Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud

Argentine. Massa se positionne face au rejet de Milei et Bullrich et à la crainte d’un chaos économique. 2e tour : 19 novembre

Responsable de l’application des mesures d’ajustement au FMI et de l’inflation incontrôlée [sur un an, dans la région métropolitaine de Buenos Aires, l’inflation moyenne sur un an se situe à 138,3%, mais pour ce qui est de l’alimentation de base – viande, pain, fruits, légumes, produits laitiers, farine – elle est à hauteur de 160,7%, Clarin, 18.10.2023], le candidat du parti au pouvoir, Sergio Massa [ministre de l’Economie depuis août 2022], a capté une grande partie du vote contre la droite, regagnant du terrain [par rapport au PASO : Primaires, Ouvertes, Simultanées et Obligatoires d’août 2023] et a obtenu 36,6% avec 97,9% des votes dépouillés. Le candidat libertarien, Javier Milei, a maintenu pratiquement les mêmes pourcentages que lors du PASO, soit 29,9%. Patricia Bullrich arrive en troisième position avec 23,8 % et Juan Schiaretti en quatrième position avec 6,8%. Dans ce scénario, la Fente de Izquierda y de Trabajadores- Unidad avec Myriam Bregman et Nicolás del Caño a obtenu 2,69%, gagnant un siège national dans la province de Buenos Aires et un siège législatif dans la Ciudad Autónoma de Buenos Aires-CABA.

Tiré d’À l’encontre.

Résultats en nombre en pourcentage des cinq listes

Union por la Patria : 9’645’983, 36,68% Sergio Tomas Massa

La Libertad avanza : 7’884’336, 29,98% Javier Gerardo Milei, Victoria Villarruel

Juntos por el Cambio : 6’267’152, 23,83% Patricia Bullrich

Hacemos por nuestro Pais : 1’734’315, 6,78%, Juan Schiaretti, gouverneur de Cordoba, Parti justicialiste

Frente de Izquierda y de Trabajadores- Unidad : 709’932, 2,70% Myriam Bregman et Nicolas del Caño

Après dépouillement de 98,51% des urnes.

Pour être élu au premier tour, dans le système électoral actuel, il faut obtenir 45% des suffrages ou 40% avec une différence de 10 points sur le candidat arrivé en deuxième place. Dès lors, le deuxième tour est fixé au 19 novembre. (Réd.)


La nouveauté de ce dimanche 22 a été la « remontada » de Sergio Massa. Malgré l’ajustement du FMI, malgré l’inflation croissante qui entraîne l’économie dans le chaos et qui a dépassé les 138% par an, malgré la pauvreté de 40% des habitant·e·s qui fait s’écrouler les conditions de vie de millions de personnes, le ministre-candidat du parti au pouvoir a fini par exploiter le rejet de la droite que Milei (La Libertad avanza) et Juntos por el Cambio (Patricia Bullrich) ont exprimé électoralement.

Dans ce résultat électoral, la crainte d’un plus grand chaos économique est aussi présente, ce que Milei lui-même incarne avec son programme économique. Cela est apparu clairement lorsque le candidat libertarien a célébré la dévaluation spectaculaire du peso comme une voie vers une éventuelle dollarisation du pays [à travers une dite concurrence entre monnaies privées, qui aboutira à la dollarisation, dans un contexte de suppression de la Banque centrale]. Il a également alimenté les tendances à la ruée vers les banques [pour des retraits] en proposant de ne pas renouveler les dépôts en peso. De telles déclarations – qui révèlent la nature sauvage de son plan économique – ont dû constituer un puissant facteur de dissuasion pour une partie des électeurs et électrices.

Dans ce contexte, l’énorme soutien médiatique et patronal dont a bénéficié Patricia Bullrich ne lui a pas permis de changer la dynamique politique générale. La candidate de Juntos por el Cambio est arrivée en troisième position, avec 23,8%. Elle n’a pas réussi à rassembler tous les électeurs et électrices qui avaient participé au PASO pour cette coalition [16,81% pour Bullrich et 11,19% pour Horacio Rodriguez Larreta, soit un total de 28% et de 6’895’941 suffrages]. L’un des bénéficiaires de cette situation semble être Juan Schiaretti, gouverneur de Cordoba, qui a obtenu 6,8 % et a réussi à atteindre son principal objectif : renforcer sa propre fraction parlementaire au Congrès national.

Dans un contexte politique foncièrement conservateur, la gauche a obtenu un pourcentage similaire à celui fait lors du PASO. La coalition dirigée par Myriam Bregman et Nicolás del Caño a obtenu 2,70% des voix. Avec ce pourcentage, elle gagne un nouveau député national et un nouveau député dans la ville de Buenos Aires, ce qui lui permet d’élargir sa représentation parlementaire globale.

Christian Castillo, un dirigeant national bien connu du PTS-FITU, rejoint la fraction parlementaire de la gauche au Congrès, qui compte déjà cinq parlementaires [4 du PTS et 1 de Politica Obrera]. Maria Celeste Fierro, du MST (Movimiento socialista de los Trabajadores), rejoint le caucus de la CABA, qui compte déjà 4 législateurs. Comme c’est le cas depuis sa naissance en 2011, il s’agit de nouvelles positions de lutte pour faire face aux politiques d’ajustement qui se profilent. Un ajustement qui est inséparable de la continuité de l’assujettissement et de la subordination imposés aussi bien par le FMI, le pouvoir économique concentré que par ses représentants politiques directs.

Une campagne intense pour faire peur

Le parti au pouvoir est arrivé à ce résultat après avoir mené une campagne systématique pour effrayer des millions de personnes avec les conséquences possibles d’une victoire de Javier Milei. Cette campagne a été menée avec toutes les ressources à sa disposition et à tous les niveaux. Du bombardement systématique des réseaux sociaux aux campagnes publiques, comme celle qui a « annoncé » combien coûterait le réseau des transports en cas de suppression des subventions.

Cette vaste campagne politique a ignoré deux faits qui contredisent le discours officiel. Le premier est la collaboration des péronistes à la confection des listes de La Libertad Avanza pour le PASO, un fait qui n’a jamais été démenti. Le second, l’appel explicite de Sergio Massa au parti Milei-Villarruel pour qu’il fasse partie d’un « gouvernement d’unité nationale ». Un appel public, lancé devant des millions de personnes, lors des débats présidentiels.

La propre campagne de Milei a activement contribué au résultat. Non seulement avec ses déclarations et son programme il a encouragé les tendances vers un plus grand chaos économique. Mais il a aussi défendu activement des positions négationnistes sur la dernière dictature [avec l’appui actif de la candidate à la vice-présidence, Victoria Villarruel, travaillant depuis longtemps la mise en place d’un signe d’égalité entre les crimes de la dictature et les « crimes » des organisations politico-militaires de la gauche]. Cette position totalement réactionnaire a été défendue lors des débats présidentiels, devant des millions de personnes.

Milei et son appel à la « caste » [qu’il dénonçait dans toute sa campagne]

Javier Milei a pris la parole peu après 22 heures, depuis le bunker de La Libertad Avanza, entouré de Victoria Villarruel et des principaux dirigeants de la force de droite. La première chose qu’il a faite a été d’essayer de présenter les résultats électoraux comme un vote idéologique, en faveur de la plate-forme libertarienne. Ce n’est pas la réalité.

Dans son discours, il a choisi de ne pas nommer son futur adversaire ni le péronisme. En revanche, il a nommé sept fois le kirchnerisme [incarné par Cristina Fernández de Kirchner, vice-présidente en exercice], à la manière de Patricia Bullrich. Il a fait appel à Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement) à plusieurs reprises, montrant où il allait chercher des voix pour tenter de remporter le scrutin. Dans la même veine, il a évoqué la perspective de « travailler ensemble pour le changement », félicitant Jorge Macri [fils de l’ex-président Mauricio Macri, il est membre du gouvernement de la ville de Buenos Aires depuis décembre 2021] et Rogelio Frigerio, ancien ministre de Macri et gouverneur élu de la province d’Entre Ríos, qui se situe au nord de Buenos Aires. Il a illustré, dans le fait, le sens de son discours « anti-caste ». Après avoir négocié la création de listes avec des secteurs du péronisme, il recherche désespérément le vote Macri.

Massa et un nouvel appel à un « gouvernement d’union nationale »

Sergio Massa a choisi de prendre la parole après Milei. Son premier message a été la façon de se présenter sur scène : il y est monté seul. Le même ton a marqué son discours : à aucun moment il n’a nommé la force et le gouvernement dont il fait partie, comme s’il cherchait à « réinitialiser » (reset) l’histoire. Comme s’il voulait « oublier » la réalité : l’ajustement, la pauvreté et la politique interne du parti péroniste qui a favorisé le développement des alternatives de droite.

Comme Milei, il a profité de son discours pour se mettre à la recherche de voix pour le deuxième tour. Il a insisté sur « la fin du désordre », répétant l’appel à « plus d’ordre » sur lequel Patricia Bullrich [au profil autoritariste prononcé] a tant insisté. Il est également revenu sur sa proposition de « faire appel aux meilleurs », comme il l’avait proposé lors des débats présidentiels, notamment en incluant Juntos et La Libertad Avanza.

Fervent porte-parole de l’ambassade des Etats-Unis, il a surpris en parlant de « patrie » dans plusieurs passages de son discours. Quelque chose qui ne cadre pas avec son alignement permanent sur l’ajustement ordonné par le FMI. Le récit « massista », une fois de plus, a présenté la grave situation sociale et économique de millions de personnes comme une réalité étrangère à son administration.

Fragmentation politique

Le pouvoir exécutif sera finalement désigné le dimanche 19 novembre. Cependant, les résultats déjà connus donnent un avant-goût de la vie politique nationale à venir.

Les élections législatives ont consacré un scénario de fragmentation politique. Cette image est plus conforme aux contours de la réalité que celle qui émergera du scrutin entre Massa et Milei. Le nouveau Congrès sera marqué par une multiplicité de blocs et d’intergroupes qui symboliseront cette fragmentation. La mécanique politique du Sénat et de la Chambre des députés dépendra en grande partie de la laborieuse recherche d’accords et de consensus.

Quel que soit le vainqueur du scrutin, il devra s’efforcer de trouver un terrain d’entente lorsqu’il s’agira de promouvoir des projets législatifs. Mais cela est plus facile à dire qu’à faire. La fragmentation elle-même témoigne de la crise de représentation qui affecte les coalitions politiques majoritaires. Elle cristallise le peu de soutien dont elles disposent en matière de gestion politique. De ce point de vue, elles anticipent un scénario plus conflictuel que consensuel.

Les trois semaines qui restent jusqu’au 19 novembre s’annoncent tendues sur le plan social et économique. La grande majorité des classes populaires continueront à subir les coups d’une tempête sociale et économique qui a des responsables et des gagnants. Parmi les premiers, il faut citer le FMI et ceux qui ont avalisé ou permis l’accord qui légalise l’endettement de Macri [le prêt de 57 milliards accordé à Macri par le FMI dirigé par Christine Lagarde en 2018]. Parmi les seconds, les grands patrons qui ont ajouté des millions à leurs comptes au détriment des salaires des travailleurs et travailleuses ainsi que des divers revenus alloués aux couches populaires. (Article publié le 22 octobre à 21h30 sur le site La Izquierda Diario ; traduction rédaction A l’Encontre)

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Quelques résultats du FIT-Unidad

Ville de Buenos Aires : 3,55%
Province de Buenos Aires : 3,58%
Cordoba : 1,38%
Mensoza : 3,48%
Rio Negro : 4,02%
Chubut : 4,4%

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Eduardo Castilla

Auteur sur l’Argentine pour À l’encontre.

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