Édition du 30 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Repères. Scènes politiques du (des) Kurdistan

Cette note a pour but de rappeler brièvement les composantes politiques des quatre parties du Kurdistan, ainsi que leurs dynamiques.

L’auteur est photographe reporter qui a vécu plusieurs mois en 2014 entre le Kurdistan syrien et irakien. [1]

La présence d’un bassin de peuplement kurde remonte à plusieurs millénaires, mais le traité de Lausanne en 1923 sacrifie l’idée d’un Kurdistan sur l’autel des intérêts occidentaux liés à la Turquie kémaliste naissante. Les Kurdes se retrouvent alors divisés sur quatre États : la Turquie, foyer de population kurde le plus important (15 à 20 millions), l’Irak (4 à 5 millions), la Syrie (3 à 4 millions) et l’Iran (5 à 6 millions).

Turquie

La création de la République turque s’est accompagnée d’une sévère répression de la population kurde et de sa culture. En 1979 est créé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). D’abord marxiste-léniniste et nationaliste, le parti change de direction après l’arrestation de son leader, Abdullah Ocalan, emprisonné depuis 1999 en Turquie. Aujourd’hui, la ligne politique du PKK et des organisations affiliées à l’idéologie d’Ocalan tient dans la mise en place d’un confédéralisme démocratique, où les entités locales sont autonomes et démocratiques et où l’économie est au service de l’humain et respectueuse de la nature. Le droit des femmes est également un axe majeur de cette idéologie, notamment par la codirection politique. La revendication d’un État-nation kurde n’est plus au programme du parti.

Le KCK regroupe le PKK et des groupes partageant la même idéologie présents dans les autres zones Kurdes. PKK et KCK sont classés terroristes et traqués par les autorités turques. Le fragile cessez-le-feu en vigueur depuis 2013 risque de ne pas tenir devant l’inaction des Turcs face à l’attaque jihadiste en cours à Kobané.

Depuis 1993, les Kurdes de Turquie ont le droit de créer des partis politiques pour défendre leurs intérêts et représenter le PKK. Ces partis sont régulièrement dissous. Le dernier en date est le BDP, Parti pour la paix et la démocratie, majoritaire dans les zones kurdes.

En 2014, hors des zones kurdes, des dirigeants importants du BDP ont démissionné pour créer le HDP (Parti démocratique des peuples). Le HDP reprend les idées politiques du BDP, tout en englobant en son sein d’autres minorités de la société turque : Alévis, LGBT, etc.

Enfin, si une partie importante des Kurdes de Turquie soutient le PKK et les partis affiliés, il existe aussi un électorat conservateur qui vote pour l’AKP, parti islamiste du président Erdogan ou pour Hüda-Par, le parti islamiste kurde minoritaire.

Irak

Le Kurdistan irakien est marqué par les guerres qui l’ont traversé. C’est là qu’est né en 1946 le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) sous l’égide de Mustafa Barzani et de son clan. En 1975, l’UPK, Union patriotique du Kurdistan, fait scission avec le PDK.

PDK et UPK ont tous deux lutté contre le régime de Saddam Hussein, arrivant à obtenir un Kurdistan autonome après la guerre du Golfe, puis se sont déchirés dans une guerre de pouvoir de 94 à 98.

À l’heure actuelle, le Kurdistan irakien est divisé en deux : le nord sous contrôle du PDK, dirigé par Massoud Barzani, fils du fondateur, et le sud contrôlé par l’UPK dirigé par Jalal Talabani. Ce dernier a été poussé par les Américains à la présidence de l’Irak jusqu’en 2014. Barzani, lui, préside le KRG, Kurdish Regional Government.

En 2009, un nouveau parti apparaît : Goran (« Changement »), mais malgré son nom, beaucoup le voient comme une pseudo-alternative. On trouve aussi de petits partis politiques : les islamistes de l’UIK et du GIK, et les minorités (dont le PC).

Suite à la percée de l’État islamique, les Kurdes d’Irak ont étendu leurs zones de contrôle, notamment sur Kirkouk, et ont réclamé leur indépendance totale. Après la débandade de l’armée irakienne devant les jihadistes, l’Occident a choisi de les soutenir militairement, sans pour autant appuyer leur revendication.

Le Kurdistan irakien reste très conservateur. Le clientélisme partisan et la corruption sont de mise, ainsi que le fonctionnement clanique, cela malgré un vernis démocratique. L’économie est ultralibérale. L’argent apporté par la manne pétrolière a été dilapidé dans des investissements hasardeux et a amené à un abandon progressif de toute forme de production alimentaire ou énergétique locale, conduisant la zone à devenir dépendante de la Turquie et de l’Iran. Les investissements occidentaux ont été accueillis les yeux fermés. Mais la puissance médiatique du Kurdistan irakien lui permet de travailler son image.

Suite au cessez-le-feu avec le gouvernement turc, les combattantEs du PKK se sont réfugiés dans leur bastion des montagnes du nord de l’Irak. Leurs relations avec le PDK sont très mauvaises.

Iran

Aujourd’hui, c’est en Iran que les Kurdes subissent le plus de discriminations. Leurs droits civils et politiques sont régulièrement bafoués. Le taux de chômage des Kurdes avoisine les 50 %, engendrant nombre de problèmes sociaux. Régulièrement, des militantEs sont arrêtés et exécutés.

Les Kurdes d’Iran ont une représentation politique via le PDKI, le Parti démocratique du Kurdistan iranien, issu du mouvement de Barzani. Dans les montagnes à la frontière irakienne, une guérilla issue du PKK, le PJAK, continue à se déclarer en lutte contre l’Iran, et cohabite avec le Komala, un parti à l’idéologie marxiste devenu aujourd’hui sociale-démocrate. Le parti communiste-ouvrier d’Iran comprend aussi un courant nationaliste kurde.

Syrie

En Syrie, sous Bashar al-Assad, les Kurdes étaient soumis à une politique de répression et de discrimination. La guerre civile fut une opportunité pour eux de prendre leur destin en main. Le Kurdistan syrien (appelé Rojava) est composé de trois cantons situés au nord de la Syrie, le long de la frontière avec la Turquie : Afrin à l’ouest, Kobané au milieu, Jezireh à l’est. 10 % des Kurdes syriens vivaient dans la banlieue de Damas.

Rojava est divisée entre deux coalitions. Le PYD, ou Kurdish democratic union party, affilié au PKK et ses alliés, se sont regroupés fin 2013 au sein du People’s council of western Kurdistan et ont déclaré la formation d’un gouvernement autonome de transition dans les trois cantons, avec la mise en place d’administrations locales, dirigées chacune par un Premier ministre et constituées de représentants des divers partis alliés au PYD, ainsi que des minorités (syriaques, arabes...).

Le KNC, Kurdish national council, a été fondé sous l’égide de Barzani et est composé de l’aile syrienne du PDK, le PDKS et de ses alliés. Le KNC ne reconnaît pas la légitimité de l’administration locale des cantons et n’y participe pas, malgré l’offre qui leur a été faite. Il a préféré miser sur l’opposition syrienne en intégrant fin 2013 le Conseil national syrien (CNS). Ce rapprochement est une divergence importante entre les deux partis car le CNS est proche de la Turquie, et s’oppose donc aux projets d’autonomie des Kurdes. Le KNC accuse le PYD de vouloir la mainmise sur les zones kurdes, mais sans proposer de réelles alternatives.

Le PYD travaille activement à une reconnaissance internationale. Confronté aux assauts incessants des jihadistes et à un embargo, Rojava a un besoin urgent d’aide humanitaire et militaire, mais la proximité politique avec le PKK braque les puissances occidentales.

[1] Reportage photo : http://cargocollective.com/yannrenoult/Syrian-Kurdistan-towards-autonomy

Yann Renoult

Photographe reporter qui a vécu plusieurs mois en 2014 entre le Kurdistan syrien et irakien. http://cargocollective.com/yannrenoult/Syrian-Kurdistan-towards-autonomy

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