Édition du 23 avril 2024

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Jean Baubérot, La laïcité falsifiée

Alors qu’un député péquiste reprenait à son compte, pour le Québec, les préoccupations de LePen-Sarkozy sur la viande Hallal, j’ai eu la chance de lire le dernier livre de Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, publié aux Éditions La Découverte. Cela qui m’a permis de comprendre les tenants et aboutissants des conséquences désastreuses de cette laïcité identitaire dont se revendiquent la droite et l’extrême-droite, et aussi, malheureusement, certains secteurs de la gauche. Nous allons dans ce premier article, nous contenter de rapporter les propos de Baubérot en restant au plus près de son texte. L’auteur se donne comme tâche de diagnostiquer et d’ analyser l’instrumentalisation actuelle de la laïcité par la droite. Nous reviendrons dans un prochain article sur les conséquences qu’on peut en tirer pour le Québec.

Qu’est-ce donc que cette nouvelle laïcité véhiculée par Marine LePen et l’ensemble de la droite nationaliste en France ?

Cette laïcité est un instrument politique d’un repli identitaire faisant des étrangers, particulièrement des musulmans, un danger pour la réalité nationale de la France, pour l’ordre symbolique établi et pour les valeurs occidentales. On a affaire ici, nous dit Baubérot, à une rupture avec la laïcité historique qui marquait la volonté de se défaire, par des décisions politiques, de l’intrusion de la religion dans les affaires de l’État. Cette laïcité fait l’économie de la critique de la société actuelle. Elle se refuse à démasquer les dominations puissantes et permanentes existant dans notre société, y compris sous la forme d’un sexisme quotidien et généralisé.

Cette laïcité identitaire, contrairement à la laïcité historique, écrit Baubérot, ne s’identifie pas d’abord à la nécessaire séparation des Églises de l’État. Elle insiste plutôt que la menace à la laïcité ne peut provenir que de l’autre, de l’étranger, des musulmans... Les représentations de cette nouvelle laïcité sont socialement et politiquement construites...comme une justification de notre société dans sa réalité actuelle. Notre société serait laïque. contrairement à celles d’autres civilisations serait pour l’égalité des hommes et des femmes et ferait place à la raison. Et les dangers, les facteurs d’oppression se situeraient à sa marge et seraient portés par l’étranger et essentiellement dans le fondamentalisme musulman.

Les minorités religieuses (dont on masque les réalités nationales) deviennent des boucs émissaires de l’obscurantisme, de la puissance de la religion, des diverses formes d’oppression. Mais ce qui relève de l’héritage de la réalité religieuse d’ici, est identifié au patrimonial et est donc, par nature laïcisé.

La nouvelle laïcité devient, en France, une laïcité répressive de la liberté religieuse, et un vecteur d’une laïcité répressive de formes de sociabilité qui se distinguent de la majorité. Après avoir interdit le port du voile aux jeunes écolières au nom de la laïcité, la droite cherche à interdire aux mères voilées d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires. Elle voudrait maintenant exclure les femmes voilées du travail dans des structures privées chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général. Au lieu de s’attaquer aux problèmes réels vécus par la majorité populaire, on désigne des minorités vivant dans des difficultés plus grandes encore comme les boucs émissaires des difficultés vécues par la société française. C’est ainsi que la laïcité identitaire au lieu d’élargir les droits de la personne tend à réduire ces droits à la sphère de l’intime au nom de la prédominance de la société culturellement majoritaire.

Défendre une laïcité politique – refuser une laïcité identitaire

La laïcité identitaire qui plie la laïcité aux intérêts de la droite et du pouvoir, restreint la liberté de conscience de certains citoyen-ne-s. La nouvelle laïcité n’est plus la solution politique inventée pour résoudre des antagonismes induits par une domination politico-religieuse. Car elle cherche, d’abord, à transformer la laïcité en marqueur culturel d’une identité nationale séculaire, au mépris le plus souvent de la réalité historique la plus élémentaire. C’est pourquoi cette laïcité identitaire imposée aux musulmans exige beaucoup plus que le respect des lois laïques. Elle réclame l’assimilation à une identité patrimoniale, non conflictuelle et totalement imaginaire.

On prétend que les minorités ethniques réclament des droits différents, en fait ce qu’on leur reproche c’est essentiellement une différence de sociabilité, qui se manifeste par le vêtement et la nourriture. La laïcité identitaire ne supporte pas la diversité religieuse, ni la diversité socioale. Elle veut imposer aux minorités une invisibilisation publique au nom d’une laïcité qui n’a plus grand-chose à voir avec la défense de la liberté de conscience. Cette laïcité identitaire est essentiellement façonnée par l’angoisse devant des flux migratoires et devant un islam politique transnational à laquelle elle tend à réduire des communautés où cet islam politique reste très minoritaire. [1]

La laïcité identitaire défend des valeurs mais pas l’égalité des sexes.

Baubérot est ici particulièrement instructif. L’universalisme abstrait, écrit-il, a toujours été sexiste. Il insiste. Le double jeu est permanent : les minorités n’existent pas prétend l’universalisme abstrait". Leur accorder des droits irait dans le sens du communautarisme ajouterait-on aujourd’hui. Chacun a les mêmes devoirs et reçoit les mêmes sanctions. Mais les minorités existent bel et bien et elles ne disposent pas des mêmes droits et doivent les acquérir.

Les femmes ont dû lutter pour le droit de vote malgré les proclamations des constitutions. Et Baubérot de rappeler le caractère récent du vote des femmes en France dans cette société soi-disant laïque.

La droite soutient une laïcité identitaire parce qu’elle lui permet de centrer cette dernière contre les minorités dangereuses et non conformes à ’nos’ valeurs et qu’elle dispense ses tenants de l’indispensable critique de la société dominante.

Baubérot mais les points sur les i. En s’insurgeant contre les signes d’un sexisme « étranger », notre société ne fait-elle pas la preuve qu’elle ne supporte pas le sexisme ? Donc elle ne saurait être sexiste. Voilà comment, en restant au seul niveau du discours, « on fait d’une pierre deux coups ». : l’altérité des autres, sexistes, est confirmée, tandis que notre absence de sexisme est prouvée par l’altérité des sexistes. CQFD écrit Christinie Delphy dans son livre Un universalisme si particulier. Elle permet de présenter notre société comme égalitaire en oubliant le sexisme quotidien, la violence conjugale, la discrimination salariale, la distribution patriarcale du pouvoir économique et politique.

Le court circuit opéré entre égalité des sexes et laïcité réduit la laïcité au seul islam, alors qu’elle devrait être d’abord le combat pour de nouvelles libertés laïques, permettant de démasquer le sexisme quotidien, structurel de la société tout entière. En somme, ajoute Baubérot, un peu cynique, peu importe que les femmes s’intègrent dans une société où le sexisme est quotidien pourvu qu’elles le fassent sans foulard ! Ce qui est d’abord en jeu, c’est l’écoeurant conformisme de ceux qui passent leur temps à fustiger les minoritaires et les exclus, mais ne sont que bassesse et obséquiosité à l’égard des forces dominantes.

La laïcité identitaire, portée par les affaires construites par les médias dominants.

Cet aspect du livre du Baubérot est particulièrement intéressant. Cette laïcité identitaire qui ratisse si large à gauche comme à droite se fonde sur des affaires médiatiquement construites. Les politiques n’interviennent, en général, que dans un second temps en se trouvant constamment exposés face aux médias. Certains « surfent » sur ces affaires, les exploitent ; d’autres n’osent pas aller contre les émotions et les peurs liées à la représentation médiatique dominante de la réalité. Baubérot parle de la France. Mais, il faut se souvenir des affaires autour des accommodements raisonnables pour juger de la pertinence de ces remarques. La dernière en date, celle de la viande hallal est un autre exemple de ce phénomène. Des médias québécois ont même parlé d’abattage laïque des animaux, sans doute une autre valeur démocratique du Québec traditionnel.

La laïcité identitaire est au pouvoir parce que les gens, élites comprises, pensent majoritairement la laïcité dans le cadre d’une culture télévisuelle. Ces constructions médiatiques de ralliement du troupeau et de stigmatisation des brebis galeuses sont d’autant plus dangereuses qu’il n’est pas nécessairement facile de relativiser les « informations fournies » par les médias. On ne peut pas toujours relativiser en faisant appel à son expérience personnelle, ou à des sources plus confidentielles (mais plus sérieuses) d’information. Moins on peut relativiser, plus cet effet grossissant des médias devient assujettissant à la logique du bouc-émissaire. Baubérot nous prévient : que l’on ne s’étonne pas ensuite des lourdes conséquences politiques, car les partisans de la tolérance ont perdu, c’est la bataille iconographique.

La laïcité identitaire est donc à la fois le produit et l’agent d’émotions ou d’indignations standardisées, liée à la confection de réalistes fictions simplistes. Pas étonnant que l’extrême droite et plus largement tous les extrémistes (dont ceux qui relèvent du repli identitaire) tirent les marrons du feu. C’est pourquoi, ce qu’on voit poindre en France, c’est l’attachement à cette laïcité identitaire est en réalité proportionnelle à l’hostilité à l’égard de l’islam et des immigrés.

Pour conclure son livre sur cette laïcité falsifiée, Jean Baubérot propose une série de propositions sur les formes que devrait prendre le combat laïque aujourd’hui. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce livre de Baubérot constitue une importante pièce au débat.


[1Un bel exemple de cette réduction est la série de reportages du journal Le Soleil (mars 2012) qui présente les musulmans de Québec sans jamais faire une référence sérieuse aux origines nationales tunisienne, algérienne ou marocaine de ces populations.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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