Édition du 23 avril 2024

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Europe

Tsipras : « Syriza gouvernera pour que revienne la justice sociale »

Le journal grec To Vima a publié dimanche une interview du leader du parti de gauche radicale Syriza, Alexis Tsipras. Plus de deux mois après les élections qui ont permis à Syriza de devenir la deuxième force politique du pays, c’est l’occasion pour le chef de l’opposition de faire part de ses positions, en vue de la rentrée politique qui s’annonce agitée.

Tiré du site de Médiapart.

Angelos Koveos : Monsieur le président, on relève dans les récentes déclarations des dirigeants européens que la Grèce se maintiendra dans la zone euro. Cela vous soulage t-il ?

Alexis Tsipras : Cela ne me surprend pas. Qu’on le comprenne enfin, un retour isolé à la drachme n’est pas possible. Ce qui l’est, c’est un retour à la drachme, mais aussi à la lyre, au peso, au franc et au mark. Parce que le problème n’est pas grec mais européen, il n’a rien à voir avec les paresseux du Sud mais avec l’architecture elle-même de la zone euro. Si celle-ci ne change pas, et que les gouvernements continuent leur politique de soumission aux mémorandums exterminateurs, alors ce ne sera pas seulement la Grèce qui sera en danger d’effondrement, mais l’Europe dans son ensemble. Personne ne peut expulser la Grèce ou n’importe quel autre pays de la Zone Euro. Par contre, ils peuvent très bien nous garder dans la zone euro en tant qu’Etat-Paria, cela fait partie des plans de Mme Merkel. C’est là que nous mène la troïka et le gouvernement tripartite. Et c’est bon de toujours nous rappeler que la Grèce ne se trouve pas là où l’on sait à cause des problèmes structurels de son économie mais principalement à cause de l’effrayante récession provoquée ces deux dernières années. La solution est alors de se débarrasser des mémorandums et de la troïka pour négocier sur un pied d’égalité avec nos partenaires.

Vous maintenez que le pays s’oriente vers la faillite. Une telle possibilite présage des bouleversements politiques dramatiques. La possibilité que vous soyez celui qui prenne en main la situation vous effraie-t-elle ? Peut-être bien qu’au fond, votre parti, Syriza, sera lui aussi une des victimes de la crise ?

La Grèce va lentement mais sûrement dans l’impasse, parce que le Lobby de la faillite qui nous gouverne trompe le peuple, et continue à se livrer aux exigences de Mme Merkel. En ce qui nous concerne, ça ne nous intéresse pas de savoir qui va gérer la faillite. Ce qui nous intéresse c’est d’empêcher que cela arrive. Et pour cela il faut éviter l’application des nouvelles mesures. Le pays a besoin d’un projet alternatif de sortie de crise, et c’est ce projet qui rassemble de plus en plus de forces sociales autour de Syriza.

Quel est donc ce projet alternatif ? Le principal élément des critiques qui sont faites contre vous, c’est le manque de propositions réalistes compatibles avec le contexte européen.

A quel environnement européen faites-vous référence exactement ? Il y a deux ans et demi, nous ne parlions que des grecs paresseux qui avaient coulé leur pays. Aujourd’hui il y a trois pays sous mémorandum sans perspective apparente d’échappatoire, et deux autres, l’Espagne et l’Italie pratiquement dans la même situation. La crise se propage et l’Europe n’a pas les outils pour y faire face. Je vous rappelle que dans le cadre général de notre proposition nous avons formulé et décrit un ensemble de changements structurels profonds qui font valoir une conception autre de l’Europe des peuples, en opposition avec celle qui prévaut actuellement, celle des banquiers. Nous avons proposé la mise en place d’eurobonds, la possibilité pour la BCE de prêter directement aux Etats, la réglementation générale de la dette souveraine des pays du Sud, un moratoire sur le remboursement de la dette avec une clause de développement (Syriza avait proposé l’indexation des taux d’intêrets de la dette sur le taux de croissance, NDT) ou encore le renforcement des possibilités d’intervention de la Banque Européenne d’Investissement. Les différents gouvernements n’ont adopté aucune de ces idées, ils n’ont rien fait d’autre que s’abandonner à la politique catastrophique du mémorandum. Si vous appelez ça du réalisme, alors nous sommes dignes de notre destin.

A l’intérieur de Syriza toutefois, certains continuent à se déclarer en faveur d’un éloignement de la Zone Euro, et d’un retour à la drachme. Comment faites-vous face à cette donnée ? Comment s’accommodent ces contradictions ?

Dans tous les partis il existe des opinions personnelles. Nous n’empêchons personne de les exprimer. Cependant, il est stupide d’essayer de faire croire à des opinions tout à fait différentes -de surcroit de manière faussée- pour créer l’impression que Syriza cache un projet anti-européen qui sera révélé au moment propice pour mener le pays à l’isolement. Les positions officielles de Syriza sont clairement définies et respectées par tout le monde. Nous pouvons discuter, composer, créer une stratégie commune sans que nous effraient les opinions divergentes.

Je voudrais une réponse précise. Comment lutterez-vous contre la fraude fiscale ? Nous avons vu lors des récents événements d’Ydra des membres de votre parti réagir avec une tolérance impressionante à ces cas de fraude fiscale.

Pour faire face à la fraude fiscale, il faut un projet et une volonté politique forte. Si nous n’établissons pas de contrôle des richesses (Syriza propose l’établissement d’une « liste » des richesses détenues par chacun, NDT), avec des peines strictes pour tous ceux qui font de fausses déclarations, si nous ne trainons pas au tribunal les grands bonnets de la fraude fiscale, ceux par exemple qui ont sorti leur argent du pays sans être taxés ou ceux qui ont reçu des commissions de Siemens, il sera impossible de créer une conscience fiscale dans les couches moyennes de la société. Les phénomènes du type Ydra ne doivent pas nous surprendre. D’ailleurs certains qui avaient manifesté leur surprise votaient deux jours plus tard des facilitations de paiement pour les équipes de football, qui doivent d’immenses sommes d’argent à l’Etat. Il s’agit d’une grande hypocrisie. Tant qu’en Grèce, frauder sera une infraction pour les petits, et un droit légitime pour les grands, toutes les tentatives de lutte seront vaines.

Vous parlez de projet alternatif. Quels changements pensez-vous nécessaires pour l’Etat ou les Universités par exemple ? Le modèle d’administration publique vous satisfait-il ? Ne faut-il pas changer la relation entre le pouvoir et les corporations ?

Bien sûr que le modèle d’administration publique ne me satisfait pas. Mais il ne faut pas oublier que les deux partis qui avaient le pouvoir (Nouvelle Démocratie et Pasok, NDT) ont construit le secteur public à leur image, c’est-à-dire dominé par les stratégies clientélistes et le mépris du rendement social. Et ceux qui ont créé le problème prétendent maintenant dissoudre complétement le secteur public et tout céder à la domination des marchés. C’est criminel. Nous ne sommes pas avec l’Etat, nous sommes avec la société. Mais la société, pour respirer, a besoin du secteur public. Les universités par exemple, ne peuvent pas être contrôlées par les managers et les entrepreneurs, puisque ceux-ci, seulement guidés par la valeur de leurs investissements sont indifférents à la valeur du savoir. Par ailleurs, puisque leur critère n’est pas le rendement social, il n’est pas possible que des agents privés procurent efficacement des choses comme la couverture sociale ou les services sociaux. C’est pour cela que je n’accepte pas l’idée selon laquelle nous aurons « ou bien un secteur public misérable, ou bien tout au privé ».

Vous prévoyez de demander un examen constitutionnel du premier mémorandum. En l’état, le rapport de force politique à l’assemblée ne permettrait peut-être pas le vote de votre proposition. Certains disent donc que ce ne serait qu’un mouvement sensationnel classique.

L’examen du premier mémorandum ne faisait-il pas partie des promesses électorales de M. Samaras ? Qu’il s’y tienne. Ou peut-être bien que cela fait partie des péchés pour lesquels il a demandé absolution à Mme Merkel ? Ce n’est pas un mouvement sensationnel, nous souhaitons aller à l’essentiel. L’impératif populaire exige qu’ils nous donnent des réponses décisives sur le comment et le pourquoi une crise de dette « gérable » -comme le statuait le rapport du FMI lui-même en 2009- s’est transformée en tragédie nationale. Le rapport de force à l’assemblée est tel qu’il est, mais ceux qui croient qu’ils réussiront à se cacher derrière les groupes parlementaires pour cacher la vérité se trompent durement.

À quel moment pensez-vous que surviendront des changements politiques dans le pays ? Combien de temps donnez-vous au gouvernement Samaras ?

Je pense que le déclin est proche, et il apparaitra tout d’abord au sein des trois partis qui forment le gouvernement. Déjà, les différents quartiers généraux s’inquiètent sérieusement de la discipline de leurs députés lors du vote des nouvelles mesures d’austérité. Même au sein de la gauche démocratique, qui revendiquait jusqu’aux élections son opposition à la politique du mémorandum. L’accord programmatique des trois partis est déjà devenu une blague, et les équilibres sont trop vulnérables pour supporter le poids d’une politique qu’ils se sont engagés à appliquer.

Vous allez de nouveau vous trouver dans la rue et sur les places ? Êtes-vous toujours une force de contestation ou êtes-vous devenus un potentiel parti de gouvernement, avec les responsabilités que cela suppose ?

Nous ne sommes pas seuls dans les rues et sur les places. Toute la société y est. Aujourd’hui, aucun parti ne peut mobiliser 200.000 ou 300.000 personnes pour des raisons purement politiques. La crise, l’insécurité et la détresse le peuvent. Nous serons partout. Nous serons là, dans les quartiers, et sur les lieux de travail, nous serons aux côtés de toutes les initiatives de solidarité, avec toutes nos forces, mais sans y apposer un quelconque titre de propriété. Et nous serons au parlement, parce que c’est ce mandat là que nous a donné une proportion inédite du corps électoral. Nous ne sommes ni un parti de contestation ni un parti de gouvernement. Nous sommes la Gauche et nous défendrons la société face à la crise par tous les moyens et toutes les forces dont on dispose. SYRIZA est le pilier du milieu progressiste. Le grand parti démocratique de Gauche qui gouvernera pour que revienne la justice sociale et la dignité du peuple.

Beaucoup parlent de tournant dans vos positions… A propos de l’immigration vous ne parlez plus de régularisation de tous ceux qui se trouvent en Grèce. Quelle est votre position ?

C’est effroyable la manière dont un gouvernement, qui est soutenu, soit disant, par des forces de gauche (La gauche démocratique, NDT) adopte une rhétorique populiste propre à l’extrême droite dans le but de détourner les esprits du mémorandum et de la dissolution de la société qui l’accompagne. Le rétablissement de l’ordre dans les quartiers est apparemment leur travail. Mais il nous incombe en tant que pays de répondre à l’exigence d’une politique d’immigration organisée, humaine et efficace. Et non pas ouvrir des centres de rétention ou dénigrer des femmes malades, provoquant de fait un tollé dans la communauté internationale. Cette perspective est inextricablement liée à nos revendications envers l’Union Européenne. Si le gouvernement consent à la révision tentée du traité Dublin 2 -qui laisse notre pays sans aide et le transforme en entrepôt d’êtres humains- alors il portera l’entière responsabilité de la tempête qui nous guette.

Craignez-vous la possible ascension de l’Aube dorée, même si cela va avec le renforcement de votre influence ? Une telle bipolarisation donnerait presque un air de guerre civile…

Ces « bipolarisations » sont faites avec de mauvaises intentions. Quiconque tente de mettre dans un même sac la gauche avec des groupes néo-nazis fait un jeu de communication infâme : salir la gauche pour blanchir ces organisations fascistes. C’est un fait qu’une partie importante du corps électoral, a choisi comme réponse extrême à la crise de voter pour ce parti, croyant voter « contre le système ». Mais ce n’est qu’une semi-vérité. L’autre moitié, c’est que cet espace politique jouit d’une immunité d’une grande partie des médias, mais aussi de la part des forces compétentes en matière de lutte contre la criminalité. Pour Syriza, on ne peut lutter contre les ténèbres politiques qu’en renforçant la conscience sociale. Il faut qu’un maximum de personnes comprenne que la réponse à la crise, c’est l’unité, la solidarité et la lutte. C’est de cette façon que les néo-nazis se retrouveront isolés.

Au fond, avez-vous des doutes que « nous appartenons à l’Ouest » ? A l’OTAN, à l’Europe ? Certains de vos camarades en doutent…

L’Ouest doit faire face à une immense crise, laquelle entre dans une toute nouvelle phase. L’ouest doit voir ce qu’il va faire. Certains pensent que la réponse à la crise, c’est de faire la guerre à l’Iran, les peuples ont un point de vue différent. Le nouvel ordre des choses, que l’on nous a radieusement promis après la chute de 1989 est resté dans l’impasse. La question n’est pas de savoir si nous « appartenons » à un système qui bat de l’aile, c’est de savoir comment nous allons le changer, et comment constituer des alliances internationales qui profiteront le plus largement possible à notre peuple.

Récemment, vous avez rencontré le président d’Israël dans le cadre de sa visite à Athènes. Beaucoup de vos cadres ont réagi, alors que vous n’avez pas fait une seule déclaration.

C’était une rencontre convenue dans le protocole du Président de la République, à laquelle nous avons répondu avec intérêt. Quand il s’agit de politique étrangère, on ne discute pas seulement avec ceux avec qui on est d’accord.

Dans tous les cas, il semble que la position de la Grèce va constituer un facteur déterminant en ce qui concerne le futur énergétique, économique et géopolitique de la région. Quelle est votre opinion ? Pensez-vous par exemple qu’il existe une marge d’accommodation avec la Turquie sur la question de la Zone Economique Exclusive ? (Référence à la fixation d’une ZEE qui pose problème avec la Turquie quant à l’exploitation de ressources pétrolières dans la mer Egée, NDT)

Le droit de notre pays sur les fixations des ZEE découle du Droit de la Mer et il est indiscutable. Cela doit être réglé sur la base d’une collaboration de bon voisinage et de confiance réciproque avec toutes les parties prenantes. Je crains cependant qu’à ce stade le gouvernement, ayant mis le pays dans une situation de liquidation générale, ne soit en mesure de traiter cette affaire au sérieux. Et le nationalisme de droite qui caractérise M. Samaras et sa formation politique n’est pas de bon conseil pour de tels projets. Il existe toujours des marges d’entente tant qu’il y a entre les deux parties une confiance et un respect réciproque du droit international.

Traduction : Mehdi Zaaf

Alexis Tsipras

Leader du parti de gauche radicale Syriza, Grèce

Angelos Koveos

journal grec To Vima

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