Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Résistances

Coalitions : mode d’emploi

Quelles sont les conditions pour que les coalitions à caractère social (en particulier, syndicales et communautaires) perdurent et continuent d’agir avec cohésion ?

Dans le passé, plusieurs coalitions sont mortes après quelques années et il existe de rares matériaux documentaires pour en faire l’autopsie. Je pense entre autres à Solidarité populaire Québec et au Réseau de vigilance. Solidarité populaire Québec, aux environs des années 1987 à 1993, a mené une extraordinaire démarche pédagogique mettant à contribution toutes les régions du Québec et tous les secteurs de la société dans l’élaboration de la Charte d’un Québec populaire. Le Réseau de vigilance, dans les années 2003 à 2006, a bâti une opposition vigilante, agissante et dérangeante face au projet de réingénierie néolibérale du gouvernement Charest.

Aujourd’hui, parmi les coalitions actives et dynamiques, on trouve la Coalition Solidarité Santé, qui existe depuis 1991, et la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics (COTPSP) née dans la foulée du premier budget Bachand au printemps 2010. J’ai décrit dans deux textes antérieurs la composition de ces deux coalitions ainsi que les deux cultures qui les fécondent :

Coalitions : deux cultures cohabitent - Faut-il réhabiliter la ruse ?

Dans le présent texte, je voudrais aller plus loin en réfléchissant sur les conditions qui peuvent assurer leur pérennité. Dans le cas de Solidarité populaire Québec et du Réseau de vigilance, de nombreux facteurs peuvent expliquer leur disparition : divergences idéologiques, multiplicité des causes à prendre en charge, essoufflement, insuffisance de l’investissement financier dans le fonctionnement, carences ou dispersion dans le leadership, davantage de membres observateurs que de membres acteurs, etc.

Mais plus fondamentalement, je crois que l’une des causes qui peut mettre en péril la survie d’une coalition, c’est lorsque les membres ne respectent pas la diversité des cultures, syndicale et communautaire, qui y sont présentes.

Prenons des exemples concrets. Ce n’est pas à une coalition de dicter à ses composantes syndicales quel type de syndicalisme elles doivent pratiquer — plus ou moins de combat —, quelle doit être la place de l’économie sociale dans les transformations en cours, quelles stratégies employer dans les comités conjoints (patronal-syndical) d’amélioration de l’organisation du travail, etc. Ce sont aux membres des syndicats de le déterminer, lors des congrès. Et c’est aux syndicats de dire s’ils considèrent avoir connu une victoire ou une défaite syndicale à l’issue d’un combat. L’ennemi est à l’extérieur, et non à l’intérieur de la coalition. Les membres d’une coalition peuvent évidemment échanger et débattre entre eux sur ces questions mais non pas dans le but de contraindre l’autre, d’une certaine manière, à épouser nécessairement les idées qui ne sont pas les siennes et qui ne correspondent pas à sa culture propre, à ses mandats et à son cheminement propre.

Les coalitions ne sont pas des partis politiques, qui visent une certaine homogénéité. Les coalitions, ce sont des rassemblements larges en vue d’action communes. Les organisations syndicales, par exemple, ne doivent pas avoir l’impression de s’y retrouver comme devant un tribunal, où elles doivent « justifier » en quelque sorte leurs positions. Les divers membres doivent plutôt y être accueillis pour ce qu’ils sont, en fonction des mandats démocratiques qu’ils détiennent, qu’ils soient de culture syndicale ou communautaire. Il faut tenter de comprendre de l’intérieur les contraintes de l’autre, et cela vaut également pour les syndicats à l’égard des groupes communautaires. Devrait-on se donner un code d‘éthique à l’intérieur de chacune des coalitions ?

La diversité des luttes et des stratégies

Dans un texte intéressant à paraître (1), la militante Lorraine Guay analyse certains enjeux des coalitions, en particulier à partir de l’expérience de la Coalition pour la justice et la paix en Palestine (CJPP) : « Autre question délicate à gérer, le poids respectif des organisations. Dans une coalition, il y a des « gros » et des « petits ». Il y a des organisations qui fonctionnent sur la base d’un membership précis et selon des règles démocratiques qui doivent être respectées. Il y a des groupes affinitaires dont les règles de fonctionnement diffèrent et qui n’ont pas les mêmes contraintes. »

Plus loin, Lorraine précise : « Le travail en coalition permet de partager les regards sur le monde, d’en débattre, de confronter des points de vue souvent divergents, de délibérer et de se donner une compréhension commune constituant la base de l’action collective. On ne part pas ainsi d’une compréhension imposée par l’un ou l’autre acteur, on ne tient pas non plus « à la propriété privée » de ses idées, mais on met de l’avant une analyse critique produite collectivement et qui constitue un nouveau savoir sur le monde. »

Elle conclut : « (...) le travail en coalition invite à identifier comme sources d’espoir et de transformation sociale la diversité des luttes et des stratégies, la multiplicité des acteurs et actrices, la variété de pratiques novatrices, l’importance de la participation de chacun, la capacité à se concevoir comme des maillons modestes, mais indispensables, de l’action collective. »
Quel plaisir de mener des luttes ensemble sans prétendre détenir la vérité et sans vouloir l’imposer aux autres, en ayant toujours quelque chose à apprendre des autres combattants et en se stimulant les uns les autres !

(1) « Penser, travailler et agir ensemble », chapitre 31 dans le Guide pratique de la coopération internationale de l’AQOCI, sous la direction de Pierre Beaudet et Raphaël Canet. A paraître.

Note : L’auteur est délégué de l’Association québécoise de défense des droits des retraités (AQDR) à la Coalition Solidarité Santé et à la COTPSP.

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