Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections présidentielles en France

Le candidat Macron déroule un programme au service du capital

La présentation du projet d’Emmanuel Macron et l’action du gouvernement face à l’inflation prouvent que la logique économique du président n’a guère changé depuis 2017. Elle s’est radicalisée vers une garantie universelle donnée au capital.

18 mars 2022 | tiré du site de mediapart.fr

Avec la proposition d’une obligation de travail de 15 à 20 heures pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), Emmanuel Macron a ouvertement rejoint un camp dans lequel, au reste, il était déjà présent depuis cinq ans : celui qui confond l’aide sociale avec « l’assistanat ».

Mais dans le macronisme réel, le vrai assistanat est ailleurs. C’est celui des entreprises et des détenteurs de capitaux. Et c’est précisément cet assistanat qui se dessine dans l’économie politique de l’actuel régime qui règne en France. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la situation sociale du pays et la réponse apportée par le gouvernement Castex et le projet du candidat-président. Leur priorité est de garantir le capital, quoi qu’il arrive.

La morsure de l’inflation

La question économique centrale du moment réside dans le risque inflationniste, initialement causé par les perturbations des chaînes logistiques et de la production par la pandémie de Covid-19 et aggravé par la guerre en Ukraine. À la fin février, l’indice des prix à la consommation non harmonisés (plus représentatif des prix réellement payés par les ménages parce qu’il n’inclut pas les dépenses de santé remboursées) affichait une hausse annuelle de 3,6 %. Et selon la dernière note de conjoncture de l’Insee, publiée le 16 mars, l’inflation pourrait atteindre, avec un prix du pétrole stable à partir de fin mars, un taux de 4,5 % « au cours du deuxième trimestre ».

L’élément central de cette affaire est qu’à la différence de ce qui s’est passé jusqu’à la fin de 2021, cette hausse de prix commence à se diffuser aux biens et services en dehors des produits énergétiques. À fin mars, l’Insee table sur une hausse annuelle des prix des produits manufacturés de 2,5 % et des services de 2,6 %.

Face à une telle situation, la question immédiate est immanquablement celle du partage du poids de cette inflation importée entre le travail et le profit. Lorsque les entreprises répercutent la hausse des coûts des matières premières dans leurs prix sans toucher à leurs salaires, elles préservent leurs profits. Lorsque les salaires suivent les prix, ce sont les profits qui s’ajustent. C’est là le choix principal de politique économique dans un moment comme le nôtre.

Dans ce cadre, les autorités disposent d’outils permettant de protéger le travail et, partant, la demande. Le premier est le contrôle des prix sur un certain nombre de produits stratégiques, qui contraint les entreprises concernées à réduire leurs profits pour préserver les revenus réels de la majorité de la population. Le second, c’est évidemment une politique de soutien aux salaires, qui permet de faire pencher la balance dans ce partage du coût de l’inflation.

Les perspectives de l’Insee sont, de ce point de vue, inquiétantes. Les salaires français sont incapables de suivre la hausse des prix. Le salaire moyen réel non agricole par tête devrait reculer de 0,4 % au premier trimestre 2022, après un recul de 0,2 % au dernier trimestre de 2021. Or, comme on l’a vu, le pire reste à venir en matière de hausse des prix.

Mais peu importe. Le gouvernement prend des mesures cosmétiques qui évitent de toucher aux bénéfices des entreprises privées, comme le « chèque énergie » ou le « bouclier énergétique ». D’ailleurs, si ces mesures ont pu modérer l’indice des prix, elles n’ont pas préservé les revenus réels des ménages.

Ces derniers sont d’ailleurs en chute libre : l’Insee table sur un recul du pouvoir d’achat par unité de consommation, l’indicateur qui rend compte le plus parfaitement le niveau de vie réel, de 1,4 % à la fin du premier trimestre. Autrement dit : l’érosion des salaires se transmet avec violence au reste de la société puisque les Français doivent vivre de plus en plus nombreux avec ces salaires.

Le « dérisquage » du capital

Cette baisse des revenus des ménages et des salariés n’est pas le fruit du hasard. C’est celui d’une politique économique que le président sortant a promis, le 17 mars, de poursuivre et d’intensifier. La priorité absolue est donnée à la protection du capital et des profits.

C’est évidemment dans ce cadre strict qu’il faut comprendre le nouvel « interventionnisme » d’Emmanuel Macron. Sa «  planification » ou ses « nationalisations » annoncées dans l’énergie ne sont pas ainsi des modifications de la nature de la politique économique macroniste, ce sont des adaptations de cette politique.

L’enjeu est évidemment de fournir le meilleur cadre aux entreprises pour bloquer toute revendication salariale et, in fine, permettre la meilleure génération de profits. De ce point de vue, on demeure dans une logique néolibérale : l’usage de l’État pour le bénéfice du capital.

Or cette logique est, depuis la pandémie, poussée à son extrémité. Les 240 milliards d’euros distribués pour sauvegarder les entreprises et prendre en charge une partie de leurs coûts ont laissé des traces tenaces qui sont au cœur de la nouvelle politique d’Emmanuel Macron.

Il semble que, désormais, à chaque sursaut de la conjoncture mondiale, l’État se presse pour « sauver les entreprises ».

La principale, c’est la logique persistante du « quoi qu’il en coûte ». Certes, officiellement, cette politique s’est terminée au 1er octobre dernier. Sauf qu’il n’en est rien. Les dispositifs de soutien par secteur ont été maintenus, ainsi que celui de l’activité partielle de longue durée (APLD) qui permet d’organiser la prise en charge par l’État à grande échelle des salaires.

Surtout, il semble que désormais à chaque sursaut de la conjoncture mondiale, l’État se presse pour «  sauver les entreprises ». Mercredi 16 mars, le premier ministre Jean Castex et le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire ont annoncé un « plan de résilience  » qui est intellectuellement fondé sur l’expérience du «  quoi qu’il en coûte  » : l’État prendra ainsi à sa charge une partie de la facture énergétique des entreprises les plus gourmandes en électricité.

Le montant de l’aide, en incluant les aides sectorielles plus ciblées pour certains secteurs comme le BTP ou le transport routier, se situe entre 4 et 4,5 milliards d’euros. Certes, Bruno Le Maire a beau jeu de prétendre ne pas « être dans une réponse du type “quoi qu’il en coûte” ». L’ampleur de la crise actuelle n’a rien à voir pour l’instant avec l’effondrement de la première vague du Covid.

Et c’est d’ailleurs bien le problème : au regard de l’impact de la crise sur les résultats des entreprises, cette réponse semble massive. Selon la note de conjoncture de l’Insee, le taux de marge des entreprises, autrement dit ce qui reste au capital lorsqu’on a payé les salaires et les autres coûts de production, ne reculera que de 0,4 point au premier trimestre 2022, à 32,4 %, soit un niveau encore historiquement élevé. Les perspectives d’investissement étaient encore bonnes, avec une hausse globale de 0,8 % sur le premier trimestre.

Autrement dit, rien ne justifiait un tel empressement ni une telle sollicitude du gouvernement. Le capital a largement les moyens d’amortir le choc de la crise actuelle. Mais la réalité, c’est que, désormais, l’État est le garant de la résistance des entreprises aux crises. C’est un élargissement de ce que l’économiste roumaine Daniela Gabor a déjà mis en avant pour le secteur financier : le « dérisquage ».

En clair : l’État prend à sa charge les risques de l’incertitude liée au système capitaliste. C’est un autre nom donné au « quoi qu’il en coûte » et c’est bien la logique de ce qui a été annoncé ce 16 mars et qui, du reste, n’est qu’une première phase puisque Jean Castex s’est dit prêt à élargir le dispositif en cas de besoin des entreprises. Pour preuve : l’APLD, dispositif clé du « quoi qu’il en coûte », a été facilitée et prolongée.

Au titre de cette stratégie, on pourrait aussi placer les mesures dites de « protection » contre l’inflation censées protéger les ménages. En réalité, et à la différence des mesures de contrôle des prix, celles-ci sont des formes de subvention aux prix élevés, où les entreprises peuvent protéger leurs profits, soit par l’augmentation des prix dont l’effet sur le consommateur est pris en charge en partie par l’État, soit directement par une redistribution interne depuis une entreprise publique vers ses concurrentes privées, comme pour le bouclier énergie. Dans les deux cas, il s’agit bien de garantir aux entreprises des niveaux élevés de rentabilité.

Priorité au capital

En parallèle de cette fonction « assurantielle » désormais croissante de l’État, il y a une autre fonction, plus classique, mais toujours aussi implantée dans la pensée macroniste : celle du soutien direct au profit par la baisse du poids de la fiscalité et du coût du travail.

Rappelons que le quinquennat qui s’achève a permis de baisser de 25 milliards d’euros par an le poids de l’impôt sur les bénéfices des entreprises et qu’une grande partie des baisses d’impôts « pour les ménages » a été une baisse sur la détention de capital et ses revenus.

Mais rien ne semble assez pour la logique d’accumulation et voici que, jeudi 17 mars, le président candidat s’est soumis avec application au récit du patronat sur les impôts de production qu’il serait urgent de baisser. Un récit dénué de tout fondement scientifique, mais qui débouche sur la promesse d’une nouvelle baisse de 7,5 milliards d’euros de la Contribution sur la valeur ajoutée (CVAE).

Cette nouvelle promesse est intéressante. La CVAE est un impôt qui n’est pas proportionnel aux bénéfices mais à la valeur ajoutée. En théorie pure, son poids plus important sur la rentabilité incite précisément à améliorer la productivité, autrement dit la capacité de produire plus à moindre coût. Ce serait donc une « bonne incitation », notamment dans le cadre d’une politique d’innovation et de compétitivité. Mais si le but de la politique est simplement le flux de profits et sa redistribution aux actionnaires, alors la CVAE est une entrave.

À cela s’ajoute une vague promesse très inquiétante du programme Macron : celle de « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ».

Avec cette promesse, on voit toute la réalité du projet du président sortant : la fin de toute politique économique et simplement l’accumulation. Tout doit donc être soumis à cette priorité. En particulier le travail. Là encore, un coup d’œil au programme d’Emmanuel Macron permet de le confirmer.

Rappelons que la fonction de l’obligation donnée aux allocataires du RSA de travailler de 15 à 20 heures revient évidemment à fournir aux entreprises une main-d’œuvre gratuite permettant de faire pression sur le marché du travail. Au reste, l’impossibilité concrète de réaliser cette proposition va conduire à une forme de « militarisation » de la pauvreté, où l’on enverra des contingents de bénéficiaires réaliser des travaux ponctuels réclamés par les entreprises au nom de cette obligation. L’effet sur les salariés, notamment les plus pauvres, sera dévastateur.

À cela s’ajoute une vague promesse très inquiétante du programme Macron : celle de « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017  ». On ignore de quoi il s’agit concrètement, mais le terme de « modernisation » en matière de droit du travail est synonyme de flexibilisation et de réduction de la protection du contrat de travail.

Comme les ordonnances de 2017 sont allées très loin, on peut craindre le pire dans ce domaine, comme les contrats zéro heure qui, au Royaume-Uni, permettent de mettre en place du travail à la tâche. Quoi qu’il en soit, ces mesures ont toujours le même effet sur le salaire : celui de le tirer vers le bas. C’est ce qui a été constaté aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis un demi-siècle. Dans un capitalisme de bas régime, où les gains de productivité sont faibles, cela assure un flux de profits croissant. Du moins à court terme, mais c’est là le seul horizon du capitalisme français.

Pour couronner le tout et s’assurer que l’ordre du capital règne à son avantage, le programme du président sortant comporte un ensemble d’éléments de discipline de la force de travail. On retrouve dans ce cadre les mesures de renforcement de la « participation » qui permettent de réduire la rémunération salariale en faisant dépendre les revenus du flux de profits et, finalement, de faire des salariés « des actionnaires comme les autres ». Mais on peut aussi y ajouter des mesures disciplinaires plus directes, comme la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui va accroître la pression sur les demandeurs d’emploi pour répondre au marché du travail.

L’économie politique du macronisme : du travail vers le capital

Une fois ce tableau dressé, on saisit mieux l’économie politique du macronisme à venir. L’obsession de la protection du capital amène le pouvoir à ne voir de problème que dans l’offre. Ce vendredi 18 mars, Bruno Le Maire a, comme lors de la crise sanitaire, prétendu que la crise actuelle était une crise de l’offre et non de la demande. On a rarement vu plus d’aveuglement alors que les marges sont élevées, les investissements (non productifs) dynamiques et la consommation en recul. Une crise inflationniste gérée par l’offre conduit presque immanquablement à une récession profonde. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en 1979-1982, une crise qui a ouvert quatre décennies de croissance faible et de recul de la productivité.

Mais peu importe, la priorité, pour le président sortant, c’est l’accumulation immédiate. Et ce que le candidat a confirmé, sans le dire, ce jeudi, c’est que la fonction du monde du travail était d’ajuster le maintien de cette accumulation. À tout prix. Et c’est là le revers du « quoi qu’il en coûte » : l’absence de prix donné au sauvetage des entreprises va se traduire par une absence de coût social nécessaire à son financement.

Car Emmanuel Macron « dérisque » aussi le secteur financier détenteur de dette française, et le prix de cette garantie est la poursuite de la destruction de l’État social. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre le maintien de l’objectif de retour sous les 3 % du PIB de déficit en 2027, alors même que ce président ne cesse de proclamer au niveau européen que ce niveau n’a pas de sens. Pour réduire le risque ressenti par la finance de marché, il faut donner des gages.

En définitive, ce sont bien les ménages les plus fragiles qui subiront le coût principal de l’ajustement. Ce sont les salariés qui subiront les coûts directs de l’inflation, de la nécessité de renforcer le flux monétaire vers les détenteurs du capital et le dérisquage global des entreprises.

Le fait que le président-candidat ait été muet sur la crise inflationniste confirme que le cœur de sa politique se situe bien dans cette logique. Mais on pourrait aussi évoquer son silence sur le bilan de sa réforme de la fiscalité du capital de 2018, alors même que les évaluations sont désastreuses. Pour un candidat soucieux du dialogue permanent et de la planification, ce silence montre bien que l’objet principal de son projet est la protection du capital.

On voit, d’ailleurs, ici, qu’il n’y a pas de modification de logique majeure, simplement une adaptation à la situation. Le projet, lui, reste le même : la redistribution à l’envers, la contre-révolution fiscale et sociale, la destruction de l’État social.

Romaric Godin

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Élections présidentielles en France

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...