Édition du 30 avril 2024

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Immigration : « bouc émissaire » de la crise du logement

Certain·es estiment que l’augmentation de l’immigration au pays est responsable de la crise du logement, mais des expertes n’en sont pas si convaincues.

6 février 2024 | tiré de pivot.quebec

Ces deux dernières semaines, bon nombre de politiciens se sont emballés sur un certain lien de causalité entre la hausse de l’immigration, surtout temporaire, et la crise du logement, allant même jusqu’à établir certaines directives visant à freiner l’immigration. Cependant, des expertes en matière d’habitation et d’immigration démentent cette relation de cause à effet et identifient plutôt certaines actions des gouvernements comme les principales causes.

« Blâmer les personnes qui se retrouvent les grandes victimes de cette crise du logement causée par un manque de politiques sociales, pour moi, c’est vraiment honteux », dénonce Geneviève Vande Wiele Nobert, chercheuse à l’Observatoire des inégalités raciales au Québec et autrice du billet « Logement et immigration : attention aux raccourcis » publié par l’institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

Une étude de la Banque Nationale, publiée le 15 janvier, a ouvert le bal de l’emballement public, affirmant la causalité entre immigration et crise du logement et qualifiant la situation de « piège démographique » pouvant se révéler néfaste pour le niveau de vie de la population.

Le 17 janvier, le premier ministre François Legault a demandé, dans une lettre adressée à son homologue fédéral Justin Trudeau, de freiner l’afflux de demandeur·euses d’asile et l’immigration temporaire (étudiant·es et travailleur·euses) au Québec. Il donnait comme principale raison l’impact de ces arrivées sur la crise du logement actuelle, mais aussi sur les services publics.

Du côté fédéral, le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a annoncé le 22 janvier vouloir établir un plafond temporaire du nombre d’étudiant·es étranger·es : en conséquence, le nombre de personnes qui recevront un permis d’étude cette année sera de 35 % inférieur à 2023.

Cela est d’ailleurs dans la continuité de la volonté de Justin Trudeau, qui a affirmé quelques jours plus tôt qu’il voulait toujours porter à 500 000 le nombre annuel d’immigrant·es, tout en reprenant le « contrôle » sur l’immigration temporaire. Il a dénoncé à son tour l’impact supposé de ces personnes sur la crise du logement dans tout le pays.

Marc Miller avait aussi ouvert la porte, en décembre dernier, au retour de l’exigence de visa pour les Mexicain·es qui souhaitent entrer au pays, une obligation qui avait été abolie en 2016 par le gouvernement Trudeau.

Que représente vraiment l’immigration ?

Il est vrai que le Québec fait face à un accroissement démographique qui est principalement lié à la hausse de l’immigration internationale permanente et temporaire, mais il reste bien inférieur à d’autres provinces.

La province a gagné 149 900 personnes en 2022, un record depuis 50 ans. Là-dessus, l’immigration internationale représente la forte majorité du total, avec une croissance de 149 500 personnes (compensée par des migrations entre les provinces représentant une baisse de 3100 personnes), tandis que la différence entre les naissances et les décès n’a fait monter la population que de 2300 personnes, selon le Bilan démographique du Québec, publié par l’Institut de la statistique (ISQ).
Cela dit, le taux d’accroissement général de la population du Québec s’établit à 1,7 % en 2022, comparativement à 3,0 % dans le reste du Canada.

Et surtout, en 2022, les nouveaux et nouvelles immigrant·es permanent·es ne représentaient que 0,8 % de la population totale du Québec, et la croissance du nombre de résident·es temporaires, 1,1 %, souligne Geneviève Vande Wiele Nobert dans sa récente analyse.

Selon elle, il est difficile de présumer que cette faible proportion affecte significativement la crise du logement. « Les personnes immigrantes ne représentent qu’une petite partie de la nouvelle demande pour des logements », résume-t-elle dans son billet.

L’immigration temporaire, ciblée plus particulièrement par les politiciens, augmente effectivement d’année en année au Québec depuis 2016 (sans inclure les deux années de la pandémie). L’année 2023 a été historique pour la province : le nombre de résident·es non permanent·es a augmenté de 167 000, soit un bond de 46 % comparé à 2022, selon les données de Statistique Canada.

Cela dit, la hausse de ces immigrant·es temporaires en 2023 ne représentait encore que 1,9 % de la population du Québec, comparable à la moyenne canadienne (2 %).

L’immigration temporaire, un « choix politique »

Pour Geneviève Vande Wiele Nobert, le gouvernement Legault se victimise injustement lorsqu’il se dit inquiet d’un trop grand nombre d’immigrant·es temporaires.

Globalement, les résident·es temporaires ont en effet représenté la majorité de l’accroissement démographique lié à l’immigration : en 2022, leur nombre a crû de 86 700, alors qu’on a accueilli 68 700 immigrant·es permanent·es. Les demandeur·euses d’asile représentaient un tiers des résident·es non permanent·es, les étudiant·es, 20 %, tandis que la plus grande part était de loin celle des travailleurs étrangers temporaires (44 %), selon le Bilan démographique.

Mais cela, en particulier le grand nombre de travailleur·euses temporaires, est un choix que le gouvernement provincial a fait et doit assumer, selon Geneviève Vande Wiele Nobert. « Le Québec a choisi d’assumer une politique d’immigration plus temporaire que permanente, c’est un choix politique », dit la chercheuse.

Avant tout un problème d’abordabilité, pas de rareté

De plus, s’il y avait réellement un lien criant entre immigration et crise du logement, la pénurie de logements se montrerait plus sévère dans les villes où se concentrent les personnes immigrantes, explique la chercheuse Geneviève Vande Wiele Nobert. Or, ce n’est pas le cas.

Par exemple, alors que Montréal accueillait 80 % des personnes migrantes récentes du Québec en 2021, son taux de logements inoccupés (2 %) était pourtant supérieur à la moyenne provinciale (1,7 %) en 2022, selon des données de Statistique Canada.

En comparaison, Drummondville accueillait 0,5 % des immigrant·es, mais avait un taux d’inoccupation de 0,4 %. La situation est comparable à Saguenay, Trois-Rivières ou Sherbrooke, notamment.

Cette tendance était toujours d’actualité en 2023, selon le plus récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Pour la SCHL, cela serait attribuable en grande partie à la hausse de nouveaux et nouvelles arrivant·es, ce qui est démenti par les groupes de défense des locataires. Selon eux, les très faibles taux d’inoccupation s’expliquent plutôt par la forte présence de locations Airbnb, le manque de résidence pour personnes âgées, les nombreuses résidences secondaires en région ou le manque de logement social.

Par ailleurs, l’étude de la Banque Nationale qui a lancé les débats sur l’immigration et le logement notait aussi une hausse disproportionnée de la croissance démographique comparativement aux mises en chantier d’habitation. Le problème serait donc que face à l’accroissement de la population mené par l’immigration, on manquerait de nouveaux appartements.

« On nous dit que quand on aura inondé le marché de nouveaux logements, les prix vont descendre. Pour l’instant, ce qu’on constate, c’est bien le contraire. »
Véronique Laflamme, FRAPRU

Mais la construction de nouveaux logements est-elle vraiment la réponse aux difficultés des locataires ?

En tout cas, à Montréal, « le taux d’inoccupation des appartements construits au cours des trois dernières années était plus élevé (4,2 %) que pour l’ensemble du marché », soulignait le rapport de la SCHL en 2022. Le rapport explique qu’une des raisons principales est le prix trop élevé de ces nouvelles habitations.

« On nous présente la mise en chantier comme la solution, on nous dit que quand on aura inondé le marché de nouveaux logements, les prix vont descendre. Pour l’instant, ce qu’on constate, c’est bien le contraire », exprime Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

Dans son plus récent rapport sur 2023, la SCHL notait aussi qu’à Montréal, le taux d’inoccupation est particulièrement faible quand on regarde les logements aux loyers les plus bas. Par exemple, seulement environ 1 % des logements se louant moins de 1 075 $ étaient vacants à la fin de l’année dernière.

Ainsi, même si la rareté des logements a un impact sur la crise, le vrai problème serait l’abordabilité des loyers, selon Véronique Laflamme.

Elle rappelle qu’entre 2021 et 2022, le loyer moyen avait augmenté de 8,9 % au Québec, et de 25 % depuis 2018, selon un rapport du FRAPRU basé sur le dernier recensement de Statistique Canada.

Le dernier état de la situation par la SCHL a confirmé que les loyers avaient encore bondi de 7,4 % au Québec entre 2022 et 2023.

La responsabilité du gouvernement

Selon Véronique Laflamme, pour faire face à cette crise des loyers, il faudrait prioriser la part du logement social dans le parc locatif, pour la doubler.

Or, récemment, pour la première fois, la part du logement social dans le marché a diminué, passant de 11,2 % à 10,1 % entre 2016 et 2021, selon une analyse du FRAPRU basée sur les chiffres de Statistique Canada. En ce moment, 40 000 ménages locataires sont sur liste d’attente pour un loyer modique, selon la porte-parole.

C’est que depuis les années 1990, le gouvernement fédéral s’est désengagé du financement de nouveaux logements sociaux. Depuis, le provincial a pris le relais pour maintenir la part de logements sociaux, mais sans jamais investir à la même hauteur qu’avant.

« Les politiques gouvernementales sont la cause de cette crise. »
Véronique Laflamme

Le gouvernement Legault peine à livrer les 16 000 logements qu’il a promis en 2018 à partir d’annonces qui avaient été faites par les gouvernements antérieurs, déplore Véronique Laflamme.
Ainsi, selon Geneviève Vande Wiele Nobert et Véronique Laflamme, les décisions politiques de ces dernières décennies sont les principales causes de la crise du logement.

« Ça fait des années que cette crise du logement se prépare. Les politiques gouvernementales sont la cause de cette crise. Si le gouvernement fédéral avait continué à financer le logement social à la même hauteur qu’il le faisait dans les années 1980, on aurait plus de 80 000 logements sociaux supplémentaires », résume la porte-parole du FRAPRU.

Victimes pointées du doigt

Bien que la hausse de l’immigration puisse faire légèrement pression sur la rareté des logements, pour les expertes, les nouveaux et nouvelles arrivant·es sont avant tout les victimes de cette crise.
« Les nouveaux immigrants sont ceux qui souffrent le plus de la crise du logement. Ce sont ceux qui se retrouvent le plus dans des logements délabrés et qui sont les plus sensibles à se faire abuser par les propriétaires  », explique Véronique Laflamme.

Les demandeurs d’asile et les réfugié·es se retrouvent beaucoup plus en situation d’itinérance que d’autres groupes, selon la spécialiste en habitation.

En réponse à la lettre du premier ministre Legault envoyée à Justin Trudeau, le gouvernement fédéral a annoncé mercredi dernier que Québec recevra 100 millions $ de plus pour héberger temporairement les demandeur·euses d’asile afin d’éviter une situation d’itinérance.

Pour la porte-parole du FRAPRU, le gouvernement fait jouer un rôle de bouc émissaire aux immigrant·es, afin de trouver des coupables pour ses propres échecs. « On a l’impression qu’on a fait sortir l’immigration du chapeau en début d’année pour faire oublier les mauvaises décisions des derniers mois, surtout pour faire oublier la grogne face au projet de loi 31 », déplore Véronique Laflamme.

« Les immigrants deviennent les boucs émissaires sur le dos de qui on peut mettre tous nos problèmes sociaux. »
Geneviève Vande Wiele Nobert, chercheuse

De plus, pour Geneviève Vande Wiele Nobert, le gouvernement a un discours racialement chargé, même s’il ne veut pas se l’avouer. « On sait de qui on parle quand on parle de “trop d’immigration”. On ne parle pas du Français du Plateau Mont-Royal », dénonce-t-elle.

En 2022, les Français·es étaient classé·es au premier rang des nouveaux et nouvelles arrivant·es au Québec représentant 16 % de la population immigrante. Vient ensuite la Chine avec 9,9 % puis l’Algérie, l’Haïti et la Tunisie (entre 5 et 5,5 %). Ces statistiques mettent en évidence la valorisation des nouveaux arrivants francophones dans la sélection de l’immigration québécoise.

« Les immigrants deviennent les boucs émissaires sur le dos de qui on peut mettre tous nos problèmes sociaux. On l’a vu à l’époque avec l’emploi, maintenant c’est avec l’immigration », conclut la chercheuse.

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