Édition du 23 avril 2024

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Extraits

Réflexion sur le discours de Barack Obama : l’état de l’Union

(...) Bien qu’Obama n’ait pas dit mot de l’étalage incroyable de primitivisme que reflète l’usage généralisé et pratiquement indiscriminé d’armes à feu meurtrières dans son pays, son message sur l’état de l’Union exige une analyse politique et éthique dans la mesure où les États-Unis restent une superpuissance dont dépend, entre autres facteurs importants, le sort de l’espèce humaine, indépendamment de leur président et de leur Congrès.

(…) Il est entré dans le vif presque dès le début de son intervention d’une heure :
« L’enjeu en ce moment n’est pas qui gagnera les prochaines élections… L’enjeu est si de nouveaux emplois et de nouvelles industries naîtront dans ce pays-ci… si nous maintiendrons le leadership qui a fait des États-Unis, non simplement un endroit sur la carte, mais la lumière du monde.

« Nous sommes prêts pour le progrès… La Bourse ronfle de nouveau, les profits des sociétés s’élèvent, l’économie connaît de nouveau la croissance. »

Aussitôt après, il s’efforce de nous émouvoir par des mots qui semblent tirés d’un film étasunien bien connu et que dont ceux de ma génération se souviennent : Autant en emporte le vent, qui traite de la terrible guerre civile ayant opposé le Nord industriel et le Sud esclavagiste et agraire, sous la présidence de cet homme exceptionnel que fut Abraham Lincoln.

« Le monde a changé. Et, pour beaucoup, ce changement a été douloureux. Je le vois dans les fenêtres fermées d’usines autrefois retentissantes et dans les vitrines vides de grandes rues autrefois affairées. Je l’entends dans les frustrations des Étasuniens qui ont vu leurs paies diminuer ou leurs emplois disparaître, des hommes et des femmes fiers qui sentent que les règles du jeu ont changé en plein match. »

(…) Obama ne dit jamais un traître mot des grandes sociétés monopolistiques qui contrôlent et pillent aujourd’hui les ressources de la planète. Il ne mentionne jamais l’accord de Bretton Woods, qui a imposé à un monde ruiné par la guerre un système dans lequel les États-Unis ont pris le contrôle des institutions financières et du Fonds monétaire international où ils maintiennent à tout crin leur pouvoir de veto. Il ne dit jamais rien de l’escroquerie monumentale commise en 1971 par Nixon quand celui-ci a interrompu unilatéralement la conversion or/dollar, ce qui a permis aux USA d’imprimer des billets sans aucune limite et d’acheter ainsi des biens et des richesses incalculables dans le monde, rien qu’en payant avec un papier-monnaie dont la valeur n’est plus aujourd’hui, quarante ans après, que 2,5 p. 100 de celle d’alors.

(…) Bien entendu, notre illustre ami ne dit pas un traître mot de la nécessité urgente d’empêcher le réchauffement global de poursuivre sa course accélérée, ni des pluies catastrophiques ni des chutes de neige qui viennent de frapper le monde, ni de la crise alimentaire qui menace actuellement quatre-vingts pays du Tiers-monde, ni des dizaines des millions de tonnes de maïs et de soja que les grandes sociétés étasuniennes destinent à la production de biocarburants, alors que la population mondiale, qui se monte déjà à 6,9 milliards d’habitants, en atteindra 7 milliards d’ici dix-huit mois.

« […] En mars, je me rendrai au Brésil, au Chili et en El Salvador pour forger de nouvelles alliances à travers les Amériques. […]

Au Brésil, soit dit en passant, il pourra constater les dégâts, avec morts et disparus, causés par les pluies sans précédents qui viennent de s’abattre sur Rio de Janeiro et sur Sao Paulo. Il aura ainsi l’occasion de faire son autocritique quant au fait que son pays a refusé de signer l’accord de Kyoto et que sa propre administration a promu la politique suicidaire de Copenhague.

Au Chili, la politique se complique. On peut supposer que quelqu’un devra rendre hommage à Salvador Allende et aux milliers de Chiliens assassinés par la tyrannie de Pinochet que les États-Unis imposèrent à ce pays. À quoi s’ajoute ce dont je parle un peu plus loin. Une autre situation embarrassante doit se produire en El Salvador, où les forces entraînées et éduquées dans les écoles militaires de contre-insurrection des USA, dotées d’armes fournies par les USA, ont torturé et massacré les combattants du FMLN, dont le parti a remporté la majorité des suffrages aux élections encore récentes.

Quant à ce que raconte Obama ensuite, on a du mal à y croire :
« Dans le monde entier, nous soutenons ceux qui prennent leurs responsabilités, aidant les agriculteurs à produire plus de nourriture, soutenant les médecins qui soignent les malades… »

Bien des gens savent ce que font les USA contre nos médecins au Venezuela et d’autres pays latino-américains : tramant des plans pour promouvoir les défections et leur offrant des visas et de l’argent chez eux pour qu’ils renoncent à la dure tâche à laquelle ils se dévouent. Personne n’ignore non plus les accords de libre-échange qu’ils ont imposés et les énormes subventions qu’ils allouent à leurs propres agriculteurs, au point de ruiner les producteurs latino-américains de grains et céréales : ainsi, la production de maïs et d’autres céréales a été pratiquement liquidée au Mexique, qui dépend maintenant de l’agriculture étasunienne.

Dans un pays aussi pauvre qu’Haïti, qui était quasiment suffisant en riz, les transnationales ont ruiné la production en y écoulant des excédents subventionnés et l’ont empêché de se satisfaire et de procurer toujours plus d’emplois à des milliers de travailleurs. À en croire Obama, les États-Unis sont les champions mondiaux de l’assistance médicale et de l’honnêteté administrative ! Mais ce sont là des questions longues et complexes qu’il est difficile d’aborder dans une simple Réflexion.

Je tiens seulement à rappeler que les pays industrialisés sont les principaux pillards de médecins et de chercheurs scientifiques du Tiers-monde. Que le budget militaire des USA dépasse celui de tous les autres pays réunis ; que leurs exportations d’armes doublent ou triplent celles de tous les autres États ; que leurs arsenaux militaires déployés se montent à plus de cinq mille ogives stratégiques ; que leurs bases militaires à l’étranger sont plus de cinq cents ; que leurs porte-avions nucléaire et leurs flottes navales écument tous les mers de la planète… Le rêve américain peut-il être donc « un modèle pour le monde » ? Qui donc le président étasunien prétend-il duper par un tel discours ?
(...)

Le 27 janvier 2011
traduction J-F Bonaldi, La Havane
(tiré du site le Grand soir)

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