Édition du 23 avril 2024

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Éducation

Le droit de grève étudiant : un droit fondamental

La question du droit de grève étudiant a fait couler beaucoup d’encre depuis un an, à la fois dans les quotidiens de la province, sur les médias sociaux et dans certaines revues académiques. Le gouvernement Charest a été le premier depuis plusieurs décennies à qualifier le mouvement étudiant de « boycott », dans un effort pour l’individualiser, l’affaiblir et le scinder. Les juges de la Cour supérieure du Québec qui ont entendu des requêtes en injonction relatives à la grève ont presque tous adhéré à cette vision et ont indiqué qu’il était douteux que les étudiants bénéficient d’un tel droit.


L’auteur est étudiant en droit à l’Université McGill, vice-président aux politiques et statuts de la section Québec du NPD et membre du C.A. du Jeune Conseil de Montréal. Impliqué dans plusieurs autres initiatives communautaires. Tiré du journal Point de fuite.

Cependant, ces jugements interlocutoires souvent rendus dans l’urgence n’ont pas eu l’occasion de se pencher réellement sur la question et de la trancher sur le fond. De plus, le gouvernement Marois a indiqué à plusieurs reprises par la bouche du ministre Pierre Duchesne que le droit de grève serait un des sujets traités à l’occasion du Sommet sur l’enseignement supérieur, et qu’il n’était pas fermé à l’idée de le reconnaître et l’encadrer. 



Il faut donc saisir cet espace de discussion pour tenter de clarifier la nature de la grève étudiante. Lors des prochains conflits, il sera bénéfique d’avoir un cadre clair permettant d’oublier la question de la légalité de la grève pour se pencher sur les revendications de fond du mouvement étudiant.

Globalement, deux obstacles principaux ont été opposés au droit de grève étudiant, soit la définition même de la grève et les lois du travail du Québec et du Canada.



Définir la grève 



La définition de la grève que le gouvernement, les cours et plusieurs observateurs ont retenue est celle qui prévaut dans le contexte des relations de travail, soit « la cessation volontaire et collective du travail, décidée par les salariés, un groupe professionnel dans un but revendicatif ». Pourtant, ce n’est qu’une des multiples définitions de ce mot, qui signifie aussi un « arrêt volontaire et collectif d’une activité, par revendication ou protestation ». La grève n’est pas un concept qu’on peut limiter par les mots ; ce ne serait pas rendre justice à sa riche polysémie.


Certains diront tout de même que sur le plan juridique, la seule définition de la grève qui soit valide est celle inscrite dans les lois du travail. Or, ce serait adopter une vision beaucoup trop restrictive de la signification des mots. C’est pourquoi les juges consultent souvent les dictionnaires pour tenter de définir des mots particulièrement problématiques et leur donner une signification s’approchant de leur sens courant. Même en droit, un mot peut désigner plus d’une réalité.



Qui plus est, la coutume qui s’est développée au Québec depuis plusieurs décennies reconnaît que les débrayages étudiants sont bel et bien des grèves. Il ne suffit pas qu’un gouvernement désemparé tente d’utiliser le vocabulaire comme voie de sortie en qualifiant le mouvement de « boycott » pour anéantir ces années de consensus. Il ne suffit pas non plus que des juges doutent de la nature de la grève étudiante dans leurs jugements, sans pourtant se prononcer définitivement sur la question. La grève étudiante est une grève au sens strict du terme, et non un boycott.



Les lois du travail : obstacle ou tremplin ?



Le second obstacle est celui selon lequel la grève, garantie aux travailleurs par les lois du travail, serait entièrement prohibée hors de ce cadre. Cette affirmation va directement à l’encontre d’un des fondements de notre système de justice, selon lequel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis ». Il est vrai que cet argument est valide dans certains pays qui ont explicitement prévu dans leurs lois ou même dans leur constitution, comme la France, que la grève n’est légale que dans les cas prévus par la loi. Cependant, aucune disposition semblable n’existe chez nous, laissant un vide juridique qui ne peut être comblé que par la position de base. On revient alors au fait que tout ce qui n’est pas défendu est permis. Pourquoi donc ce principe devrait-il s’appliquer différemment dans le cas du droit de grève ?


Par ailleurs, loin d’être contraires au droit de grève étudiant, les lois du travail qui consacrent celui des travailleurs contribuent à soutenir celui des étudiants. Les similitudes entre les lois régissant les syndicats et les associations d’étudiants portent à croire que les deux ont des droits et des obligations similaires, voire identiques dans certains cas, et que l’on peut donc assimiler les régimes l’un à l’autre. Les débats parlementaires entourant l’adoption de la LAFAÉ montrent même qu’il était clair pour les députés de l’époque que les associations d’étudiants étaient destinées à être calquées sur le modèle syndical. En somme, les lois du travail ne sont pas un obstacle à la reconnaissance d’un droit de grève aux étudiants, mais la supportent plutôt.



Le droit de grève des étudiants, un droit fondamental 



Outre ces obstacles, qui ne tiennent plus la route lorsqu’étudiés plus en profondeur, les droits garantis par les Chartes canadienne et québécoise supportent le fait que la grève soit un droit fondamental des étudiants et de leurs associations.


Globalement, la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec garantissent quatre libertés fondamentales : la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de conscience et de religion, et la liberté de réunion pacifique. Loin de les concevoir comme des libertés séparées, la Charte canadienne les regroupe sous un même article et le droit international les considère comme interdépendantes et interreliées. Or, la grève semble bien être la quintessence de ces libertés, puisqu’elle les met toutes concrètement à l’œuvre. 



Non seulement une grève est-elle un moyen d’expression visant à transmettre des revendications, mais elle comporte de nombreuses réunions pacifiques, qu’elles soient sous la forme de piquetage, de manifestations, de marches, etc. De plus, la grève relève de la liberté d’association en ce qu’elle découle et dépend de l’association des étudiants sous une même bannière, qui leur permet de faire front commun et de mener la grève à la réussite. Il semble donc encore plus bizarre que le droit de grève soit balayé du revers de la main par les détracteurs du mouvement étudiant, alors qu’il permet de mettre en œuvre la plupart des libertés fondamentales des étudiants.



Un droit encadré 



Bien sûr, reconnaître le droit de grève des étudiants ne revient pas à leur donner un droit absolu ! Une telle chose n’existe pas, en fait. Plusieurs limites existent déjà, et aucune protection ne serait accordée, par exemple, aux actes violents qui ont été commis dans le cadre des grèves étudiantes. Par ailleurs, comme pour les travailleurs, le Parlement pourrait légiférer pour encadrer ce droit, tant que les limites qu’il instaure sont « raisonnables et [justifiées] dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Un droit de grève étudiant, à l’instar de celui des travailleurs, ne serait donc pas illimité.


Sur le plan politique, est-il désirable de consacrer une telle reconnaissance et un tel encadrement ? Pour le gouvernement, il est indéniable que c’est le cas, puisqu’il pourrait fixer des limites claires et prévisibles dans lesquelles ce droit pourrait être exercé. Pour les étudiants, tout dépend de l’ampleur de cet encadrement, et il faudrait être vigilants et prendre part activement aux débats entourant sa mise en place. Bien qu’une restriction trop grande serait inacceptable, la mise en place de balises claires serait bénéfique pour tous, rendant les futurs conflits relativement plus stables, et évitant qu’un débat stérile sur la grève prenne tout l’espace médiatique, au détriment des questions de fond alimentant le mouvement.


Au final, il faut tout de même reconnaître que le droit de grève étudiant est une question non encore résolue, qu’il vaudrait la peine d’aborder au Sommet sur l’enseignement supérieur, ne serait-ce que pour donner une direction aux actions du gouvernement sur ce sujet. Ce serait à tout le moins un pas dans la bonne direction. 


Notes

1. http://www.cdp-hrc.uottawa.ca/uploads/Le%20droit%20de%20greve%20etudiant%20-%20Brunelle%20Lampron%20Roussel.pdf

2. http://www.ledevoir.com/societe/education/371310/la-reconnaissance-du-droit-de-greve-pourra-etre-discutee-au-sommet-dit-duchesne

3. Petit Robert de la langue française, sub verbo « grève » 


4. Ibid

5. Ford c Québec (PG), [1988] 2 RCS 712 à la p 748, [1988] ACS no 88 ; Syndicat Northcrest c Amselem, 2004 CSC 47 au para 189, [2004] 2 RCS 551 ; R c Decome, [1991] RJQ 618, JE 91-437.

6. R c Boisjoly, [1972] RCS 42 à la p 45.

7. Pour une étude de la question : http://www.cdp-hrc.uottawa.ca/uploads/Le%20droit%20de%20greve%20etudiant%20-%20Brunelle%20Lampron%20Roussel.pdf 
8. Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants, LRQ c A-3.01. 
9. Pour une étude plus poussée de la question : https://dl.dropbox.com/u/3607051/Greve-LibertesFondamentales.pdf 
10. Charte canadienne, art 1.

Jérémy Boulanger-Bonnelly

Étudiant en droit à l’Université McGill, vice-président aux politiques et statuts de la section Québec du NPD et membre du C.A. du Jeune Conseil de Montréal. Impliqué dans plusieurs autres initiatives communautaires.

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