Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Coupe du monde de soccer

Un événement rassembleur... et sexiste ?

Le grand messe du soccer, ce sport qu’on dit si propre, rassembleur et démocratique, est en cours en Allemagne depuis le 9 juin. La Fédération internationale de football (FIFA) en profite de nouveau pour faire la promotion d’une certaine éthique du sport, autant pour les sportifs que pour leurs partisans. Mais, encore une fois, trop de personnes ferment les yeux sur l’intolérable, sur ces dizaines de milliers de femmes prostituées qui font les frais du spectacle.

« Le football et le sexe vont de pair »

Ces paroles sont de l’avocat du bordel Artemis, de 3000 pieds carrés, construit à Berlin pour accueillir les amateurs de foot en manque de sexe. 650 clients pourraient y être « accommodés » chaque jour.

La prostitution est légale en Allemagne depuis 2002. Dans chacune des douze villes du pays présentant des matchs de la Coupe du monde, tout est mis en place pour satisfaire les quelque trois millions de spectateurs qui visiteront l’Allemagne, à grand renfort de publicité.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a « affirmé son inquiétude face à la possibilité de voir entre 30 000 et 60 000 femmes et jeunes filles faire l’objet de traite à des fins d’exploitation sexuelle pendant la Coupe du Monde » (communiqué d’Amnistie internationale). Amnistie internationale partage d’ailleurs cette crainte, comme plusieurs groupes d’Allemagne et d’ailleurs, et notamment la coordination française de la Marche mondiale des femmes.

Le 25 janvier, la Coalition contre le trafic des femmes lançait sa campagne Acheter du sexe n’est pas un sport. Une pétition « demande aux 32 pays participant à la Coupe du Monde de Football, de s’opposer à la promotion de la prostitution par l’Allemagne et de publiquement dissocier leur équipe de l’industrie de la prostitution ». La pétition demande également à la FIFA de démentir le lien apparent entre soccer et commerce du sexe, ce que le président de la FIFA aurait refusé de faire.

Cette campagne a le mérite de poser clairement le problème : elle ne dénonce pas seulement la traite des femmes ou la prostitution forcée, mais la prostitution tout court. En effet, toute forme de prostitution favorise la marchandisation et l’exploitation du corps des femmes. La prostitution légale (ou décriminalisée) ne peut qu’encourager le développement de cette « industrie » et des réseaux parallèles proprement criminels qui alimentent le réseau « légal ». Aux Pays-Bas, par exemple, le nombre de prostituées serait passé de 2500 à 30 000 entre 1981 et 1997.

Les trafiquants, organisés en réseaux criminels puissants, attirent les femmes en leur faisant miroiter des possibilités d’emploi avantageuses. Les femmes et les enfants sont transportés illégalement, principalement vers l’Europe du Nord, les Etats-Unis et le Canada où la demande est très forte, mais également vers Israel et le Moyen-Orient.

Les femmes trafiquées proviennent majoritairement de l’Afrique, de l’Asie du Sud-Est, des Phillippes et de l’Europe de l’Est. Elles
sont forcées de se prostituer dans des conditions d’esclavage et l’illégalité de leur statut les rend particulièrement vulnérables. De même, les trafiquants utilisent souvent le chantage et les menaces de représailles contre leurs proches. Les femmes sont revendues plusieurs fois et plusieurs d’entre elles sont
assassinées.

La FIFA se flatte la bedaine et s’en lave les mains

La FIFA se targue de n’avoir détecté aucun cas de dopage au sein des 32 équipes participant à la Coupe du monde et d’avoir mis sur pied, la semaine dernière, une Commission d’Éthique qui devra répondre « aux grands défis auxquels est confronté le football actuellement, comme par exemple les paris illégaux, les manipulations, la corruption et autres pratiques illicites. »

De même, la FIFA soutient différents programmes d’aide : l’UNICEF, SOS Villages d’enfants et Stop au travail des enfants. Elle veut aussi favoriser la pratique du soccer par les personnes handicapées et se dit « mobilisée contre le racisme ». Souvent cité en exemple, son Code du fair-play en dix points demande notamment aux joueurs d’« honorer ceux qui défendent la bonne réputation du football », de « rejeter le racisme et la violence », d’« AMÉLIORER LE MONDE GRÂCE AU FOOTBALL ».

Malgré ces différentes initiatives, la FIFA a rejeté toute responsabilité dans l’augmentation de la prostitution forcée et de la traite des femmes qu’entraîne l’événement qu’elle organise, la présente Coupe du monde (dans un communiqué du 13 avril). Son président, Joseph S. Blatter, s’en remet plutôt aux lois nationales et internationales en rappelant qu’il dénonce toute forme de violation des droits humains.

Quand on connaît l’influence de la FIFA et la visibilité de la Coupe du monde (un milliard de téléspectateurs) et les valeurs qu’elle tente de favoriser chez les jeunes, peut-on admettre que son président vient de manquer une belle occasion de lancer un message clair aux amateurs de soccer ? Pourquoi la discrimination contre les femmes ne mériterait-elle pas aussi (et au minimum) un programme de sensibilisation (comme pour le racisme ou les personnes handicapées) ?

En plus, la FIFA vient clairement de banaliser, voire d’encourager ce qu’on appelle la « prostitution légale ».

Le nouveau Comité d’Éthique de la FIFA, qui doit s’intéresser à ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur du terrain, aura du pain sur la planche. Aucune initiative éthique ou humanitaire ne pourra cacher le scandale de la prostitution, pas même le fait que « la prostitution serait le plus vieux métier du monde » ou que ce serait « légal ». Aucune égalité entre hommes et femmes ne sera possible tant que les uns pourront et voudront payer pour s’approprier le corps des autres.

La patriarcat ne tombera pas tout seul : il aura besoin d’un bon coup de soulier à crampons sur le tibia... ou dans les couilles !

Mots-clés : Allemagne
Patrice Lemieux Breton

Coordonnateur d’un groupe de solidarité internationale avec le Nicaragua et étudiant en communication publique.

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