Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Congrès de Québec solidaire de mai 2013 : « Camarades ! », la porte des alliances est fermée

La première parole publique du nouveau président-porte-parole, forte et assurée, a été « Camarades ». Dans la foulée, Andrés Fontecilla, le nouveau président-porte-parole, a dénoncé l’exploitation pétrolière dans le Golfe du St-Laurent, sur laquelle la direction du parti avait entrouvert la porte malgré la clarté de la plate-forme (communiqué de presse du 26/03/13) et le passage sur le sol québécois du pétrole bitumineux… sujet sur lequel la direction du parti est demeurée silencieuse jusqu’ici.

Le congrès a élu le candidat, dont la famille avait fui le Chili de Pinochet, qui avait clairement pris parti pour un sérieux coup de barre à gauche tant au niveau de l’organisation du parti que de sa fidélité à sa plate-forme contre toute dérive électoraliste :

« Toutefois, la lutte parlementaire et l’activité électorale qu’elle implique ne sont qu’un aspect de l’équation. Cela doit être complété par la mobilisation de larges secteurs sociaux et par le développement d’une culture organisationnelle au sein du parti. Des campagnes politiques nationales impliquant l’ensemble des instances doivent donc être constamment mises de l’avant.

Notre parti vise, à terme, à « dépasser le capitalisme ». Sans que Québec solidaire n’ait tout à fait défini ce concept, notre projet implique des transformations fondamentales de notre système économique et politique en vue d’une plus grande redistribution de la richesse collective et d’un approfondissement de notre démocratie. Ce vaste programme ne peut s’accommoder de raccourcis visant à obtenir davantage de sièges à l’Assemblée nationale. Nos victoires électorales doivent donc compter sur un appui tout à fait réfléchi et assumé d’un électorat qui désire non pas se débarrasser d’un gouvernement en fin de course, mais construire un autre Québec, radicalement différent. La meilleure garantie de développement de notre programme se trouve dans la radicalité et l’originalité de celui-ci. Ces orientations réduisent les possibilités d’alliances électorales avec d’autres partis, mais nous permettent de garder le cap. À moyen et long terme, ce sera payant puisque l’électorat verra bien que nos propositions ne sont pas diluées dans la recherche exclusive de plus de député-es. » (Lettre d’Andrés Fontecilla, Presse-toi-à-gauche, 29/04/13)

Non seulement le camarade Andrés Fontecilla a-t-il été élu dès le premier tour avec donc plus de 50% des votes, mais le congrès a dit un non ferme aux alliances avec les partis de la droite se réclamant du souverainisme malgré l’appel à la « porte entrouverte » de Françoise David, sa porte-parole membre du Parlement, en début de congrès. À la une, Le Devoir du 6 mai titrait d’ailleurs « Le congrès de Québec solidaire - Non aux compromis et aux ententes électorales » :

« Québec Solidaire ferme la porte à toute entente électorale avec le Parti québécois et Option nationale. Après des débats houleux, les quelque 600 militants rassemblés en congrès ont voté une résolution ferme pour refuser toute entente ponctuelle. »

Quelques interventions ont insisté, en atelier comme en plénière, sur l’importance des liens et même d’alliance avec les mouvements sociaux en contrepartie d’un rejet d’alliance avec les partis souverainistes de droite. Comme le débat sur cette question n’en est qu’à ces premiers balbutiements, aucune proposition soumise par les instances locales ne la cristallisait adéquatement. Comme pis-aller, le congrès a adopté que « Québec solidaire demeure ouvert à toute action commune et à la collaboration avec tout groupe qui rejoigne sa plate-forme ».

Le parti Option nationale démasqué

Le PQ est à ce point déconsidéré par sa « gouvernance souverainiste » à droite toute que le congrès avait même amendé l’option envisageant des alliances pour explicitement en exclure le PQ. Restait le nouveau-né Option nationale avec lequel le Conseil national de novembre 2012 avait accepté un dialogue. Ce dialogue est maintenant bel et bien terminé. Pour la majorité des congressistes, Option nationale commence à apparaître pour ce qu’il est, une tentative de renaissance d’un Québec Inc. globalement compétitif. L’allure faussement de gauche de ce parti n’est due qu’à la nécessité d’un interventionnisme étatique musclé pour ressusciter un Québec Inc. dont les quelques fleurons à succès sont devenus des fédéralistes blindés à la Bombardier, y compris Québécor qui tente, péniblement, de construire un copie coller au Canada anglais de son petit empire médiatique québécois. Le populisme identitaire québécois de Québécor cohabite aisément avec son alliance avec les Conservateurs fédéraux. Option nationale n’accepte pas le faux-semblant souverainiste du PQ qui masque son renoncement référendaire en catapultant le PDG de Québécor à la tête d’Hydro-Québec, le navire amiral de Québec Inc..

Option nationale veut plutôt aller vers la nationalisation des relativement importants secteurs économiques québécois les plus susceptibles de profitabilité mais largement dominés par des entreprises non québécoises, soit l’exploitation des ressources naturelles et l’industrie pharmaceutique, tout en garantissant aux secteurs de la haute technologie une main d’œuvre formée grâce à la gratuité scolaire et à formation des sans travail. On se leurre, cependant, si l’on croit que cette nationalisation résultera en abondantes redevances minières ou en bas coût des médicaments. Elle n’a que pour seul but le transfert des super profits de ses secteurs dans le gousset de Québec Inc.. Quant à la question écologique, « capitalisme vert » compris, un point très faible de Québec Inc. qui lui préfère « l’indépendance énergétique », un euphémisme pour l’exploitation pétrolière et gazière, il est absent du programme. Le soutien au revenu, le droit du travail et syndical, le contrôle du libre-échange, autant de restrictions à l’accumulation du capital, sont tout simplement passés à la trappe.

Une plate-forme ajustée aux luttes mais un cul-de-sac stratégique irrésolu

En diapason avec cette ré-orientattion, car il s’agit bien de cela, le congrès a bonifié sa plate-forme électorale aiguisant les mesures à prendre contre l’évasion fiscale et, en particulier, les paradis fiscaux. S’y ajoutent un renforcement du soutien à la francisation de l’immigration, la transparence de l’information gouvernementale, « la mise en place d’un réseau public national [numérique] à très haute vitesse… », le soutien à la deuxième et troisième transformation des ressources par des « entreprises locales […] en rendant l’aide gouvernementale conditionnelle au respect des critères de responsabilité sociale et environnementale serrés dans une optique de transition afin de favoriser les entreprises autogérées et socialisées. », la bonification des conditions d’enseignement et de travail et la démocratisation des universités, la gestion écologique du territoire, un soutien accrû de l’aide à l’itinérance et un renforcement de l’encadrement des forces policières. Rien à jeter personne par terre sauf à signaler une attention aux revendications et luttes sociales de la dernière période, économiques et démocratiques, et, peut-être, un début de commencement de réticence à donner la bénédiction sans confession aux PME.

La Commission politique a voulu ouvrir un débat sur une remise en question de la stratégie de l’Assemblée constituante tellement est confuse la position souverainiste du parti par rapport à une Assemblée constituante qui pourrait déboucher sur autre chose. Manifestement, les quelques interventions de la direction nationale laissaient percevoir un manque d’enthousiasme à cette ouverture. En filigrane, on devine un débat au sein de la sphère dirigeante du parti qui réalise de plus en plus que la conquête de la majorité parlementaire lui mettra sur le dos un sérieux problème de « gouvernance souverainiste » au cube qui fera apparaître celui du PQ comme de la petite bière. On imagine, à l’aulne d’Octobre 1970 et de la crise d’Oka de 1990, quand l’armée canadienne est directement intervenue au Québec, ce que pourrait être la réaction viscérale des forces fédéralistes, usant de tout leur pouvoir diplomatique, financier, commercial et militaire, qui ne feront qu’une bouchée d’une Assemblée constituante purement institutionnelle. L’indépendance ne peut qu’être le résultat d’un profond mouvement social encore plus puissant que celui de 1966-1976 que le PQ avait réussi à canaliser dans le cul-de-sac de l’électoralisme. Le congrès, hésitant, n’a pas voulu mettre à l’ordre du jour une ouverture de ce débat.

Les décisions prises sur les objectifs de la campagne relèvent quelque peu de la tautologie : remporter les comtés gagnables, augmenter le pourcentage de votes, mieux s’implanter, combattre le vote utile dit « vote stratégique ». À signaler, cependant, une inflexion à gauche. Le congrès a rejeté le mot « raisonnable » de la résolution indiquant l’objectif proprement politique de la future campagne électorale. La résolution votée se lit comme suit : « Présenter QS comme un parti apte à gouverner défendant le bien commun et seule alternative aux politiques néolibérales ». À noter que le mot enlevé est le frère jumeau du mot « crédible » dans « plate-forme crédible », expression employée en début de semaine par la porte-parole parlementaire. Reste qu’on est dans la nuance.

L’impact non compris de la nouvelle loi du financement des partis politiques

Le débat sur le financement du parti fut plus intense. La réforme du financement des partis, pour mettre fin à l’orgie des prête-noms, a rendu les partis très dépendants d’un financement étatique plus généreux sur la base du nombre de votes obtenus. Il aurait pourtant été aisé de couper court à l’abus des prête-noms par un mélange de transparence gouvernementale et de surveillance citoyenne officiellement reconnue. La direction du parti, et sans doute la grande majorité des membres, a approuvé cette réforme sans trop réaliser le piège du renforcement de l’intégration du parti dans l’appareil d’État, de celui de la coupure entre l’appareil du parti et la base qui ne peut que marginalement contribuer au financement du parti, et de celui de l’électoralisme qui rend le parti financièrement dépendant, avant tout, de sa performance électorale.

Aux organisations locales qui, pour la plupart, prennent mal leur perte d’autonomie que leur garantissaient leurs efforts de collecte de fonds, l’appareil central répond qu’on leur en transférera autant à partir du centre. Sans doute mais l’effet de levier des instances locales et régionales, en cas de litige, en sera d’autant affaibli. Déjà l’appareil central plaidait la cause de ses grands besoins financiers et critiquait certains accapareurs de fonds locaux. Répondre que la campagne centrale est déterminante sur l’ampleur du vote, étant donné l’importance de l’influence des grands médias et du vedettariat faudrait-il préciser, ne fait que tourner le fer dans la plaie.

Le comité des femmes, le vent dans les voiles, a présenté la quatrième phase de la construction du programme, dit enjeu quatre, qui portera uniquement sur la question des femmes et qui s’étendra sur une période d’un an à moins de perturbation électorale. Dans la présentation verbale, on pressentait une cohabitation entre idéologie anticapitaliste et anti-patriarcale et un volet proprement politique qui pourrait être la souris accouchée par la montagne. Ce serait là typiquement du Québec solidaire.

Une base antilibérale regaillardie par le printemps érable

Encore une fois a joué, grâce à la loi des grands nombres, la contradiction entre la base majoritairement antilibérale du parti, raffermie par le printemps érable, et la direction sociale-libérale du parti partisane des « portes entrouvertes » et émoussant sans cesse les pointes acérées de la plate-forme. La base antilibérale a-t-elle pénétré, cette fois-ci, la direction en élisant à un poste-clef ce qui semble être un des siens ? L’avenir le dira. Chose certaine, il lui faudra un soutien organisé et proactif pour tenir le coup et élargir la brèche. Les collectifs anticapitalistes, particulièrement le tout nouveau qui se targue d’écosocialisme, seront-ils à la hauteur eux qui jusqu’ici soit ont pactisé avec la direction, limitant aux coulisses les divergences, soit se sont contentés de propagande ? Le dépliant écosocialiste est lourd d’idéologie et de généralités radicales mais totalement vide d’analyse concrète et de tâches et perspective. En autant qu’on a pu décelé une orientation de sa part pour le congrès, ce fut plus une tentative étonnante de noyer le poisson dans une introuvable analyse de la conjoncture pour reporter le débat sur les alliances, tentative qui ne fit pas long feu.

Québec solidaire se trouve dans la situation paradoxale d’occuper à lui seul tout le champ politique à la gauche du PQ au fur et à mesure qu’Option nationale apparaît pour ce qu’il est. Il doit résoudre le dilemme entre opter pour le centrisme électoraliste, c’est-à-dire d’être la gauche de la droite, ou se situer résolument à gauche, c’est-à-dire prôner des politiques qui résolvent les besoins populaires tels qu’exprimés par les luttes sociales et les mouvements syndicaux et populaires. À noter, cependant, qu’étant donné la polarisation sociale et le durcissement néolibéral vers l’austérité dans la crise, il n’est plus évident que le modérantisme électoraliste maximise le vote d’un parti de gauche quoique qu’il faille se garder du cul-de-sac du radicalisme populiste.

Quel « plan vert » ?

Le premier test sera peut-être cette campagne politique écologique, lancée au moment du congrès, sur la base du « plan vert ». Selon Françoise David, cette campagne veut répondre aux « gens qui nous trouvent sympathiques au plan de la justice sociale [mais] se demandent si nous sommes capables de travailler à développer le Québec au plan de l’économie et de créer des emplois. »

La direction se contentera-t-elle de son plan vert style « capitalisme vert » de la campagne électorale de 2012, ce qui semble être le cas jusqu’ici ? Ou y aura-t-il une mise à jour de ce plan vers le plein emploi écologique, ce qui mettrait les politiques concrètes et chiffrées qu’il contient au niveau de l’objectif de la diminution de l’émanation des gaz à effet de serre (GES) de 40% par rapport à 1990 d’ici 2020 et de la fin des la consommation des énergies fossiles d’ici 2030 ?

La politique du transport en commun illustre ce dilemme. Le plan d’immobilisations du PQ, et des Libéraux avant lui, prévoit un ridicule 6.4 milliards $ sur dix ans pour les équipements du transport collectif, entretien compris. Globalement, aussi entretien compris, l’organisation québécoise Transit, une coalition plutôt technocratique fort modéré d’une soixantaine d’organisations pour un tournant vers le transport public « estime le coût de l’ensemble des projets de maintien et de développement des transports collectifs au Québec d’ici dix ans à quelque 25 à 30 milliards de dollars ». Cet estimé ne prend en compte que les projets connus des grandes villes, surtout Montréal, dirigées par des équipes nettement à droite et peut-être respecte-t-il l’objectif gouvernemental d’une réduction de 20 ou 25% des GES d’ici 2020. Le plan vert de Québec solidaire ne prévoit pour le transport en commun que des investissement supplémentaires de 10 milliards $ sur dix ans, 16 milliards $ en additionnant l’effort péquiste, bien en deçà de la revendication de Transit.

Voilà sans doute un bon plan électoraliste qui démarque Québec solidaire du PQ. Mais ce plan est à mille lieux des objectifs du GIEC, l’organisme compétent de l’ONU, lesquels objectifs expriment, minimalement et sans doute insuffisamment, ce qui serait nécessaire à l’équilibre climatique de la planète pour éviter un dérapage vers l’inconnu. On attend les commentaires des écosocialistes.

Marc Bonhomme, 6 mai 2013

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