Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

L’affaire Haroun Bouazzi, la conscience d’une gauche qui s’esquive

Une défaite principielle cachée par une manœuvre petite-politicienne

Les racistes du Québec — devrait-on employer l’expression euphémique ‘identitaires s’exprimant en langage codé (dog-whistle)’ — seront rassurés que le congrès Solidaire ait voté à une forte majorité « que QS ne soutient pas et n’a jamais soutenu que l’Assemblée nationale et ses membres sont racistes » tout en noyant le poisson dans une résolution pleine de bonnes intentions. Si ni le Premier ministre ni le chef du PQ ne peuvent être traités de racistes quand ils blâment l’immigration pour tous les péchés d’Israël, alors personne au Québec, sauf l’extrême-droite franche et avouée, ne peut l’être. Voilà rassuré le peuple québécois qu’on engonce dans le mensonge systémique. Québec solidaire pourra-t-il ensuite pourfendre la CAQ de ne pas reconnaître le racisme systémique ?

C’est ce que ressent une membre racisée de longue date du parti :

Pourquoi je ne me reconnais plus dans Québec Solidaire ?

J’ai commencé mon militantisme politique en 2003 avec l’Union des Forces Progressistes (UFP), l’ancêtre de Québec Solidaire. […] Ensemble, nous avons résisté à des initiatives discriminatoires, comme la Charte des valeurs du Parti Québécois, et défendu un Québec multiple, accueillant et solidaire. […]

Le désamour s’installe. […]

…une série d’événements a ébranlé ma foi dans ce parti. […] Ma première désillusion est survenue avec la dissolution du Collectif antiraciste décolonial, dont je faisais partie. [De dire une dirigeante du Collectif ] : « Le message clair que ça envoie, c’est que les personnes racisées, les personnes issues de l’immigration, les militantes et militants antiracistes ne sont pas, en fait, les bienvenu·es au sein de ce parti, à moins qu’elles se conforment à la place qu’on leur impose. »

Pour beaucoup d’entre nous, racisé·es, Québec Solidaire avait représenté une alternative au Parti Québécois de la Charte des valeurs et de « l’argent et le vote ethnique ». Nous avions trouvé un espace où nous étions respecté·es et, parfois, protégé·es du racisme ambiant. Cette rupture a été un coup dur.

Des déceptions en série

Malgré cette première désillusion, je suis resté fidèle à QS, car il restait le parti qui représentait le mieux mes idées. Mais le départ d’Émilise Lessard-Therrien et les tentatives de recentrage du parti sous Gabriel Nadeau-Dubois ont accentué mon malaise. On semblait vouloir me retirer tout ce qui me rattachait encore à QS.

Les récentes attaques d’Israël contre la Palestine et le Liban ont été un autre point de rupture. J’espérais voir Québec Solidaire, à l’image de La France Insoumise, dénoncer avec force le génocide en cours. Quelques apparitions timides, notamment de Haroun Bouazzi lors de manifestations pro-palestiniennes, ont laissé un espoir fragile. L’élection de Ruba Ghazal, enfant de la Nakba, comme co-porteparole aurait dû marquer un tournant. Mais juste avant son élection, Haroun Bouazzi a dénoncé le racisme systémique à l’Assemblée nationale, et j’ai vu mon parti, d’une seule voix, le désavouer. […]

Comme un train en cache un autre, ce désaveu réellement existant de l’antiracisme entraîne la promotion d’un nationalisme de gauche… identitaire comme l’exprime un autre militant de longue date du parti :

Commentaire sur l’entrevue de Ruba Ghazal à Tout le monde en parle sur le nationalisme de gauche

Je suis resté sur mon appétit au sujet de la conception du nationalisme identitaire de droite mis en opposition au nationalisme inclusif identitaire de gauche de Ruba Ghazal à Tout le monde en parle.

Pour moi, ça toujours été clair.

Le nationalisme de gauche, c’est d’abord prendre soin de la nation.

Pour ce faire, il faut revoir la fiscalité en imposant les plus riches pour redistribuer la richesse ; créer de nouvelles sociétés d’État comme une banque nationale d’État et nationaliser certains secteurs de l’économie comme certaines richesses naturelles afin d’augmenter les revenus de l’État pour améliorer nos services publics. Ce qui à mon sens dépasse de beaucoup le nationalisme identitaire d’inclusion de gauche.

La véritable inclusion commence par lutter contre les inégalités sociales en augmentant des revenus de l’État pour tous les Québécois quelques soient leurs origines. Ce commentaire ne constitue pas tant une critique qu’une contribution à une conception plus large du nationalisme de gauche qui se limiterait à opposer le nationalisme inclusif de gauche au nationalisme identitaire de droite.

On a peine à croire que la gauche critique du parti se soit laissée manœuvrer par le Comité de coordination nationale qui lui a fait pendre au bout du nez l’éternel argument de l’unité du parti. Est-ce que le racisme tordu de la CAQ et du PQ combiné à l’antiracisme de façade de Québec solidaire (et des Libéraux) sont en mesure d’unifier le peuple de plus en plus pluriel du Québec ? Est-ce que les manœuvres petite-politiciennes qui mènent à des résolutions qui parlent des deux côtés de la bouche en même temps vont raffermir le peuple québécois pour contrer la croisade à laquelle la CAQ l’invite contre la prétendue invasion immigrante, un deuxième Chemin Roxham de clamer le Premier ministre, provoquée par Trump ?

Ces manœuvres ne sont utiles qu’à l’aile parlementaire afin de faire à sa tête, même à humilier son député, quitte à se foutre du congrès comme de l’an quarante. Le divorce entre la militance du parti et son aile parlementaire n’aura jamais été si profond et si visible. Ce gouffre, l’aile parlementaire l’a compris depuis le début de la pandémie où les instances nationales à distance l’avaient malmenée. Elle a par la suite découvert que les zoom (et les réseaux sociaux) lui permettaient, pardessus les instances locales, un contact direct avec les membres dont l’adhésion au parti repose essentiellement sur le filtre médiatique sans pratique de débat interne. Pour boucler la boucle, cette aile vient de réussir une modification cruciale aux statuts stipulant que les porte-parole et, enfin diront les électoralistes et les grands médias, un chef qui seront élus au suffrage universel de tous les membres, contournant ainsi l’agaçante militance en congrès, avec à l’avenant des référendums sur n’importe quelle question jugée pertinente par la direction.

Une politique de gauche migratoire concrètement internationaliste prépare l’accueil des vagues migratoires qui s’annoncent pour cause de politique climatique à la dérive et des guerres qui s’ensuivent sur fond d’un néolibéralisme qui s’extrêmedroitise. Elle le fait en créant des centaines de milliers d’emplois dans nos services essentiels tant publics que privés qui en manquent terriblement. Elle le fait en dotant le Québec d’une politique de logements sociaux écoénergétiques marginalisant ceux privés. Elle le fait en mettant fin à la pseudo-civilisation consumériste du bungalow et du char. Elle le fait en transformant l’agro-industrie en agriculture biologique.

Voilà autant de défis que l’ardeur des nouveaux arrivants saura relever en autant qu’iels soient généreusement accueillis par une planification en conséquence. Celle-ci commande un gouvernement ‘à gauche toute’ mobilisant le peuple travailleur du local au national autant pour la gouvernance de la nation que pour la réalisation du plan.

Marc Bonhomme, 20 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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