Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Des femmes organisées ou des femmes individualisées ?

Pourquoi ne pas rester à la maison ? Pourquoi aller se faire ch….sur le marché du travail quand on peut rester avec les enfants. ? On travaille, mais à notre rythme pas de boss… pas de salaire, mais les inconvénients ne valent-ils pas les avantages ?

Pour penser ainsi il faut penser famille et non-autonomie des femmes. Il faut penser que quelqu’un va subvenir pour le travail fait à la maison. C’est là que se noue le premier nœud. Qu’arrive-t-il si la personne pourvoyeuse ( à 99 % un homme) meurt ? Ou encore divorce ? C’est là une des premières causes de pauvreté des femmes.

Le deuxième nœud c’est : est-ce qu’un choix individuel peut remplacer l’organisation collective des femmes ? Pour répondre à cette question, voici deux exemples.

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) regroupe comme centrale syndicale 62, 000 professionnelles organisées dans 60 syndicats et réparties dans 152 établissements de santé. Avec la loi décret du gouvernement Charest cette centrale syndicale a dû élargir sa représentation aux membres de la strate 4 décrétée par le gouvernement. Cette nouvelle situation a fait que presque la totalité des infirmières et infirmières auxiliaires est maintenant syndiquée à la FIQ. Ainsi, 92 % des membres de la FIQ sont des femmes. On peut donc parler d’un syndicat de femmes et voir la volonté des femmes de rester sur le marché du travail et d’améliorer leur statut et leur situation. C’est un bon exemple pour l’autonomie économique des femmes et leur place sur le marché du travail.

L’autre exemple c’est la syndicalisation des éducatrices des Centres de la Petite Enfance. Elles sont passées de gardienne d’enfants moins payées que les gardiens de zoo à éducatrice à la petite enfance avec diplomation de cégep et salaire décent. Elles ont lutté pour d’autres avantages sociaux, dont le régime de retraite. Leurs batailles ont construit le réseau de la petite enfance en créant des emplois attirants pour les jeunes femmes et un milieu de vie vivant et humain pour les enfants.

La syndicalisation de ces femmes en santé et en petite enfance a permis aux femmes d’affaiblir le chaînon qui relie travail gratuit à la maison et cheap labor sur le marché du travail. Ces femmes sont bien payées, revalorisées dans leur travail et très organisées pour résister à la perte de leurs acquis.

Et elles ont été les premières à subir les foudres des politiques néolibérales que ce soit dans les coupures de postes, dans le gel des salaires, dans le refus de reconnaître leur compétence, dans la préférence du secteur privé et des agences de placement. Mais leur solidarité a fait que ces femmes ont conservé leur place sur le marché du travail et lutté efficacement pour conserver leur pouvoir d’achat.

Mais surtout ces femmes ont joué un rôle essentiel dans notre société en posant l’importance de l’humanisation des soins et des services à la petite enfance. Si elles avaient fait le « choix » de rester à la maison, ce rôle social et collectif n’aurait pas pu être reconnu dans l’ensemble de la société. Le fait de briser l’isolement et l’enfermement dans la maison et la famille et de réintégrer la sphère publique a permis de sortir du silence le travail gratuit des femmes et de faire reconnaître l’importance de ces tâches pour l’humanité. Un libre choix individuel n’est rien à comparer avec une reconnaissance sociale du travail des femmes.

Mais surtout le choix individuel ne remet pas en question les liens entre le patriarcat et le capitalisme. Car ces liens obligent les femmes à être d’abord des ménagères avant d’être des travailleuses. Les femmes n’ont qu’un accès sur le marché du travail conditionnel au travail gratuit dans la maison. Rendre le choix de rester à la maison accessible tant aux hommes qu’aux femmes (en terme d’égalité, ce qui demeure théorique, car les femmes risquent de faire ce choix vu qu’elles sont moins rémunérées sur le marché du travail) ne permet pas de briser les liens entre capitalisme et patriarcat, car il maintient une sphère privée versus une sphère publique. Il maintient l’isolement. On ne peut renverser ces liens en proposant des valeurs d’égalité et de disponibilité aux enfants. Il faut des mesures qui brisent réellement le privé du public. Et ces mesures ne peuvent se faire que par l’organisation collective des personnes. Qui va porter les revendications ? Qui va organiser les actions ? Le choix individuel ne peut organiser les gens. L’organisation collective des gens dans la sphère publique sur le marché du travail peut permettre la mise en place de services collectifs qui remplacent le travail gratuit à la maison et posent de vrais rapports affectifs, amicaux et enrichissants débarrassés du fardeau du travail domestique.

C’est pourquoi la syndicalisation des femmes sur le marché du travail est si importante. Les femmes organisées collectivement peuvent faire réfléchir l’ensemble de la société. Souvenons-nous de la colère des douces pour faire comprendre l’importance des infirmières dans le réseau de la santé et surtout l’importance de les payer adéquatement. Organisées collectivement, les femmes peuvent faire émerger de nouvelles problématiques, de nouveaux questionnements. Elles passent du « je » au « nous », de l’individuel et du choix au collectif. Elles posent constamment des questions sur la double ou triple journée de travail, sur des mesures de conciliation famille travail, sur les services à la petite enfance.

C’est ce même processus qu’a fait l’AFEAS pour expliquer la situation des femmes au foyer, celles travaillant avec leur mari dans l’entreprise et sur le régime de retraite pour les femmes. L’Association des femmes agricultrices a quant à elle parlé du sort des femmes en agriculture. Les femmes seules isolées dans leur maison gardent le silence. Leur regroupement permet de rendre publique leur situation.

Les femmes regroupées dans les centres de femmes partout à travers le Québec ont démontré l’importance des cuisines collectives pour le mieux-être et la santé des femmes. Elles ont aussi informé les femmes sur leurs problématiques. Les femmes ont ainsi connu l’importance de l’entraide et de l’organisation.

L’action collective et organisée des femmes demeure essentielle si on veut changer le monde et vivre autrement.

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