Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix
« La fonte des glaces » : voici une œuvre remarquable, tant par son scénario serré servi par des dialogues courts et punchés, que par le jeu de son héroïne Christine Beaulieu, dans un rôle physiquement exigeant qu’aucune autre comédienne n’aurait pu assumer. Vous avez droit de soupçonner subjective la critique de celui qui l’ayant choisie artiste pour la paix de l’année 2020 est sensible au scénario d’une idéaliste en butte à un système carcéral rigide, comme les APLP le sont face aux gouvernements, aux médias officiels et à l’armée.
Mais on trouvera vite des raisons d’adorer ce film avec son adéquation symbolique d’images de glace sur le St-Laurent que chevauche en canot la lutte solidaire de prisonniers sous la supervision de leur monitrice, leur inculquant ainsi, sans bla-bla moralisateur, la vigueur et l’entraide en équipe d’un sport dont tous sortent vainqueurs. De telles sorties qui exigent des moyens de surveillance et d’équipements exceptionnels suscitent la jalousie des « screws » traditionnels, préférant la discipline astreignante d’exercices punitifs en vase clos. Ceux qui ont connu la prison y verront soit une facilité, soit au contraire l’honnêteté du scénario, qui utilise en moteur de contraste idéalisant l’héroïne, l’hargneuse description de gardiens de prison répressifs, tel le regretté Pierre Falardeau dans un de ses chefs d’œuvre, le party (1990), où l’art interprétatif de Lou Babin ouvrait finalement les cœurs endurcis avec la chanson mythique de Richard Desjardins le cœur est un oiseau.
Une actrice à l’engagement imperturbable
L’héroïne du film, Louise Denoncourt, a la force constante, d’une part d’encourager ses prisonniers à s’ouvrir par une sorte de musicothérapie collective primaire mais efficace, et d’autre part, de faire face, sans jamais broncher, à leurs caprices ou dures récriminations, alors qu’ils ont à leur passif une ou des morts violentes, d’où un suspense continu avec une tension qui ne se relâche jamais. Les téléspectateurs/trices de la série cinquième rang qui vient d’achever sa cinquième et dernière année réussie constateront non sans frémir que son papa, un ex-policier rendu dépressif par la mort accidentelle de sa femme, la mère de Louise, est joué par Marc Béland qu’on présente d’abord en proie à une fascination morbide pour la thèse d’un assassinat.
La police ayant conclu à un simple accident, cela suffit à la pragmatique Louise, jusqu’à ce qu’elle rencontre un meurtrier coupable de 21 assassinats commandés, y compris possiblement celui-là, interprété par Lothaire Bluteau venant d’intégrer l’équipe privilégiée supervisée. S’ensuit un intense duel psychologique dont l’issue n’est pas forcément à l’avantage du meurtrier à la solde des Hells, joué par l’acteur charismatique de l’excellent JÉSUS DE MONTRÉAL de Denys Arcand, il y a trente-cinq ans.
Leur face à face est montré avec rigueur, sans la complaisance d’une multitude de films français en milieux carcéraux récompensés par le Festival de Cannes. Mais ce film féministe trop authentiquement québécois risque de passer à la trappe, à moins d’une gymnastique périlleuse de sous-titres nécessitée par les acteurs très bien recrutés pour leur proximité représentative avec de réels prisonniers au langage coloré et populaire.
L’engagement des femmes, le désengagement des hommes
Le Nouvel Obs, qui vient cette semaine de reprendre son nom mythique, révèle le résultat d’un sondage français selon lequel, dans la génération des 18 à 24 ans, les femmes seraient très à gauche à 11,3% (les hommes seulement à 2,6% !) et plutôt à gauche à 21% (les hommes à 17,9%). Effectués au Canada et aux États-Unis, des sondages similaires obtiendraient sans doute des résultats semblables, compte tenu de l’offensive répugnante des droites contre l’interruption de grossesse assistée, contre les garderies et les maisons de femmes battues « trop coûteuses », contre les transgenres et le wokismei.
Sans tracer de parallèle étroit, j’ai donc préféré « la fonte des glaces » à « l’Hôtel silence », un film de Léa Pool, où l’extraordinaire acteur Sébastien Ricard, engagé dans la vraie vie, joue un homme désengagé qui ne retrouvera une motivation à vivre, un peu trop prévisible, qu’en côtoyant une population résiliente dont une mère exemplaire jouée par Lorena Handschin survivant péniblement à une guerre de cinq ans. L’homme se raccrochera finalement et sereinement à l’amour de sa mère et de sa fille aimée qui n’est pas de lui.
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