Édition du 30 avril 2024

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Laïcité

Les Solidaires pour un Québec laïque et inclusif : un panel sur Option B

Environ 60 personnes se sont réunies samedi, le 26 janvier pour un panel organisé par le groupe Solidaires pour un Québec laïque et inclusif (SPQLI) au Centre des Loisirs Ste-Catherine. Le groupe est composé de membres de Québec solidaire qui mobilisent la base du parti vers une prise de position en faveur de l’option B, qui permettrait le port des symboles religieux, en vue d’un vote au Conseil national à la fin mars.

par Michèle Hehn et traduit par Paolo Lapointe-Miriello

En attendant ce vote, les 10 député·e·s de QS vont continuer de défendre le cadre Bouchard-Taylor, comme ils et elles le font depuis des années. Le cadre appelle pour une interdiction du port de symboles religieux, tels que le voile musulman ou la kippa juive, pour les personnes en situation d’autorité coercitive, notamment les juges, la police et les gardien·ne·s de prison.

Le contexte plus large est celui de la proposition par le premier ministre du Québec François Legault, et son parti la Coalition Avenir Québec, d’ajouter à la liste de Bouchard-Taylor l’ensemble des employé·e·s de la fonction publique, incluant les enseignant·e·s. Ce projet de loi sera débattu et voté à l’Assemblée nationale en avril.

Le panel de SPQLI a été animé par l’avocate syndicale et membre fondatric de QS, Molly Alexander. Les panélistes étaient : Sibel Épi Ataogul, avocate du droit du travail ; Haroun Bouazzi, fondateur de l’Association pour les musulman·e·s et arabes pour la laïcité ; et Tasnim Rekkik, étudiante à la maîtrise en sciences politiques à l’Université de Montréal. Une période animée de questions et réponses a suivi le panel d’une heure. Voici certains des enjeux adressés par les panélistes, suivis de quelques extraits des réponses du panel.

Mme Rekkik a parlé de l’idée voulant que le voile est un symbole de l’oppression des femmes :

J’ai été frustrée de voir autant de place que cet argument prenait. Mes parents ont vécu la dictature en Tunisie, est ils l’ont payé parce qu’ils ne pouvaient plus pratiquer leur religion. Ma mère voulait porter le voile. Ma mère a décidé de quitter la Tunisie juste pour ça. Certaines [qui voulaient porter le voile] ont fui, d’autres ont été retenues, détenues. D’autres ont été torturées, d’autres violées.

C’est là le danger : c’est de ne pas reconnaître que c’est la dictature qui contraint aux femmes quoi porter, quoi ne pas porter. Je pense que ce sont des histoires qu’on n’entend pas assez souvent. Je trouve qu’une mesure qui touche les femmes racisées, comme moi-même, et les femmes qui portent le voile - je parle de la mesure qui vise à interdire - s’intègre dans le cadre du combat féministe.

On a tendance d’imposer un seul type de féminisme, un féminisme libéral. On a tendance à invalider d’autres types de féminisme. Le féminisme musulman est un vrai mouvement, tout comme le Black féminisme.

Je pense qu’on ne se rend pas compte à quel point il n’y a pas de tribune pour nos arguments. Je voulais répondre à un article par Nadia El-Mabrouk. J’ai essayé de créer un article basé sur mon récit personnel, par rapport au contexte tunisien, le contexte turc, par rapport au choix de porter le voile, et jusqu’à maintenant, personne ne m’a publié.

Dans les débats publics, si on voulait que ça fonctionne bien, il faudrait mettre en avant les arguments de tous et les récits de tous. Il y a beaucoup de façons de penser la neutralité religieuse.

Mme Ataogul a renversé la question de si les juges devaient avoir le droit de porter des symboles religieux :

Je suis une plaideuse, je plaide devant les tribunaux. Il y a peu, ou pas, de juges issus de communautés racisées ici au Québec. Au tribunal du travail, je n’ai jamais vu de juge noir, jamais vu de juge issu de minorités visibles, comme on dit. Il y a une juge femme, une ou deux. Tout le monde est blanc. Personne ne porte le voile. Devant la Cour supérieure, j’ai plaidé devant une juge noire en 15 ans. À la Cour d’appel, tout le monde est blanc. À la Cour suprême, je pense qu’il y a quelques juges qui ont des noms juifs, mais très peu aussi. On est le problème index au Québec. On n’a pas assez de signes religieux dans les tribunaux.

Il faut trouver des arguments, parce que nous sommes tous-toutes dans Québec Solidaire. On pense qu’on est avec des gens avec qui on a beaucoup en commun, et puis on arrive à ce point-là. Je suis très proche à des gens qui argumentent comme ça, comme les députés : « Oui, mais c’est vraiment le compromis, parce qu’on veut passer ça et passer à autre chose. » À la limite, il n’y a pas de réflexion.

Il faut se rappeler : c’est structurel, ce problème-là. Les gens qui se font élire, ils rentrent dans cette structure, ils ont des priorités. Ça devient très, très organisé : à court terme, à moyen terme, à long terme. Ils commencent à discuter avec les autres député-e-s, ils commencent à vivre dans ce système-là.

Il y a une game politique qui commence, et vu qu’on est à l’extérieur de cette game-là, il faut qu’on fasse de la pression.

Et on oublie qu’un juge ou une juge, ultimement, doit appliquer la loi et trancher les différences. Je dis ça parce que c’est de ça qu’on parle quand on parle d’un pouvoir de coercition.

QS n’est pas un parti révolutionnaire, c’est un parti réformiste, donc il veut agir dans l’état et les institutions qui existent. À l’intérieur de ces institutions, le juge a un rôle à jouer. On oublie dans QS qu’on veut réformer les juges, les structures et les institutions des juges. On veut réformer les structures et les institutions policières aussi.

Il y a un problème à l’intérieur de QS. Ce n’est pas un petit débat. C’est la neutralité de la répression qu’on défend.

Haroun Bouazzi s’est exprimé au sujet du racisme systémique, et comment la législation proposée par la CAQ aura un impact sur les personnes musulmanes :

L’objectif de la laïcité c’est la neutralité, la liberté de conscience, et la séparation des institutions. On est en train de passer à côté des objectifs. Pour moi, ce n’est pas acceptable de dire : est-ce qu’un compromis pourrait nous sortir de cette situation ? Si on accepte une position immorale, elle va nous suivre toute notre vie, et tout le monde va souffrir. Si ce n’est pas immoral pour les juges, ce n’est pas immoral pour les enseignant-e-s non plus.

Un angle important que nous avons oublié est que Québec solidaire a appuyé une commission sur le racisme systémique. On se retrouve dans une réalité où les institutions ne sont pas libres d’être racistes contre les noir-e-s, mais le résultat est, quand tu es noir, t’as moins de chance d’avoir accès à certains services. Ça, ça fait partie du racisme systémique. Qui inclut, bien sûr, le profilage racial.

Il y a des cas aussi à Montréal. Une femme enceinte s’est fait agresser par deux jeunes, qui ont tiré sur son foulard et qui sont partis en courant. La police a fait des déclarations publiques pour dire : « Ce n’était pas un acte haineux » parce que, en osant ça. Ils n’ont pas crié quelque chose de haineux.

L’idée de cette loi-là est la suivante : que c’est correct de discriminer une femme qui porte un voile. Et on leur dit : And by the way, love, je vous donne la garantie morale que c’est correct de discriminer contre une minorité basée sur à peu près rien, comme on a vue, on a fait le tour de choses.

Les conséquences pour la société vont être très violentes pour les minorités.

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