de bande autochtones assurés par le décret de juillet 2021 d’« une participation du milieu local et des communautés à l’actionnariat du projet à hauteur d’environ 50 % » (Gouvernement du Québec, Nouveaux approvisionnements d’énergie renouvelable - Le ministre Julien place la filière éolienne au cœur de la transition énergétique, 14/07/21). Et après 2026 ou 2030, on ajoutera de grandes centrales hydroélectriques, dixit le Premier ministre, et même du nucléaire, dixit le super-ministre.

Il n’en reste pas moins que le vase risque de déborder. D’où la déclaration-choc du ministre qui a dû se résigner à jeter un coup d’œil du côté de la demande. Le Québec ne produira pas de véhicules de promenade électriques qu’Hydro Québec devra quand même approvisionner. Il s’ensuit que cette demande nouvelle s’avère la moins intéressante pour Québec Inc. malgré sa participation à la filière batterie comme sous-violon des transnationales étasuniennes, sud- coréennes et allemande subventionnées queue par-dessus tête. Il n’en reste pas moins que le ministre n’a rien inventé. « "L’électrification des véhicules privés n’est pas suffisante pour atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre prévues dans l’Accord de Paris", écrivent les chercheurs Jeff Merritt et Douglas Sabo dans leur rapport [pour le compte du Forum économique mondial de Davos]. Il faut donc investir massivement dans le transport en commun et dans les infrastructures, disent-ils, et mettre en place des politiques favorisant le vélo et la marche dans toutes les solutions de mobilité.

Avec une telle stratégie, on pourrait passer, d’ici 2050, à un parc automobile de 2,1 milliards de véhicules à… 500 millions, écrivent-ils. Cela permettrait, selon leurs estimations, de réduire la pollution dans les villes et de faire baisser de façon marquée la congestion, ce qui viendrait libérer de l’espace pour la mobilité durable. » (Gérald Fillion, Analyse :Vers une baisse de 75 % du nombre de véhicules sur nos routes ?, Radio- Canada, 25/08/23). En plein dans le mil ! Cette brèche ouverte vers la sobriété énergétique sonnante et trébuchante est l’œuvre des hauteurs stratégiques de la bourgeoisie néolibérale, qui dame le pion aux écologistes toutes tendances perdus dans leurs discours parfois radicaux mais éthérés quant aux revendications.

À la gauche politique québécoise de saisir la balle au bond à commencer par Québec solidaire à l’occasion de l’élection partielle dans Jean-Talon où le parti, en plus de contredire dans les faits son discours féministe, s’enlise dans le maelstrom de centre-gauche au profit du PQ. Ce serait le temps de s’écrier que le super-ministre ne va pas assez loin et assez vite. Il faut d’ici 2035, ou même 2030 étant donné le catastrophisme climatique devenu réalité, interdire toute vente ou location à long terme non pas de véhicules privés à essence mais de tout véhicule privé afin de libérer le réseau routier. Ainsi pourrait y circuler sans entrave et partout différents moyens de transport en commun, des minibus collecteurs éventuellement sans chauffeurs dans les banlieues, quartiers et villages jusqu’à toutes sortes de tramways et autobus sur les artères principales jusqu’au moindre village, le tout gratuit, en tant que service public, fréquent en fonction de l’achalandage potentiel, et confortable. Rien n’empêche d’y adjoindre un service bon marché et rationné d’autopartage communautaire pour des besoins spéciaux. Finis les projets dispendieux et de longue haleine de métros et de trains aériens. Fini le poids budgétaire du deuxième loyer pour les ménages ce qui harmonisera fin du mois et fin du monde. Québec solidaire devrait célébrer cette partition de l’« Ode à la sobriété énergétique » (Alexis Riopel, Le Devoir, 21/08/23)

Marc Bonhomme, 27 août 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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