Édition du 30 avril 2024

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Syndicalisme

La CSQ cesse ses investissements publicitaires sur Meta

Dans la foulée du blocage des nouvelles canadiennes par Meta (Facebook, Instagram), les personnes déléguées du conseil général de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ont voté pour cesser les investissements publicitaires sur les plateformes du groupe et les rediriger vers les éditeurs québécois.

Tiré de Ma CSQ cette semaine

Cette décision survient dans le contexte d’un bras de fer entre le gouvernement canadien et les géants du numérique concernant les redevances à verser aux médias canadiens pour l’utilisation de leur contenu.

Le Parlement canadien a adopté le 22 juin 2023 la Loi sur les nouvelles en ligne, qui prévoit le versement de redevances par les groupes Meta et Alphabet (Google) aux médias canadiens. En réponse à cette législation, Meta a bloqué le partage de nouvelles sur ses plateformes et Alphabet menace de faire de même.

Des habitudes perturbées chez les 18-34 ans

Ce blocage perturbe les habitudes de consommation des actualités, selon un sondage CROP réalisé pour le compte du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval.

Soixante-dix pour cent des Québécoises et des Québécois âgés de 18 à 34 ans utilisent Facebook ou Instagram tous les jours à des fins d’information. Ils sont plus nombreux que les autres groupes d’âge à dire que le blocage des nouvelles les dérange dans leurs interactions avec l’actualité, mais aussi plus nombreux à conserver leurs habitudes d’information sur ces plateformes.

« On peut imaginer l’impact de ce blocage dans le contexte actuel du conflit entre Israël et le Hamas, illustre la professeure titulaire au Département d’information et de communication de l’Université Laval, Colette Brin, en entrevue avec Ma CSQ cette semaine. Les jeunes, particulièrement, n’ont pas développé des habitudes les amenant à s’informer auprès des médias d’information. »

La professeure rappelle que les jeunes ont, de tout temps, été généralement moins intéressés que les autres générations par l’actualité. Ajoutons à ce défi le fait que les personnes âgées de 18 à 34 ans ont grandi dans un environnement numérique. Les sources officielles, comme les médias, ne dominent déjà plus l’information. « Pour la jeune génération, les médias ou les sources officielles, ce sont des sources parmi d’autres », rappelle Colette Brin.

L’importance de soutenir les médias

La CSQ ajoute donc sa voix à celle de dizaines d’organisations et d’entreprises ayant déjà annoncé un boycottage des investissements publicitaires sur Meta. « Les médias jouent un rôle essentiel pour notre démocratie, et la décision de Meta de bloquer leurs contenus pour éviter de les dédommager est tout simplement irresponsable », estime le président de la CSQ, Éric Gingras.

Pour la Centrale, bien que la loi canadienne pourrait être bonifiée pour répondre aux préoccupations de l’industrie, elle ne justifie en aucun cas le blocage décrété par le groupe Meta. Selon Éric Gingras, « l’attitude du groupe Meta par rapport aux créateurs de contenu que sont les médias nécessite une mobilisation collective à laquelle la CSQ souhaite participer à sa façon ».

Bien qu’elle trouve le mouvement de boycottage louable, Colette Brin met en garde les organisations de ne pas déplacer les investissements vers d’autres plateformes encore plus problématiques. « Quand on regarde les compétiteurs de Facebook, par exemple TikTok, le modèle d’affaires est encore pire. »

Un autre problème est qu’il n’existe pas de lieu commun pour rejoindre les jeunes. « Leurs habitudes sont beaucoup trop éclatées, poursuit la professeure. On a vu lors des élections dans la circonscription de Jean-Talon à quel point Facebook joue un rôle important pour rejoindre les jeunes. On sait que les jeunes votent moins. Pour les prochaines élections, comment va-t-on les rejoindre ? », questionne-t-elle.

« Ça nous ramène au problème de fond : c’est devenu impossible de financer le journalisme dans le monde numérique. Ce qui est payant, c’est le contenu viral », ajoute Colette Brin. En ce sens, les redevances sont un des éléments importants dans l’équation pour maintenir de l’information libre et de qualité.

La professeure rappelle cependant que beaucoup de questions restent en suspens. Le gouvernement fédéral investit des sommes importantes dans différents programmes pour soutenir les médias et il n’est pas clair si elles seront reconduites au-delà de 2024.

De plus, les conservateurs, qui forment l’opposition officielle à Ottawa, ont été clairs sur le fait qu’ils couperaient l’aide aux médias s’ils étaient portés au pouvoir. Il est donc possible que le soutien aux médias canadiens se retrouve au cœur de la prochaine campagne électorale.

Et la suite ?

Une des possibilités évoquées par le gouvernement comme sortie de crise serait la création d’un fonds pour les médias plutôt que la négociation d’ententes à la pièce avec l’industrie, ce qui irrite les géants du numérique en raison du nombre relativement important de joueurs différents dans l’industrie médiatique canadienne.

Colette Brin souligne que cette solution entraînerait de sérieuses questions sur l’indépendance des personnes qui prendront les décisions concernant le financement.

Alors que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a affirmé récemment que « Facebook fait passer ses profits avant notre démocratie » et que sa ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, accuse l’entreprise de « rompre son pacte avec les Canadiens », est-ce que la population comprend et appuie le gouvernement ?

Pas tout à fait, selon Colette Brin : « Facebook, c’est un service commercial. Le sondage nous montre l’ambiguïté des gens par rapport au conflit. La population ne pense pas que les plateformes ont un rôle à jouer aussi important que le gouvernement pour assurer l’accès du public à une information de qualité sur l’actualité. »

Elle souligne que, comme dans bien des sondages, la population sait que les sources officielles existent et qu’elle devrait les consulter. Mais entre la connaissance et le changement d’habitudes, il y a un monde.

Concernant Alphabet, il n’est pas possible pour l’instant de savoir si le blocage des nouvelles aura bel et bien lieu. « J’espère qu’ils vont arriver à une entente. Google ne veut pas faire ce blocage. Ça leur nuirait plus à eux qu’à Facebook », estime Colette Brin.

« Quelqu’un peut-il imaginer Google sans nouvelles ? La CSQ sera prête à réinvestir ses budgets sur d’autres plateformes, en collaboration avec les éditeurs québécois », termine Éric Gingras.

> Écoutez l’entrevue d’Éric Gingras au micro d’Alexandre Dubé sur QUB radio

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Mathieu Morin

Conseiller syndical à la CSQ.

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