Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

ADQ

Ça bouge encore !

Ne prenons pas pour argent comptant les analyses des commentateurs politiques, souvent libéraux, qui nous convient déjà aux funérailles imminentes de l’ADQ. L’histoire récente des partis politiques au Québec nous invite à plus de prudence.

Dès la mort de Maurice Duplessis, d’aucun annonçait l’imminence de celle de
son parti. Même phénomène après celle de Sauvé et Johnson puis l’échec de
Jean Jacques Bertrand. On oublie que même en 1976 ce parti fit élire 11
députés pour disparaître corps et bien, avec Rodrigue Biron dans le sillage
du raz de marée péquiste. Évidemment, on ne peut comparer sans risque la
longue agonie de l’Union Nationale, parti de gouvernement, à la situation
actuelle de l’ADQ. Contentons nous de rappeler que malgré les prophéties des
commentateurs, ce parti a traversé une quinzaine d’années suite à la mort du
"cheuf", de triste mémoire. La profondeur de l’enracinement régional et son
influence dans certaines catégories d’âge reste sans doute l’explication la
plus pertinente.

Le phénomène créditiste est à la fois semblable et différent. Si comme
l’U.N. son parcours a été étroitement lié a celui de ses chefs Caouette (au
fédéral) Samson et Roy, son caractère de parti essentiellement protestataire
lui assigne un destin différent dans un système de scrutin souvent
impitoyable avec les tiers partis. Mais un fait demeure : son agonie s’est
prolongée bien au-delà de la courte échéance que lui assignait beaucoup
d’observateurs. Notons encore l’importance de ce profond enracinement cette
fois en Abitibi et en Beauce. L’éphémère aventure d’Yvon Dupuis qui, sous un
autre nom cherchera à prolonger cet épisode créditiste, nous rappelle qu’on
ne peut éternellement déboussoler les militants.

Le cas de l’ADQ est plus spectaculaire. En quelques cinq années, ce parti
est passé du statut d’opposition officielle à celui de parti en crise
généralisée. Suite à un important recul électoral, Mario Dumont aurait pu
soigner, consolider et attendre son heure. Mais ce n’est pas un dirigeant de
cette trempe, ceux et celles dont la vie politique est chevillée à des idées
forces. C’est un homme de carrière. En éloignant son parti de son axe de
départ fondateur (le rapport Allaire) pour le conduire tambour battant dans
les eaux froides du néolibéralisme pur jus, ce dirigeant politique a révélé
sa vraie nature au talent circonstanciel pour les clips de 30 secondes. M.
Dumont, comme ex-dirigeant des jeunes libéraux, cet incubateur d’idées et de
cadres, était particulièrement préparé à cette dérive dans l’air du temps
qui n’avait plus rien à voir avec le parti de Jean Lesage et même de Claude
Ryan.

Un politicien qui hume l’air dont on peut prendre la pleine mesure comme
animateur de télé : une seule écoute vous convaincra qu’il est difficile
d’être aussi brillamment superficiel. Le sens du punch, de la formule. À la
télé l’autre jour il s’indignait du fait qu’un assisté social avait requis
les services d’une ambulance sans droit semble-t-il. Junk télé pour junk
politic. Après l’ADQ, le canal V ou comment poursuivre la même politique par
d’autres moyens. Mais dans ce créneau, la concurrence reste féroce. À
Montréal comme à Québec, longue est la liste des démagogues de cirque à qui
on confie un micro ou une chronique.

Suite au départ du chef co-fondateur, on observe une étrange course au
leadership et l’élection de l’ancien président du conseil du patronat puis
d’un député dont le grand mérite est de ne pas avoir trop trempé dans les
dures luttes internes qui ont secoué ce parti. Pour se stabiliser cette
formation pourrait s’accrocher à son créneau de parti de droite aux accents
populistes durs en flirtant à l’occasion avec les thèmes de prédilection du
néoconservatisme, incluant l’immigration. Il y a une sociologie adéquiste
et sans doute un espace politique correspondant mais à court terme la
question de son avenir repose sur la qualité de son personnel politique.
Sauront-ils résister aux appels du pied lancés tant par le PQ que le PLQ ?
C’est à voir. Ce qui fragilise ce parti et pourrait accélérer sa perte à
très court terme, c’est davantage la perception que ses dirigeants ont de leur propre profil de carrière.

On nous explique, en boucle, que l’ADQ serait un parti de centre-droit. Ah,
bon. S’il est vrai que ces dernières années l’ADQ a gommé quelques aspects
particulièrement outranciers sur le plan électoral (bons de l’éducation,
fiscalité, etc), l’ensemble de l’oeuvre évoque encore un parti solidement
campé à droite sur le plan socio-économique. Bien sûr, la rhétorique de
l’ADQ n’a que peu à voir avec celle de la droite d’inspiration religieuse
qui, de Reagan à Bush, a fait entendre sa petite musique en Amérique du
nord : valeurs familiales, abstinence sexuelle des mineurs, arme à feu,
avortement, éducation traditionaliste, enseignement religieux, homophobie,
militarisme, durcissement de la répression contre la petite criminalité,
drogue douce : tolérance zéro etc. Mais le fond de commerce idéologique de
l’ADQ n’est pas que strictement néo-libéral et il peut très bien surfer à
l’occasion sur quelques thèmes conservateurs ou néoconservateurs. L’ADQ, au
gré des circonstances et des dirigeants, pourrait assez facilement
enfourcher les vieux 45 tours de la droite classique : sécurité, famille
traditionnelle, immigration, anti-syndicalisme.

Bref, comme disent les économistes, hélas, il y a un marché pour de telles
idées et même si d’autres partis peuvent ponctuellement s’en trouver
preneurs, une ADQ revampée pourrait en faire sa principale marque de
commerce.

Au-delà des spéculations, une certitude. C’est souvent dans la période de
transition suite au départ de son chef fondateur qu’un parti joue son
avenir. Qui se souvient des circonstances de la disparition du parti civique
de Montréal suite au départ de Jean Drapeau ? Mais le PQ a su, non sans
difficultés, poursuivre sa route après René Lévesque. Pour l’ADQ les
prochains mois seront déterminants.

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