Édition du 23 avril 2024

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Afrique

Incurie et calamités à Mayotte : les dessous de la crise de l'eau

Les calamités qui s’abattent sur Mayotte changent de nature. Après les fléaux administratifs que l’État fait ruisseler sur les populations pauvres, survient une crise de l’eau qui ne discrimine pas. Ayant déjà prouvé son incapacité à permettre la satisfaction de ses besoins fondamentaux, les autorités montrent leur incompétence à garantir les besoins vitaux de la population.

Tiré du blogue de l’auteur.

Les calamités qui s’abattent sur Mayotte changent de nature. Après les fléaux administratifs que l’État fait ruisseler sur les populations pauvres, survient une crise de l’eau qui ne discrimine pas. Ayant déjà prouvé son incapacité à permettre la satisfaction de ses besoins fondamentaux, les autorités montrent leur incompétence à garantir les besoins vitaux de la population.

Viser les étrangers et les Mahorais pauvres

Jusqu’à présent le gouvernement, à travers son préfet et des lois toujours plus menaçantes, s’attaquait, sans retenue ni commisération, aux habitants les plus déshérités dont il s’évertue à saper la vie quotidienne. La séquence du Wuambushu avait mis en lumière sa propension à cibler les plus pauvres de la Nation dont il semble ne supporter ni la vue ni la présence.

Cette opération fut plus un aveu de maltraitance que la promesse de lendemains radieux. Plus personne désormais n’ignore la manière dont la France administre son ile lointaine.

Cette opération brutale, menée avec le soutien enthousiaste des couches les plus aisées de l’ile, relance une politique conduite sans discontinuité depuis au moins le référendum d’autodétermination de 1975 qui avait permis à la France de revendiquer sa souveraineté sur une terre soudain séparée de ses voisines dans l’archipel des Comores.

Telle apparait la configuration géopolitique qui permet à la France de dissimuler les mauvais traitements dont elle accable les Mahorais sous une lutte aussi inefficace que contre-productive contre une immigration largement aggravée par les modifications et les dénis du droit.

Il apparait qu’un tel acharnement dans la maltraitance menée depuis à présent un demi-siècle a structuré la population selon des statuts variés de façon que sa composition se partage à présent entre trois catégories facilement identifiables : les métropolitains blancs appartenant la plupart à la fonction publique nationale qui séjournent temporairement à Mayotte : les Mahorais relevant de la fonction publique nationale et territoriale ; et tous les autres dont les avantages varient faiblement selon leur nationalité, et selon leur statut d’étranger en situation régulière ou non.

Le statut administratif des habitants détermine l’accès aux positions et aux revenus qui leur sont attachés de manière absolue : les mécanismes correctifs de la redistribution jouent très faiblement sachant que les revenus sociaux représentent seulement 6% de l’ensemble des revenus (contre 29 % en métropole)[1].

La grille de distribution des revenus publiée par l’INSEE montre que les catégories de populations découlent directement de la politique conduite depuis des décennies. Ainsi on découvre que le revenu médian (260 € mensuel) correspond à peu de choses près au revenu social du RSA servi à Mayotte (288 €) ; cette prestation du reste minorée sépare la population en deux parties égales selon la nationalité puisque seuls les Français et les rares étrangers titulaires d’une carte de résident sont éligibles aux revenus sociaux alors que les gens venus des autres iles sont exclus de tous les dispositifs de la solidarité nationale quel que soit leur statut administratif.

Le niveau du taux de pauvreté lui aussi livre des enseignements précieux sur les conséquences de la politique menée sur la formation de catégories de population : trois habitants sur quatre sont pauvres et les 10% les plus aisés perçoivent un revenu mensuel supérieur à 1800 €. Dans ce décile des hauts revenus se trouvent les métropolitains et les agents de la fonction publique qui touchent un traitement supérieur de 40% à leurs homologues appointés dans l’Hexagone.

A l’inverse, le SMIG horaire de Mayotte, qui s’établit à 80% du SMIG national permet de s’élever tout juste au-dessus du seuil de pauvreté, et les prestations sociales, réservées aux nationaux mais inférieures à celles versées en métropole, installent tous les Mahorais au-dessus du revenu médian sans les affranchir de la pauvreté.

Voici donc un département dont la population étrangère représentait, en 2018, 42% des habitants, un département dont 42% également appartiennent à la catégorie des bas revenus se situant sous le seuil de pauvreté local estimé à 160 € mensuels, et où 40 % des logements sont des cases en tôle dont le pouvoir a décrété la démolition. L’État français, et les divers collectifs de citoyens de Mayotte, peuvent ainsi convaincre que la résolution des maux de l’ile passera par le règlement de la question migratoire en oblitérant une moitié de la population. L’obsession des étrangers, qui travaille l’esprit des politiques en responsabilité, les conduit parfois à des maladresses comme celle récente du ministre de l’éducation nationale en visite à La Réunion à l’occasion de la rentrée scolaire. Enclin à imputer spontanément aux gens venus d’ailleurs toutes les misères locales, il s’est fourvoyé dans des doléances au sujet d’une école « concernée par une immigration importante des personnes d’origine mahoraise ou comorienne scolarisées ici », oubliant que Mayotte étant française, ses habitants le sont également.

Discriminer selon l’origine géographique et initier des politiques agressives contre des populations déshumanisées deviennent des marques de fabrique de nos gouvernements. L’opération Wuambushu en porte témoignage.

Car de quoi s’agissait-il sinon d’intensifier, durant les deux mois d’avril et de mai 2023, des mesures de contrôle administratif sur la voie publique et des expulsions massives des personnes soi-disant en situation irrégulière mais non dénuées de droit de résider à Mayotte.

De quoi s’agissait-il sinon de poursuivre le programme de résorption de l’habitat insalubre, commencé depuis octobre 2020 et de l’accélérer, mais sans construire au préalable des logements accessibles aux familles dont on détruit les maisons. Pourrir la vie des étrangers de sorte qu’ils dégagent par eux-mêmes, voici l’intention explicite de toutes ces manœuvres.

De quoi s’agissait-il sinon de s’attaquer à une insécurité imputée aux enfants d’étrangers dont les édiles refusent l’inscription à l’école[2], dont les policiers reconduisent les parents dans les iles voisines les faisant orphelins, dont l’État laisse l’entière charge aux parents en leur refusant l’accès aux allocations familiales, aux primes de rentrée scolaire.

Tout est à l’avenant : tirant prétexte de l’illégalité de leur présence sur l’ile de Mayotte, l’État français interdit aux Mahorais situés sous le seuil de pauvreté national et toute la population étrangère, venue la plupart des Comores, la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires et l’exercice de leurs droits. L’accès aux ressources, à un toit, y est systématiquement combattu par la lutte contre le travail informel, contre l’habitat insalubre, menée par les agents de la préfecture et les édiles municipaux avec une efficacité redoutable.

Et atteindre tout le monde

La crise de l’eau surgit comme une conséquence ultime de l’incurie des élus, responsables politiques, et administrateurs notamment de la Société Mahoraise des Eaux (SMAE). Depuis 2016, voici donc six années, la méthode des tours d’eau, qui ferment à tour de rôle les robinets des quartiers, des villages et des villes, se répètent après de brèves périodes de répit. Cela fait deux ans déjà que la commune de Mamoudzou est soumise à deux coupures d’eau hebdomadaires de 17 heures à 7 heures le lendemain. Parfois des fermetures intempestives s’ajoutent à ce rythme sans que les autorités songent à en informer les populations. La même infortune frappe l’ensemble des villages de brousse. Les efforts consentis par les Mahorais ne leur apportent aucune gratification puisque les coupures nocturnes sont passées à trois, quatre, cinq par semaine pour enfin se bloquer dans une quasi permanence infernale[3].

Ainsi pour exemple, dans la semaine du 4 au 10 septembre, le réseau de Mamoudzou centre alimente en eau les abonnés tous les jours de 8 heures à 16 heures du lundi au samedi. Les habitants seront privés d’eau toutes les nuits de 16 heures à 8 heures du matin et les dimanches. Les habitants du village voisin de Mtsapéré dans la commune de Mamoudzou seront fournis en eau le lundi de 8 heures à 16 heures, du mercredi 16 heures au jeudi 16 heures et du samedi 16 heures au dimanche 16 heures. Les villages de brousse seront servis à la même enseigne, au rythme de 24 heures de fourniture contre 48 heures de privation selon des plannings différents. Pour compliquer la situation, ces plannings ne suivent pas une cadence de métronome[4]. La coupure peut être avancée de 16 heures à 13 heures ou autres déconvenues dues aux caprices insondables dus à l’état dégradé du réseau.

Déjà dès la première semaine de la rentrée, écoles et lycées sont contraints de renvoyer les élèves à la maison, les conditions d’hygiène n’étant pas assurées[5].

Lors de la crise de l’eau de 2016, des promesses avaient été faites et des engagements pris par les autorités et le gouvernement : sans droit de suite apparent puisque la situation n’a fait que s’aggraver. Il est constant d’entendre que l’entretien du réseau de distribution est mal assuré, qu’en 2020 déjà « 26% de la consommation en eau à Mayotte passe dans les fuites du réseau[6] », que « depuis 2016, un vaste chantier de repérage et de colmatage des fuites est annoncé. 40 % de la production est encore perdue ainsi six ans plus tard[7]. »

Près de la moitié de la ressource en eau se dilapidant dans les entrailles des canalisations souterraines, les privations imposées aux populations visent plus à éviter des pertes dues à l’incurie qu’à rationner une eau tombée du ciel avec parcimonie.

Le syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (SIEAM) a été épinglé en 2020 par la Cour des Comptes. L’auteur du document s’étonne que : « entre 2014 et 2018, les effectifs ont progressé de 54,4 % [alors que] durant la même période, la productivité par agent a diminué de 53 223 € à 2 374 €[8]. » Il ne comprend pas davantage que « l’assistant du président avait bénéficié d’une augmentation de 24 % de son salaire trois mois après son recrutement en décembre 2016[9] ».

Pourquoi de telles pratiques cesseraient-elles ? La mesure de la corruption à Mayotte n’a jamais été réellement prise. Et pourtant, la population, témoin inlassable de son infortune, écoute s’égrener les condamnations par le tribunal judiciaire ou la Cour d’appel de ses élus qui n’hésitent pas à se servir et arroser leur clan. Alors que l’opération Wuambushu hantait toutes les consciences, illuminées par la promesse d’en finir avec la délinquance juvénile, plusieurs élus ont été condamnés à des peines de prison et d’amende : le 28 mars 2023, le maire de Tsingoni a été condamné à douze mois de prison avec sursis, 15 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité de trois ans pour prise illégale d’intérêt (voir ici) ; le maire de Chirongui a été condamné le 3 mai à dix-huit mois de prison avec sursis et 15.000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité ramené en appel à deux ans pour détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et favoritisme, (voir ici) . Le 30 juillet 2023, un conseiller départemental a été condamné en appel à 80 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêt (voir ici).

Pagaille et gaspillage chez les autorités politiques et les responsables des services publics sont directement à l’origine des défaillances dans la production et la distribution de l’eau. Il est vain d’imputer aux bouderies célestes, à la démographie galopante ou à l’immigration massive, les maux de Mayotte. L’ile se meurt, ses habitants les plus aisés commencent à quitter le navire pour rejoindre des contrées plus hospitalières sur le territoire national pendant que les plus pauvres sont condamnés à vivre sur la terre brûlée par l’incurie politique.

L’État français, obnubilé par la question migratoire et hanté par l’esprit résiduel du colonisateur, s’est laissé emporter par la notion illusoire de l’appel d’air. Surtout éviter de rendre alléchante aux étrangers l’ile au lagon. Ainsi il a inlassablement rechigné à accompagner le développement du département factice en fonction d’une prospective justement adaptée aux besoins de la population. La crise de l’eau vient opportunément rappeler les défaillances de ses investissements sur le petit bout de terre lointain qu’il revendique jalousement en l’amputant des réseaux de circulation et de connaissances où il s’irrigue géographiquement et historiquement et en le privant d’une partie de ses habitants historiques sous le motif qu’ils n’appartiennent pas à la nationalité souveraine.

Alors que la crise de l’eau, à Mayotte et ailleurs, rebat les cartes et impose d’autres règles du jeu, la France continue à suivre ses vieilles recettes rancies d’asservissement et de désolation. Que l’île perdue dans l’Océan Indien soit le premier territoire à mourir de soif suffit à démontrer l’ineptie d’une politique dirigée contre les populations pauvres qui sont pourtant les seules à occuper sur notre terre partagée la place qui leur revient sans piétiner sur celle des autres.

Tandis que les Mahorais meurent de soif, la préfecture entend poursuivre sa politique de destruction de l’habitat pauvre. Deux arrêtés sont en attente d’exécution. Imagine-t-elle suspendre un temps cette politique obstinée pour mettre toute son énergie à donner une réponse efficace au problème vital auquel l’ensemble de la population est douloureusement confronté plutôt que de pourrir davantage la vie des plus pauvres ?

Il est cocasse d’observer qu’en même temps qu’elle s’engage dans une politique résolue mais mensongère de résorption de l’habitat insalubre, elle est en train de dégrader tous les logements de Mayotte en les privant de l’eau courante. Pourtant, ne serait-il pas judicieux de se demander si compte tenu de l’état de pauvreté dans lequel vivent les trois quarts des habitants de Mayotte, les habitats bâtis de matériaux légers et de tôles ne sont pas, en la circonstance, les mieux adaptés à la situation critique qu’ils traversent sans entrevoir la moindre clarté à l’horizon.

Surtout s’ils sont dotés de toilettes sèches.

Notes

[1] Toutes les données économiques citées ici sont à consulter dans : INSEE Analyses Mayotte n° 25 de juillet 2020 : « Revenus et pauvreté à Mayotte en 2018 », en ligne ici.

[2] D. Hamza, « Mayotte, l’inquiétant phénomène des enfants non scolarisés », Gazeti, le 7 septembre 2023, en ligne ici.

[3] MAYOTTE Hebdo, le 3 juin 2023, « Crise de l’eau : une quatrième coupure hebdomadaire sera instaurée le lundi 12 juin », en ligne ici.

[4] Gazeti, le 7 septembre 2023, « Calendrier des tours d’eau à Mayotte : la SMAE simplifie », en ligne ici.

[5] Mayotte la première, le 5 septembre 2023, « Crise de l’eau à Mayotte : Évacuation au lycée Younoussa Bamana », en ligne ici ; et le 8 septembre 2023, « Les écoles élémentaires de Koungou touchées par des fermetures », en ligne ici.

[6] MAYOTTE Hebdo, le 14 septembre 2020, « Pourquoi Mayotte manque-t-elle (encore) d’eau ? », en ligne ici.

[7] Grégoire Mérot, « À Mayotte, la crise de l’eau perdure sur fond de gabegie gouvernementale », dans Reporterre, le 6 septembre 2023, en ligne ici.

[8] Chambre régionale des Comptes de Mayotte : RAPPORT d’observations définitives. Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte. (Département de Mayotte) Exercices 2017 et suivants. Octobre 2019. Page 25. En ligne ici.

[9] Ibidem, page 26.

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Daniel Gros

Retraité de l’Education nationale ; Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou ; Mamoudzou - Mayotte

https://blogs.mediapart.fr/daniel-gros

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