Édition du 23 avril 2024

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La révolution arabe

Révolution syrienne : résistance contre consensus

Voilà six mois que la révolte populaire syrienne est réprimée dans le sang par le régime d’Assad. Les appels extérieurs au dialogue entre le pouvoir et l’opposition n’ont pour le moment pas ébranlé la détermination des opposants.

L’évolution relative du discours officiel du gouvernement iranien, l’inflexion du discours du Hezbollah et leur appel au dialogue entre le gouvernement syrien et l’opposition en vue de réformes, tout comme les frémissements diplomatiques, de la Turquie au Qatar, en passant par la Russie ou la Ligue arabe avec l’initiative de cette dernière pour la Syrie, entraînent bien des interrogations sur la réalité syrienne.

Doha a été aussi le théâtre de plusieurs réunions de l’opposition syrienne sous patronage qatari – qui se sont précipitées après la visite de l’émir du Qatar en Iran –, visant à rassembler les différentes composantes de l’opposition dans un cadre unique, conseil national ou autre, à même de parler au nom de toute l’opposition.
De quoi s’agit-il et que se passe-t-il ?

Il s’avère sur le terrain que le soulèvement populaire pacifique, au bout de six mois et malgré les sacrifices énormes consentis dans l’affrontement avec le pouvoir dictatorial sanguinaire, n’a pas encore fait tomber ce dernier. Le régime conserve encore un énorme potentiel de violence et de meurtre. Pourtant ce courageux soulèvement se poursuit et ne s’arrêtera pas malgré tous les moyens de répression de la clique au pouvoir.

C’est une situation révolutionnaire permanente, dans le sens où les couches populaires ne peuvent plus accepter d’être gouvernées comme par le passé, et que ceux qui sont au pouvoir ne peuvent plus gouverner comme avant, les couches moyennes oscillent entre ces deux pôles même si elles commencent à rejoindre les premières.

Le régime n’est pas tombé, pas encore, mais il s’est beaucoup affaibli, a perdu sa légitimité interne et doit faire face à une condamnation internationale pour ses méthodes sauvages. Il n’a pas pu – et ne pourra pas – écraser ce soulèvement populaire permanent. Les réactions des pays impérialistes, des Nations unies, et autres institutions internationales jusqu’aux forces régionales, n’ont jamais réellement décidé de changer le régime militairement, ils jouent le pourrissement de la situation, dans l’attente d’une alternative : leurs réactions critiques viennent de leur difficulté à continuer de se taire sur les massacres de civils perpétrés par le régime depuis de longs mois. Mais ces dernières semaines, ces pays sont à nouveau devenus quasiment muets.

Tout être sensé aura bien noté que ladite communauté internationale (les forces impérialistes) et les forces régionales ont donné et donnent encore au régime un sursis qui se prolonge pour lui permettre d’éteindre le soulèvement, au prix d’une mer de sang et des souffrances des masses.

Aussi l’évolution des discours des gouvernements iranien, russe et de leurs alliés vers le respect du droit du peuple à la liberté – mais ils insistent sur la nécessité d’un dialogue entre le régime en place et l’opposition – place ces deux régimes en position de médiateurs dans ce dialogue. Quelques courants de l’opposition se sont proposés pour collaborer avec ces derniers sur cette base. Les efforts qataris vont dans le même sens.

Il semble évident que l’objectif du consensus irano-russo-qatari est d’entraîner l’opposition (et dans une moindre mesure de rassurer le régime qui refuse toute concession même formelle) vers un dialogue permettant de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’oligarchie au pouvoir, d’empêcher l’effondrement du régime, et de sauver les bases de ce dernier en lui faisant accepter quelques changements formels, passant notamment par la participation de l’opposition au gouvernement.

En face, l’opposition connait une effervescence qui conduit à une redéfinition des alliances et des multiples propositions de voies de sortie de crise. Ceci est compréhensible, après une longue absence d’activité politique en raison de la dictature, mais un sentiment a envahi son discours politique, à savoir que la constitution d’une alliance parlant d’une seule voix (conseil national, transitoire ou autre) serait une condition préalable pour la victoire (sic) ! L’échec de la pléthore de conseils constitués a entraîné une certaine déception dans les milieux de l’opposition et les révolutionnaires sur le terrain.

Or, que l’opposition (réunifiée) doive s’exprimer d’une seule voix correspond avant tout une à demande régionale et internationale (surtout de la Turquie et des pays occidentaux), mais ce n’est en aucun cas une condition pour que le soulèvement progresse ou triomphe ; il semble aussi, au vu des échecs passés, que la réalisation d’une alliance de toutes les forces politiques ne soit pas forcément possible ni nécessaire. Ce qui serait éminemment plus utile : une coalition des forces effectives de la révolution sur la base de principes communs.

Il est plus important d’unifier tous les efforts dans des luttes communes sur le terrain pour renverser la dictature que de bâtir des alliances politiques nouvelles en plus des innombrables congrès et autres rencontres télévisuelles et médiatiques. L’union de tous dans une formation qui prétend être le représentant unique et légitime du peuple syrien (à l’instar de l’OLP) n’est ni possible ni nécessaire.

L’important est de savoir qui ? Pourquoi ? Et surtout : comment ? De fait l’opposition englobe des voix différentes, les unes appelant au dialogue avec le pouvoir (même à des conditions), d’autres à une phase transitoire avec le régime et enfin les dernières appellent à la chute du régime. Là aussi, est-ce que ce sera sous l’impulsion du peuple syrien seul (pacifiquement ou par les armes) ? Par une intervention militaire étrangère ? Ou par une stratégie révolutionnaire permettant aux masses de faire tomber le régime et d’édifier leur pouvoir démocratique ? C’est de cette dernière dont la révolution a besoin et non pas de celle qui propose de constituer tel ou tel conseil national…

Alors, les attentes des coordinations locales (groupes qui organisent les luttes) et des révolutionnaires sur le terrain envers l’opposition pour qu’elle s’unisse ne viennent que de l’absence de stratégie claire pour vaincre la dictature et des illusions de certains que les forces d’opposition traditionnelles (libérales) peuvent en proposer une. Pourtant, au terme de six mois de soulèvement spontané, les révolutionnaires ont compris que ce manque ne sera pas satisfait par les forces de l’opposition traditionnelle qui se concentrent sur une question non essentielle, à savoir celle de son unification à tout prix et du partage du pouvoir.

En tous cas, alors que le régime exécute sauvagement toutes sortes d’assassinats, de tortures à l’encontre des masses révoltées, que le soulèvement n’a toujours pas fait basculer le rapport de forces en sa faveur, tout dialogue avec cette clique sanguinaire au pouvoir ne serait que soumission, capitulation et une trahison de la révolution et des sacrifices consentis par notre peuple.

Ghayath Naisse

Inprecor

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