Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

Ce n’est pas une « vibrante démocratie ». C’est de l’Apartheid.

Le droit de vote et d’éligibilité est essentiel à la démocratie. Sans lui, il n’y a pas de démocratie digne de ce nom. Ce droit est consacré dans la Déclaration des Droits de l’Homme, qui énonce que « tout le monde a le droit de prendre part au gouvernement de son pays, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement choisis ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

Cependant, tenir des élections ne suffit pas. Les régimes totalitaires s’engagent eux aussi dans un processus auquel ils font référence comme à des « élections », mais ceci n’en fait pas des démocraties. Des élections démocratiques doivent refléter des principes essentiels tels que l’égalité, la liberté et la liberté d’expression. Celles-ci permettent non seulement l’acte même de voter, mais aussi la liberté des échanges d’idées et une participation significative à l’élaboration de l’avenir. Des élections démocratiques doivent également assurer à tous les citoyens un vote qui soit exactement égal à tous les autres et permettre à tous les citoyens de se présenter aux élections, de présenter leur plate-forme et de travailler à la réalisation de leur programme. Les restrictions juridiques sur le droit de vote et d’éligibilité doivent être extrêmement limitées, si même autorisées.

Les prochaines élections générales d’Israël sont vantées, comme d’habitude, comme une ‘célébration de la démocratie’. En aval, nous vérifions s’ils appliquent les standards minimum de la démocratie et nous vérifions quelques faits à propos de l’endroit où nous vivons tous.

La totalité des droits politiques : pour les seuls Juifs, sur la totalité de la zone
Tous les citoyens juifs qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée peuvent complètement participer aux élections générales d’Israël. Ils peuvent voter, se présenter aux élections et promouvoir leur programme de différentes manières. Ils peuvent être élus au parlement et servir en tant que ministres.

Actuellement, environ 10% de la totalité des Juifs qui vivent sous le régime pour lequel on tient les élections résident au-delà de la Ligne Verte, dans plus de 200 colonies construites à travers la Cisjordanie. Grâce au cadre juridique qu’Israël a mis en place, leur droit à une participation politique demeure intact, bien que vivant hors du territoire souverain d’Israël, et ils peuvent voter et se présenter aux élections comme tout citoyen juif vivant à l’ouest de la Ligne Verte.

Les colons ne sont même pas obligés de traverser la Ligne Verte et d’entrer en Israël proprement dit pour voter. Si l’on remonte au début des années 1970, la Knesset a amandé la loi pour permettre aux citoyens de voter dans les colonies. Des bureaux de vote sont disponibles à travers tout le territoire contrôlé par Israël – dans les colonies juives d’Hébron et de Ramat Aviv, d’Ari’el et de Nof HaGalil, à Haïfa et à Jaffa. Le site de la Commission Centrale des Élections distribue les résultats dans tous les bureaux de vote. Ceux qui sont situés à l’intérieur des colonies figurent sur la même liste que ceux qui sont à l’ouest de la Ligne Verte.

Un seul régime à travers la région tout entière.

Moins de droits politiques, si même un seul : pour les Palestiniens seulement, dans toute la région
Les sujets palestiniens qui vivent sous occupation en Cisjordanie et dans le Bande de Gaza ne peuvent pas participer aux élections.

Approximativement 5. 500 000 sujets palestiniens vivent dans les territoires occupés par Israël en 1967 : environ 3 500 000 en Cisjordanie (dont en gros 350 000 à Jérusalem Est) et quelque 2 millions dans la Bande de Gaza. Aucun d’entre eux n’a le droit de voter ou de se présenter à la Knesset, et ils ne sont absolument pas représentés dans les institutions politiques qui régissent leur vie.

Cette réalité persiste en dépit du fait qu’Israël a été le seul pouvoir qui a contrôlé et administré ces millions de vies depuis plus de 55 ans. Israël contrôle les espaces terrestre, maritime et aérien et a conservé les principaux aspects de la gouvernance malgré les changements politiques au cours des années. Israël invoque ces changements pour soutenir son argument selon lequel les résidents des Territoires Occupés peuvent influencer leur avenir par le biais d’autres systèmes politiques – l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie et le régime du Hamas dans la Bande de Gaza. Pourtant, cette affirmation ne colle pas à la réalité.

Voici les faits :

Dans la Bande de Gaza, après avoir déplacé ses colonies et retiré son armée en 2005, Israël a déclaré la fin de son règne sur la zone et l’arrêt de ses devoirs envers les résidents de Gaza, hormis ses obligations minimales en vue de prévenir une grave crise humanitaire. La gestion interne de la Bande Gaza par le Hamas peut étayer cette affirmation et aider Israël à ignorer les 2 millions de personnes qui y vivent. Pourtant, le fait est qu’Israël détient toujours presque tous les pouvoirs relatifs aux résidents de Gaza et détermine ce à quoi ressemble leur vie quotidienne, notamment grâce à son contrôle presque complet sur la circulation des gens et des marchandises dans leur entrée et sortie de la Bande de Gaza.

En Cisjordanie, Israël a soi-disant transféré quelques pouvoirs à l’Autorité Palestinienne. Il a depuis utilisé cette démarche pour perpétuer l’illusion que le pouvoir politique en Cisjordanie est divisé, Israël et l’Autorité Palestinienne agissant chacun indépendamment et comme cela semble convenir aux zones qu’il ou elle contrôle. Israël travaille à maintenir le sentiment que chacun en Cisjordanie jouit d’un système politique auquel il peut participer : les colons votent et se présentent à la Knesset et les Palestiniens à l’Autorité Palestinienne. Cependant, l’Autorité Palestinienne ne peut gouverner que des aspects très limités de la vie dans les centres urbains palestiniens et a généralement besoin, même pour cela, de la permission d’Israël, tandis qu’Israël garde le contrôle sur tous les aspects essentiels de la vie – dont l’usage de la force, les incarcérations, le système judiciaire, la planification et la construction, la liberté de circulation (pour entrer et sortir d’Israël, de Jordanie et de Gaza, ainsi qu’à l’intérieur de la Cisjordanie), les ressources, l’enregistrement de la population et beaucoup d’autres choses. Indépendamment du fait que des élections à l’Autorité Palestinienne soient ou non tenues – il n’y en a pas eu depuis de nombreuses années – le véritable contrôle reste entre les mains d’Israël.

A Jérusalem Est, en annexant la zone, Israël a donné aux Palestiniens qui y vivaient à l’époque un statut de résidence permanente. Ce statut, qui ne confère aucun droit de vote ou d’éligibilité à la Knesset, est généralement donné aux immigrants qui entrent dans le pays. Dans le cas de Jérusalem Est, c’est le contraire qui est vrai : C’est Israël qui est entré dans la zone. Les résidents de Jérusalem Est peuvent, théoriquement, devenir des citoyens et participer aux élections générales, mais le processus est long et complexe, et Israël a délibérément placé des obstacles bureaucratiques sur leur chemin.

Les citoyens palestiniens limités dans leur droit de vote et d’éligibilité

Les environ 1 700 000 Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne peuvent, comme les citoyens juifs, prendre part aux élections générales. Ils peuvent voter pour leurs candidats, créer leurs propres partis ou rejoindre ceux qui existent. Cependant, leur participation politique a été considérée comme illégitime depuis la création même de l’État, en même temps que des tentatives pour restreindre ou nier leur véritable représentation politique.

On ne manque pas d’exemples pour illustrer l’idée très répandue en Israël qu’il faudrait amoindrir, contrôler et réduire la participation politique des Palestiniens et que leur droit de vote et d’éligibilité devrait être vidé de toute signification. Le régime militaire imposé aux citoyens palestiniens jusqu’en 1966 traitait cette population tout entière en ennemis, restreignant sévèrement leur activité politique. Le Mapai (plus tard Parti Travailliste), qui a gouverné l’État et la plupart de ses institutions aux débuts d’Israël, a refusé de prendre des candidats palestiniens jusqu’au début des années 1980 et a créé des partis satellites pour les citoyens palestiniens, décrétant qui se présenterait et comment ils voteraient. Les efforts pour délégitimer la participation politique des Palestiniens se poursuit aujourd’hui, montrant clairement que certains des leaders israéliens et le public largement considèrent cette participation comme indésirable. Ce sentiment a été parfaitement repris dans divers slogans utilisés dans les campagnes électorales, tels que « Netanyahou est bon pour les Juifs » (1996), «  Pas de loyauté, pas de citoyenneté » par le parti de droite Yisrael Beitenu (2009), ou un clip sorti le jour de l’élection (2015) dans lequel Netanyahou, premier ministre d’alors, avertissait que « le gouvernement de droite est en danger. Les électeurs arabes se dirigent en masse vers les bureaux de vote. »

Le message sous-jacent est clair : la participation politique des citoyens palestiniens n’est pas, et ne doit pas être, égale à celle des citoyens juifs. On la voit souvent comme une tentative pour saper le monopole des citoyens juifs sur le pouvoir politique dans toute la zone située entre le Jourdain et la Méditerranée. C’est aussi pourquoi les résolutions de la Knesset qui reposent sur les votes des députés palestiniens, sans obtenir de majorité juive, sont largement considérées comme illégitimes.

C’est plus qu’une pratique et une rhétorique de longue date. La participation politique des citoyens palestiniens est également limitée par la Loi Fondamentale : La Section 7a de la Knesset, décrétée en 2002, stipule qu’un candidat ou une liste de candidats peut être empêchée de se présenter à la Knesset si ses actions ou ses buts comportent, explicitement ou implicitement, «  la négation de l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ». La Commission Centrale des Élections – organisme comprenant des représentants des différents partis politiques – s’est à plusieurs reprises appuyée sur cette clause pour disqualifier des candidats et des listes palestiniennes, arguant du fait que leur lutte civile pour une totale égalité viole la clause puisqu’elle nie l’existence d’Israël en tant qu’État juif.

En 2003, peu après que la Section 7a soit introduite dans la loi, le président de la Cour Suprême d’alors, Aharon Barak, décréta que se présenter aux élections est un droit constitutionnel et que, par conséquent, il faut interpréter strictement la section afin que les listes ne soient disqualifiées que lorsqu’il y a «  une preuve claire, sans équivoque et convaincante » et seulement lorsque l’objectif est préjudiciable pour « les caractéristiques essentielles qui constituent la définition minimale d’Israël en tant qu’État juif  ». La Cour Suprême s’est depuis régulièrement appuyée sur cette interprétation pour renverser les décisions prises par la Commission Centrale des Élections et pour effacer les candidats et les listes palestiniennes qui se présentent aux élections.

Néanmoins, dans ces décisions, les juges ont régulièrement souligné les limites de la participation politique des Palestiniens. Le président Barak, par exemple, a expliqué qu’exiger l’égalité ne menace l’existence d’Israël en tant qu’État juif qu’aussi longtemps que le but est d’« assurer l’égalité entre les citoyens nationalement, tout en reconnaissant les droits de la minorité qui vit parmi nous ». Si, d’autre part, l’exigence d’égalité « cherche à saper la justification de la création du pays, niant ainsi le caractère d’Israël en tant qu’État du peuple juif, alors elle est préjudiciable pour les caractéristiques essentielles et minimales qui font d’Israël un État juif ». Dans ce cas, il y a lieu, selon lui, d’envisager la disqualification d’une liste ou d’un candidat qui soutient cette position.

En juin 2018, le parti Balad a soumis un projet de loi intitulé Loi Fondamentale : Un Pays pour Tous ses Citoyens, alors que la Knesset débattait sur un projet de loi intitulé Loi Fondamentale : Israël – l’État Nation du Peuple Juif. Le projet de loi de Balad avait pour but de sacraliser « le principe d’égalité de citoyenneté pour tous les citoyens, tout en reconnaissant l’existence et les droits de deux groupes nationaux – juif et arabe ». Dans un geste rare, le Présidium de la Knesset a refusé d’admettre le projet de loi, bloquant ainsi le débat sur le sujet en plenum.

Quoique le projet de loi n’ait jamais même été débattu à la Knesset, le soumettre a clarifié l’ampleur et la portée de l’égalité recherchée. La présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut, a décrété que le simple fait de proposer ce projet de loi avait franchi une ligne rouge et était «  un acte significatif des députés Balad qui siégeaient à la 20ème Knesset, essayant de réaliser, grâce à un projet de loi, un programme politique et une vision du monde qui niaient l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif ».

La juge Hayut a également décrété que cette position aurait pu justifier la disqualification du parti, mais a décidé de ne pas interdire le Balad pour des raisons techniques (en partie parce qu’une disqualification s’appliquerait également au parti Ra’am, qui collaborait avec Balad). Dans une récente audience à propos de la disqualification de Balad, à l’approche des prochaines élections du 1er novembre 2022, la présidente Hayut a répété ces remarques, décrivant une fois de plus le projet de loi comme un « moment décisif » et « très, très problématique ».

Le message aux Palestiniens et à leurs candidats est clair : Ne cherchez pas la pleine égalité et la reconnaissance des droits collectifs nationaux. Exiger l’égalité sur des sujets tels que la terre, l’immigration et les emblèmes nationaux est perçu comme la répudiation des principes constitutionnels d’Israël, puisque cela sape la définition du pays en tant qu’État juif. Le premier ministre Yair Lapid a récemment expliqué ce principe en disant : «  Vingt pour cent de la population sont des Arabes. Nous pouvons et devrions leur donner l’égalité civile… Mais d’autre part, nous ne leur donnerons pas l’égalité nationale, parce que c’est le seul État qu’ont les Juifs.  »

Les citoyens palestiniens qui choisissent de participer au processus électoral n’ont d’autre choix que d’entrer sur le terrain de jeu politique les mains liées. Les partis qui les représentent n’ont pas le droit de contester les principes fondamentaux du régime qui les dépossède et les opprime. Ils ne peuvent chercher à abolir les lois et les systèmes qui leur font du tort, qui sont considérés comme des caractéristiques déterminantes de l’État juif. Ils ne peuvent se battre pour un principe démocratique fondamental : totale égalité pour tous ceux qu vivent sous le même régime. Ceci limite la participation exclusivement pour les citoyens palestiniens. Peu importe ce qu’ils font ou comment ils votent – constitutionnellement, leur vote a moins de valeur.

Clairement, restreindre le droit (des citoyens palestiniens) à la participation politique n’est pas la même chose que le dénier complètement (aux sujets palestiniens). Les citoyens palestiniens qui choisissent de participer aux élections générales prennent quand même part – bien que dans une moindre mesure que les citoyens juifs – au combat contre le régime israélien de suprématie, de contrôle et d’oppression, et à la promotion de la totalité des droits et d’une démocratie qui n’est pas intrinsèquement creuse.

C’est de l’Apartheid

Environ 15 millions de personnes, dont à peu près la moitié sont des Juifs et l’autre moitié des Palestiniens, vivent entre le Jourdain et la Méditerranée, sous un seul régime. La perception comme quoi il y a deux régimes séparés sur ce territoire – une démocratie d’un côté de la Ligne Verte, à l’intérieur des frontières souveraines d’Israël, et une occupation militaire temporaire de l’autre – est coupée de la réalité.

Nous tous, Juifs et Palestiniens pareillement, vivons dans cette zone dans une réalité binationale, sous un seul régime. Cependant, tout le monde n’est pas autorisé à voter aux prochaines élections qui détermineront le gouvernement et nos vies dans les prochaines années. Environ la moitié de la population – tous les Palestiniens qui vivent dans la région, qu’ils soient citoyens, résidents permanents, ou sujets – sont totalement ou partiellement exclus de ce processus de prise de décisions.

Un seul régime gouverne la région entière et le sort de tous ceux qui y vivent. Ce régime fonctionne selon un seul principe directeur : faire progresser et sceller la suprématie d’un groupe – les Juifs – sur un autre – les Palestiniens. Sous ce régime, les citoyens juifs ont le monopole du pouvoir politique. Eux seuls ont une vraie place à la table où leur sort, et le sort des Palestiniens, est déterminé.

Ce n’est pas une démocratie. C’est de l’apartheid.

B’Tselem
Le régime israélien d’apartheid et d’occupation est inextricablement lié aux violations des droits de l’homme. B’Tselem se bat pour mettre fin à ce régime car c’est le seul moyen pour avancer vers un avenir dans lequel les droits de l’homme, la démocratie, la liberté et l’égalité soient assurées à tous ceux, Palestiniens et Israéliens, qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée.

https://www.aurdip.org/ce-n-est-pas-une-vibrante.html

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