Édition du 7 mai 2024

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Contre la droite

Dogmatisme universitaire ou angoisse indentitaire

Lorsque la critique du dogmatisme universitaire cache une réelle angoisse identitaire.

Le manifeste contre le dogmatisme universitaire, publié le 30 janvier dans Le Devoir, par un collectif d’étudiants, aurait pu s’intituler manifeste pour la survie de l’identité québécoise, ou, au mieux, bref condensé de L’Empire du politiquement correct de Mathieu Bock-Côté. Sous couvert d’une contestation du postmodernisme comme « l’idéologie universitaire dominante », se cache en effet un conservatisme identitaire qui ne cesse de démissionner devant les enjeux éthiques et politiques inédits que pose l’évolution des sociétés démocratiques contemporaines : le genre, la diversité, la lutte pour la reconnaissance des minorités, la biotechnologie.

Une légitime inquiétude

C’est tout à l’honneur de « ces jeunes signataires nationalistes » que de soulever des inquiétudes quant à l’impact de l’évolution normative des sciences humaines sur l’évolution de nos sociétés. Car, il est vrai que des concepts comme « intersectionalité », « personne racisée », « privilège blanc », « décolonialiaté » sont mis au service d’un militantisme politique qui aspire, parfois au sein même des universités, à régler ses comptes avec l’histoire, quitte à faire des sciences humaines le tribunal où désormais la conscience et l’histoire de la pensée occidentale sont sommées de comparaître. De même, en instruisant le procès de l’universel et en radicalisant l’effet des injustices historiques sur la constitution de l’identité, certaines minorités entendent faire du XXIe siècle le siècle par excellence de la réparation. Et il n’est pas rare voir des associations étudiantes exiger un réaménagement des institutions académiques et politiques afin de déconstruire l’occidentalocentrisme qui a longtemps dominé les sciences humaines.

Ce qui souvent se traduit par des excès qui prennent la forme d’une dénonciation du corpus académique jugé trop occidental et encore plus inquiétant d’une privation de la liberté d’expression. Nul besoin de dire qu’une telle attitude est définitivement condamnable : Il revient à l’Université d’être ce qu’elle, un lieu de savoir et non de propagande. Même pas de propagande nationaliste identitaire, devrait-on ajouter.

Un symptôme plus qu’une critique

Cette inquiétude ainsi soulevée aurait pu conduire nos « jeunes signataires nationalistes » à discuter et questionner tout d’abord ce qu’ils appellent paresseusement la novlangue, c’est-à-dire les concepts comme « intersectionalité » ou « privilège blanc ». Mais en lieu et place d’une critique objective, nous avons droit à une série d’affirmations qui incrimine ces concepts et, pire, les font porter la responsabilité d’avoir mis à mal le privilège symbolique du peuple québécois. Car, avec cette novlangue, selon les auteurs, « la déconnexion au peuple est totale », « le Québécois est réduit à l’état d’homme blanc privilégié, piétinant un territoire autochtone cédé. » On voit donc ce qui préoccupe les auteurs, c’est la supposée menace qui pèse sur l’identité québécoise et non une critique réelle du « dogmatisme universitaire ».

C’est qu’ils n’ont pas pris la peine de comprendre et discuter la fonction heuristique que jouent ces différents concepts dans l’analyse des injustices liées à l’identité des personnes issues des minorités, toutes dimensions confondues. On a certes le droit de contester l’usage de ces concepts dans l’univers de sciences humaines. Mais que cette tentative témoigne au moins d’une compréhension des enjeux qui ont généré ces concepts et des problèmes que ceux-ci entendent résoudre ! Pour ce faire, il fallait revendiquer une posture critique à l’égard des enjeux de la société contemporaine et ne pas se laisser conduire par une angoisse identitaire qui se nourrit de l’impression selon laquelle « le peuple québécois se trouve déboussolé, en perte de repères et faisant face à de graves dangers qui menacent son existence précaire. »

Ne faudrait-il pas savoir avant tout de quel peuple québécois parle-t-on ? N’est-ce pas cette instrumentalisation identitaire du peuple qui menace précisément l’héritage et l’avenir du peuple québécois ? Ce qu’oublie ce collectif d’étudiants, c’est qu’il y a une forme de conservatisme identitaire qui travaille contre l’avenir d’un peuple : c’est celle qui refuse d’articuler l’héritage et les exigences du présent, celle donc qui n’est pas attentive à l’effet du temps sur l’évolution démographique et culturelle d’une société.

Le devoir de dissidence ne devrait pas faire abstraction de la complexité du réel et des effets des injustices historiques sur la configuration sociale et politique de nos sociétés contemporaines. Auquel cas, le risque est réel de remplacer un dogmatisme par un autre dogmatisme, celui du nationalisme identitaire peut-être, et donc d’annoncer l’ère de ce qu’Octavio Paz a naguère appelé la rébellion des extrêmes. J’ose croire que tel n’est pas l’espoir de ces « jeunes signataires nationalistes ».

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