Édition du 30 avril 2024

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Laïcité

Charte de la laïcité de Vincent Peillon : l’accessoire, mais pas l’essentiel !

Depuis ce matin, une charte de la laïcité va être affichée dans les établissements scolaires publics. Pourquoi pas ? cela peut occasionner un prétexte pour débattre de la laïcité avec des élèves... C’est toujours cela. Je ne méprise pas la démarche. Mais est-ce le seul terrain sur lequel doit se mener la bataille (car cela en est une) pour faire vivre la laïcité à l’école ? Je ne le crois pas.

(tiré du site du Parti de gauche - Alexis Corbière est secrétaire national du Parti de gauche)

Il est déjà une réalité que nul ne doit laisser dans l’angle mort : il y a aujourd’hui plus de 17% des jeunes français qui sont dans des écoles privées (près de 13,8 % dans le primaire et plus de 20 % dans le secondaire). Quand on est attaché à la laïcité, c’est-à-dire cette idée que l’on peut « vivre ensemble » pour faire société, et que l’on a la conviction que cela commence dès l’école qui doit être le lieu où se retrouvent, à égalité, tous les enfants de la République, la fréquentation à la hausse de l’école privée est un constat d’échec.

En écrivant cela, je n’accable pas les familles qui parfois fuient des établissements publics en voie de détérioration. Mais, je considère qu’une politique républicaine ne peut rester inactive devant cette réalité. Car le pire est que c’est avec de l’argent public que se développe cette concurrence déloyale entre établissements publics et privés. Il me semblerait inacceptable que l’on interdise aux familles qui le souhaitent d’inscrire leurs enfants dans des écoles privés. Plusieurs raisons peuvent le justifier et notamment les convictions spirituelles de la famille, mais cela ne doit pas être financé avec de l’argent public.

Pour ma part, je reste attaché au vieux slogan (mais combien d’actualité) : « A école publique, fonds publics, à école privée, fonds privés ». Depuis la loi Debré de 1959 (et beaucoup d’autres ensuite) l’Etat met la main à la poche pour financer les établissements privés, qui sont d’ailleurs très majoritairement confessionnels (à plus de 96 %). Ainsi, ce sont près de 10,5 milliards d’euros d’argent public qui financent le privé. Peut-on être réellement laïc et rester silencieux sur cette aberration ? Comment réclamer le respect de la loi de 1905 quand elle est piétinée au quotidien ? C’est quasi impossible. Lorsqu’une commune finance des transports publics pour tous les citoyens, elle ne rembourse pas le taxi de quelques uns ? Alors pourquoi le faire pour l’école, socle pourtant de la République ?

J’ai utilisé cet exemple (parmi d’autres) car c’est important d’être concret. La laïcité n’est pas une valeur abstraite qui s’affiche c’est surtout un concept qui se décline dans la pratique, par des prises de décisions politiques courageuses.

Aussi, il ne suffit pas de demander aux personnels de l’éducation comme aux élèves une bonne conduite, il faut aussi donner l’exemple :

 Par exemple, l’abrogation de la loi Carle se fait toujours attendre (et qui permet aux écoles privées d’être défiscalisées).
 Par exemple, il faut rétablir la gratuité de l’éducation pour en sortir toutes les mannes marchandes, contrairement aux choix fait avec la mise en place des rythmes scolaires qui taille la part belle aux structures privées.
 Par exemple, il faut à l’instar des collectifs anti pubs relayer les campagnes de lutte contre l’offensive des marques à l’école.
 Par exemple encore, il faut récupérer, appliquer strictement le principe fonds publics à école publique afin que de récupérer les 18,7% du budget de l’éducation nationale qui partent chaque année dans les écoles privées, à 94% confessionnelles.

Enfin, cette Charte sera-t-elle publiée dans les trois départements d’Alsace Moselle, régis par le scandaleux Concordat, qu’il faudrait abroger, concernant les relations avec les confessions ? A cause de ce dernier, la loi de 1905 n’est pas une réalité sur l’ensemble du territoire de la métropole. Il y a là une contradiction, car si cette Charte y était aussi affichée, elle serait tout simplement complètement obsolète. Je souligne que la Charte de M. Vincent Peillon assure dans son article 1 que la République « assure l’égalité devant la loi, sur l’ensemble du territoire ». Belles paroles. Mais, concernant la laïcité, ce n’est précisément pas vrai.

Pour nous, au Parti de Gauche, la laïcité n’est pas un gadget qu’on agite, ou que l’on affiche (en reprenant ce qui était généralement contenu dans les règlements intérieurs) pour faire oublier les conditions déplorables de la rentrée scolaire ni les dérives du Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui n’hésite pas, par exemple, à se rendre au Vatican pour assister à la canonisation d’un ancien prêtre, alors que, selon moi, un Ministre devrait décliner ce type d’invitation. La laïcité est l’unique garant de la République française et de l’égalité. Elle ne se limite pas aux comportements inacceptables (et finalement assez limités) de quelques élèves provocateurs sous la pression d’un obscurantisme religieux. Comme enseignant, je me souviens notamment l’an passé de discussions enflammées concernant le "mariage pour tous". Plusieurs d’entre eux, et de différentes confessions, s’opposaient à cette loi. Tranquillement, comme pédagogue et enseignant, j’en ai parlé avec eux en leur faisant savoir qu’ils avaient le droit d’être opposés à cette loi, mais que j’attendais d’eux des arguments dont nous pouvons débattre collectivement et non des vérités révélées, indiscutables, face auxquelles aucune démocratie n’a prise. Je crois à cette occasion avoir fait comprendre à mes élèves l’enjeu de la laïcité. J’ai effectué mon métier d’enseignant, sans évoquer une Charte, mais en m’appuyant sur les lois et notre déclaration des Droits de l’Homme.

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