Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur les politiques d’alliance

Ni l’Option A, ni l’Option B, mais...

Deux amendements possibles pour définir une troisième voie alternative

Pour faire suite au texte que nous avons écrit précédemment à propos du débat ayant cours à QS sur les alliances, Ni l’Option A, ni l’Option B, mais une troisième voie alternative, nous nous proposons ici de montrer comment l’argumentation de fond qu’on y retrouve, pourrait se concrétiser, sous forme de deux amendements portés à l’Option B ; seule proposition d’ailleurs qu’il est possible d’amender dans ce sens, puisqu’on ne peut pas poser un amendement qui est en tous points contradictoires avec le sens profond de la proposition principale. Vous trouverez donc ci-dessous ces 2 propositions d’amendements visant à bonifier la proposition B, le tout suivi d’explications et de clarifications pour permettre d’en saisir toute la portée.

Voici tout d’abord, pour nous rafraîchir collectivement la mémoire, la proposition B originale, telle que proposée par la coordination nationale.

Il est proposé que :
1. QS contribue à la constitution d’un front social, impliquant les mouvements sociaux, ayant pour objectif de former un bloc social large et progressiste qui a une expression électorale, tel qu’envisagé par l’opération Renouveau politique.
2. Ce bloc social progressiste lutte contre toutes les politiques néolibérales ainsi que contre les politiques visant à stigmatiser des communautés minoritaires.
3. Sur le terrain électoral, QS se fixe pour objectif l’augmentation du nombre de votes et des député-e-s solidaires, la défaite du gouvernement du PLQ et l’élection d’un gouvernement qui marque une rupture avec les politiques d’austérité néolibérales, qui favorise une réelle transition écologique, qui instaure la réforme du mode de scrutin et qui permette l’avancement d’un projet souverainiste inclusif, et ce, selon la résolution du CN de novembre 2016.
4. QS entreprenne des discussions avec le Parti québécois en vue d’un pacte électoral impliquant un nombre limité de circonscriptions ayant une députation libérale ou caquiste, un pacte qui minimise les pertes financières pour le parti et qui amoindrit les coûts organisationnels pour nos instances locales et régionales.
5. Que la parité des candidatures des circonscriptions concernées par le pacte soit assurée.
6. Que les associations locales, ou régionales les cas échéant, approuvent ou refusent toute proposition les concernant.
7. Que l’issue de ces négociations soit communiquée aux instances du parti et que celles-ci puissent l’approuver ou non lors d’un congrès.

Les amendements proposés pour bonifier B

Voici ensuite les amendements proposés à l’Option B : il s’agit de supprimer les points 3 et 4 de la proposition originale et de les remplacer par le texte suivant :

3-a) Dans le cadre de la constitution du front social et autour de la lutte à l’austérité néolibérale et au combat pour l’indépendance et la transition énergétique, QS entamera le plus tôt possible —parallèlement à un appel aux différents mouvements sociaux ou citoyens et à des discussions de rapprochement avec ON— des discussions exploratoires et conditionnées avec le PQ, dans le but de mesurer précisément les gestes immédiats et porteurs ainsi que les engagements réels et détaillés que le PQ serait disposé à prendre vis-à-vis des 3 priorités de QS. QS cherchera en même temps à voir si pourraient se concrétiser avec le PQ certaines ententes ponctuelles et ciblées de non-agression électorale (avec notamment mais pas seulement comme condition la parité hommes/femmes).

4-a) Au terme de ces discussions exploratoires et selon les résultats auxquels on sera arrivé, on décidera si, faute de résultats adéquats l’on arrête le processus de discussion, ou si l’on reconnaît l’existence d’un certain nombre de priorités similaires, qui, sans conduire à un pacte électoral ou à des engagements électoraux liant les deux partis, pourraient déboucher sur des ententes ponctuelles de non agression électorale. Le tout, afin que d’une part QS puisse participer de manière active et critique au débat public qui se développe au Québec autour des enjeux de 2018 (battre les Libéraux aux prochaines élections, qu’est-ce à dire ?), et que d’autre part QS ne s’enlève à priori aucun moyen pour accroitre sa députation et améliorer son rapport de force vis-à-vis du PQ.

Explications et clarifications

Nous aurions préféré amender l’Option A, car elle nous semblait partir d’une base plus claire et plus affirmative, mais étant conçue dans son écriture même pour ne pas être amendée (on ne peut pas poser un amendement qui est en tous points contradictoires avec le sens profond d’une proposition), nous nous rabattons sur l’amendement de la position B, avec l’intention de la clarifier, la baliser et lui donner les « dents » qu’elle n’a pas.

Quand le diable git dans les détails : clarifier les mots

En fait, c’est en échangeant ensemble et en débattant de manière contradictoire, que collectivement nous nous clarifions peu à peu les idées et pouvons avancer vers une ou des propositions beaucoup plus complètes et nuancées. Aussi est-ce en s’appuyant sur le travail d’élaboration contenu dans les propositions A, B et C, et en cherchant à le préciser, à aller plus dans les détails et à faire apparaître leurs points aveugles, que nous proposons ces 2 amendements à l’option B.

Mais pour ce faire, nous avons dû préciser le sens de certains mots et chercher à visualiser plus précisément ce vers quoi pourrait nous amener un processus exploratoire de discussion avec le PQ ainsi que la recherche d’ententes ponctuelles de non-agression électorale.

En effet, comme on le sait « la politique des mots, c’est les mots de la politique ». Ce qui veut dire que le choix que nous faisons de tel ou tel mot renvoie toujours en dernière analyse à des orientations ou des rapports de force politiques. Aussi, si les définitions de base proposées par le CN (fusion, alliance, pacte et convergence) nous apparaissent déjà très éclairantes, il reste néanmoins encore quelques ambiguïtés –notamment par rapport aux notions de « pacte » et de « convergence »— que nous proposons de ne plus employer comme telles, de manière à ne pas endosser les jeux de pouvoir qu’elles pourraient appeler.

En effet, la convergence, telle qu’elle est avancée par Jean-François Lisée, ne correspond pas à la définition que la coordination nationale en donne, affirmant qu’il s’agit de « la volonté de différentes organisations partageant des positions politiques similaires, de se rencontrer (...) ». Car QS et le PQ de Jean-François Lisée ne partagent pas vraiment de positions de fond similaires. Ils ont eu plutôt tendance, avec l’arrivée de Jean-François Lisée à la tête du PQ, de diverger plus encore sur de possibles positions similaires. On ne peut donc pas –au sens strict— utiliser le terme de convergence en ce qui les concerne. Au mieux, on pourrait utiliser la formule suivante pour répondre aux avances de Jean-François Lisée : l’exploration de convergences possibles.

Un pacte : même s’il est défini très strictement par la coordination nationale (« il ne concerne que la stratégie électorale »), il n’en demeure pas moins un terme « fort » qui risquerait de sous-entendre ou faire croire –surtout si on fait référence au langage commun (pensez au pacte étudiant de 2012)— que nous aurions ou pourrions avoir un rapport « étroit » avec le PQ. Ce qui n’est pas le cas. Il devrait donc aussi être banni de notre vocabulaire. On pourrait le remplacer par la formule, plus neutre, d’ententes ponctuelles de non-agression électorale.

Vouloir des discussions exploratoires et conditionnées  

Vouloir des discussions exploratoires et conditionnées , cela veut dire que, si l’on aspire à travailler à l’unité de la population du Québec pour en finir avec l’austérité néolibérale et avancer vers l’indépendance et la transition énergétique, cela ne peut se faire, quand on discute avec l’acteur politique qu’est le PQ, qu’à des conditions très strictes.

D’où la nécessité de parler de discussions exploratoires et conditionnées. Ce qui veut dire qu’a priori –vu ce qu’est devenu le PQ de Jean-François Lisée— ces discussions pourraient très bien de pas aboutir, ou n’aboutir à rien de substantiel, si l’exploration autour des 3 priorités de QS s’avérait non satisfaisante pour QS, et si le PQ se refusait non seulement à des engagements (solennellement énoncés) réels et détaillés pour le futur, mais aussi à des gestes immédiats et porteurs pour l’immédiat quant à la lutte à l’austérité, à l’avancement de l’indépendance et de la transition énergétique.

On pourrait par exemple poser —mais pas seulement— comme première condition, non négociable, à toute entente, la parité hommes/femmes.

Ne pas claquer la porte au PQ

En fait il s’agit de ne pas claquer la porte au PQ, mais en répondant, à notre manière et sous des conditions très strictes, à ses invitations de discussion, de montrer que nous sommes nous aussi –comme tant de citoyens et citoyennes du Québec— soucieux d’unité et désireux de participer à des changements profonds à l’horizon de 2018. Mais justement en ayant comme préoccupation de faire apercevoir tout ce qui dans les politiques actuelles du PQ de Jean-François Lisée, bloque ces volontés transformatrices d’unité populaire aspirant notamment à stopper les politiques néolibérales. Tout ce qui à l’inverse pourrait être fait –toutes ces énergies qu’on libèrerait— si on osait redonner espoir à tous ceux et celles qui aspirent à des changements profonds en reprenant le chemin de véritables transformations sociales.

Ce qui fait que ces discussions exploratoires ne seraient pas menées d’abord à QS, pour donner l’impression qu’on peut s’entendre superficiellement et formellement avec le PQ sur d’hypothétiques positions communes, mais plutôt pour faire apercevoir au grand public tout ce qui manque –quand on s’emploie à obtenir des engagements sérieux et détaillés de la part du PQ— pour y arriver. Et comment rien ne pourra avancer substantiellement s’il n’y a pas en ce sens des mobilisations croissantes des mouvements sociaux et citoyens.

Il s’agit donc d’utiliser ces discussions exploratoires comme un espace d’expression de plus, une tribune publique où nous pourrions avancer et faire connaître activement nos positions, et par conséquent comme un moyen de démasquer –devant l’opinion publique— les subterfuges actuels du PQ ainsi que d’aider à la mobilisation sociale unitaire, à la clarification des enjeux et au ralliement des déçus du péquisme.

Il ne s’agit donc surtout pas de faire imaginer qu’un éventuel gouvernement péquiste serait une solution aux politiques néolibérales actuelles. Encore moins d’imaginer –bien naïvement— qu’une fois au pouvoir Jean-François Lisée s’engagerait sans état d’âme et sans y être forcé par des rapports de force politique donnés, dans une réforme du scrutin proportionnel ou dans des politiques de ré-investissement massif dans la santé et l’éducation.

Il s’agit plutôt de faire voir comment pour QS, ce sont des revendications clefs que nous nous efforçons par tous les moyens de faire avancer au sein de la société québécoise, en ne cessant d’en faire ressortir toute l’importance, non seulement auprès des mouvements sociaux à la recherche d’alternatives, mais aussi auprès des différents acteurs politiques qui seraient prêts à la reprendre à leur compte.

Pas de pactes ou d’engagements communs

D’où la nécessité de ne pas se lier de trop près à la direction actuelle du PQ, en laissant supposer que nous pourrions lui faire confiance à travers de possibles pactes, des revendications portées de manière commune ou d’hypothétiques promesses gouvernementales sur lesquelles nous nous engagerions ensemble. Au mieux, pourrions nous arriver à constater –au terme de ces discussions exploratoires— que nous sommes arrivés à certaines revendications similaires, mais sans que cela implique des engagements mutuels autres que de possibles ententes pragmatiques de non-agression électorale, satisfaisant conjoncturellement les intérêts des deux parties et correspondant à leurs objectifs immédiats respectifs.

En fait, ce dont il s’agit plutôt pour QS, c’est d’utiliser les faiblesses actuelles du PQ (lui qui est à la recherche de soutiens électoraux tactiques pour tenter de reprendre le gouvernement) pour voir si nous ne pourrions pas en profiter de notre côté et ainsi nous donner les moyens de faire croître notre représentation parlementaire, en pariant sur quelques ententes ponctuelles et ciblées de non-agression électorale avec le PQ. Mais sans faire des plans sur la comète en imaginant qu’ainsi nous aurions peut-être « la balance du pouvoir ». En ayant simplement l’objectif de croître et de modifier les rapports de force existant entre nous et le PQ, tout en donnant chaque fois plus le goût à la société civile du Québec d’en bas de se mobiliser autour des grandes revendications transformatrices que nous proposons aux côtés des mouvements sociaux les plus actifs et déterminés. Rien de plus, rien de moins !

Alors, leur manque-t-il encore quelque chose à ces amendements (ainsi qu’à l’argumentation qui tente de les justifier) pour qu’ils correspondent au mieux aux objectifs de QS ? Aident-ils à clarifier le débat, à le faire avancer ?

À vous la parole ! À vous de le dire, d’entrer dans le débat, d’y apporter votre pierre, ajouter ce qui manque !

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste

PS : au final, la proposition amendée pourrait se lire ainsi :

Il est proposé que :

1. QS contribue à la constitution d’un front social, impliquant les mouvements sociaux, ayant pour objectif de former un bloc social large et progressiste qui a une expression électorale, tel qu’envisagé par l’opération Renouveau politique.
2. Ce bloc social progressiste lutte contre toutes les politiques néolibérales ainsi que contre les politiques visant à stigmatiser des communautés minoritaires.
3-a) Dans le cadre de la constitution du front social et autour de la lutte à l’austérité néolibérale et au combat pour l’indépendance et la transition énergétique, QS entamera le plus tôt possible —parallèlement à un appel aux différents mouvements sociaux ou citoyens et à des discussions de rapprochement avec ON— des discussions exploratoires et conditionnées avec le PQ, dans le but de mesurer précisément les gestes immédiats et porteurs ainsi que les engagements réels et détaillés que le PQ serait disposé à prendre vis-à-vis des 3 priorités de QS ainsi que de voir si pourraient se concrétiser avec lui certaines ententes ponctuelles et ciblées de non agression électorale (avec notamment mais pas seulement comme condition la parité hommes/femmes).
4-a) Au terme de ces discussions exploratoires et dépendamment des résultats auxquels on sera arrivé, on décidera si, faute de résultats adéquats l’on arrête le processus de discussion, ou si l’on reconnaît l’existence d’un certain nombre de priorités similaires, qui sans conduire à un pacte électoral ou à des engagements électoraux liant les deux partis, pourraient déboucher sur des ententes ponctuelles de non agression électorale. Le tout, afin que d’une part QS puisse participer de manière active et critique au débat public qui se développe au Québec autour des enjeux de 2018 (battre les libéraux aux prochaines élections, qu’est-ce à dire ?), et que d’autre part QS ne s’enlève pas à priori aucun moyen pour accroitre sa députation et améliorer son rapport de force vis-à-vis du PQ.
5. Que la parité des candidatures des circonscriptions concernées par le pacte soit assurée.
6. Que les associations locales, ou régionales les cas échéant, approuvent ou refusent toute proposition les concernant.
7. Que l’issue de ces négociations soit communiquée aux instances du parti et que celles-ci puissent l’approuver ou non lors d’un congrès.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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