Édition du 23 avril 2024

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Enfance

Garderies privées : les fermer ou les syndiquer ?

Il y a un mois, Presse-toi-à-gauche reproduisait un communiqué du président de la CSN dans lequel était repris le discours tenu par tous les organismes gravitant autour des CPE depuis une vingtaine d’années au sujet des garderies privées, à savoir : il faut les fermer au plus vite car elles ne sont pas de bonne qualité et parce qu’il n’y aucune raison à ce que l’argent des contribuables soit ainsi détourné vers des propriétaires sans scrupules. Ces temps-ci, ce genre d’appel adressé au gouvernement se fait dans un contexte de crise particulière, alors que des milliers de parents n’arrivent pas à trouver de place où faire garder leur enfant.

Quelques jours après que j’aie lu ce communiqué, j’en lis un autre, repris par les médias traditionnels et émis cette fois par les associations de propriétaires des garderies privées en question, plus spécifiquement celles dites « non subventionnées ». Ces propriétaires appellent leur propre personnel, éducatrices comprises, à rien de moins que de faire la grève pour forcer le gouvernement à établir une parité de salaires et de tarifs entre ce qui prévaut dans leurs établissements et ce qui prévaut dans les CPE. Elles ajoutent les affirmations suivantes pour justifier leurs manifestations devant le parlement : au moment où les listes d’attente s’allongent dans les autres segments du réseau, aussi bien en milieu familial qu’en CPE et dans les garderies privées dites subventionnées, dans leur secteur à elles, celui des garderies dites non subventionnées, 25% des places seraient actuellement vacantes parce que les parents n’auraient pas les moyens d’assumer le surplus que cela implique, même avec le crédit d’impôt qui leur est octroyé. Autre affirmation : aussitôt qu’elles en ont l’occasion, leurs éducatrices s’en vont travailler en CPE parce que les conditions de travail y sont nettement supérieures. Enfin, ces propriétaires profiteuses prétendent se retrouver elles-mêmes à la fin du mois avec un revenu personnel de beaucoup inférieur à celui des directrices de CPE.

Je sais trop bien que pour la majorité des gens, ce jargon de garderies privées subventionnées et non subventionné, CPE, milieu familial et autres, est tout à fait incompréhensible. Il l’est un peu moins pour moi qui ai connu ce milieu sous divers angles ces quarante dernières années, tout d’abord comme parent puis comme travailleur en garderie communautaire, ensuite comme syndicaliste dans ce réseau et maintenant comme grand-père d’enfants qui vont dans une garderie privée (non par choix idéologique de leurs parents, bien sûr, mais parce qu’aucun CPE n’est accessible dans leur quartier).

Ce jargon propre au réseau des garderies me parle donc un peu plus qu’à d’autres, mais j’avoue avoir moi-même beaucoup de misère à saisir qui dit faux et qui dit vrai dans ce qui se passe actuellement. Est-il vrai, par exemple, que la vraie pénurie actuelle d’éducatrices est celle qui existe dans ces garderies privées, et non dans les CPE ainsi que le prétend Jacques Létourneau, parce que les salaires et avantages sociaux y seraient de 30% inférieurs, si ce n’est davantage ? Sans mentionner que les ratios qui y sont plus élevés, non pas parce que la loi le permet au sens strict mais parce que les revenus globaux de la propriétaire l’incite à les maximiser à toute heure de la journée, ce que les CPE n’ont pas à faire, vu leur marge de manœuvre financière plus grande ? Serait-il possible, par hasard, que les fameuses conclusions d’études universitaires quant à la piètre « qualité » de ces garderies soient attribuables à ces conditions de travail et au roulement de personnel qui en découle, bien davantage qu’à la structure légale de la corporation où les enfants se trouvent ?

A-t-on déjà fait pareille comparaison quant à la « qualité » entre les écoles privées et les écoles publiques ? Se pourrait-il que de telles conclusions en seraient alors inversées, que la « qualité » se révélerait bien meilleure dans le privé tout simplement parce que les profs y fonctionnent dans un environnement moins surchargé, dans des locaux plus grands, disposent de plus de temps pour s’occuper des jeunes, etc. ? Pourquoi ont-ils cela : se pourrait-il que ce soit parce que leurs écoles en ont les moyens financiers, bien plus que parce que son statut légal est de tel ou tel ordre, privé, semi-privé, sans but lucratif, etc. ? Ce statut légal a son importance pour ce qui est de l’autonomie du personnel mais n’en a aucune quant au service que les enfants reçoivent, selon ma petite expérience du moins.

Faute de s’en être préoccupés au bon moment et de la bonne manière, nous en sommes donc rendus aujourd’hui à une situation surréaliste où ce sont des propriétaires qui se font les porte-parole de quelque 7 000 éducatrices travaillant dans 1250 garderies privées, pendant que les centrales syndicales rédigent des communiqués de presse pour inciter le gouvernement à mettre en chômage ces mêmes éducatrices, ni plus ni moins. Nous en sommes à une situation tout aussi surréaliste où ce sont ces mêmes propriétaires qui réclament que les quelque 50 000 parents fréquentant ces garderies paient le tarif universel appliqué dans les autres secteurs depuis des années, pendant que le mouvement des garderies sans but lucratif, jadis porteur de cette revendication, s’y oppose.

Serait-ce trop demandé que le président de la CSN mandate son service de recherche pour nous décrire ce que sont véritablement, en 2021, les conditions de travail de ces 7 000 travailleuses en garderies privées dites non subventionnées ? Pour mandater son service de syndicalisation d’imaginer enfin une stratégie visant à améliorer leurs conditions de travail ? Pour convaincre une de ses fédérations d’y mettre argent et énergie, comme cela avait fini par se faire, difficilement mais par se faire tout de même, dans le réseau des garderies sans but lucratif, durant les décennies 80-90 ? Et pourquoi ne pas y ajouter une perspective réaliste à proposer à ces travailleuses en vue qu’elles contribuent éventuellement à ce que les garderies où elles travaillent deviennent un jour des entreprises sans but lucratif ? Des entreprises sans but lucratif et même autogérées, pourquoi pas, des coopératives de travailleuses, quant à rêver ! Ne serait pas là des objectifs à mener en concertation avec les travailleuses de services de garde déjà dans les rangs de la CSN et d’autres centrales syndicales, d’ailleurs, celles des CPE et du milieu familial, plutôt que les inciter continuellement à se mettre en concurrence les unes les autres ?

La raison d’être première d’un syndicat, à ce que je sache, c’est de syndiquer les gens, pas de rédiger des communiqués de presse. Les syndiquer pour faire en sorte que ces gens aient une prise sur leur avenir collectif, y compris donner leur avis sur l’avenir de leur entreprise. Dans le cas des garderies privées, on dirait que la CSN demande cet avis à plein de gens mais pas à elles, pas aux travailleuses qui s’y trouvent. Quelqu’un peut-il nous expliquer pourquoi, par communiqué de presse ou autrement ?

Yves Rochon

Voici les deux sources d’information auxquelles il fait allusion dans ce texte d’opinion :
https://www.pressegauche.org/Services-de-garde-educatifs-Un-livre-blanc-vraiment
https://www.journaldemontreal.com/2021/03/23/assemblee-nationale-des-garderies-non-subventionnees-vont-manifester-mercredi

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