Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Cette part sombre

Deux affaires qui ont défrayé les manchettes sont, si on s’y arrête, propices à approfondir notre réflexion quant à la réaction sociale aux défectuosités de la sexualité : le procès Ghomeshi et l’affaire Jutra.

Dans l’affaire Ghomeshi, il a souvent été relayé par les médias que ses victimes alléguées ont pourtant continué à correspondre avec lui, certaines même à le fréquenter. Connaître la complexité des relations de pouvoir qui s’établissent entre un agresseur et les personnes agressées amène à écarter ce genre d’argument. Le lent travail d’autonomie et de reprise en main qu’exige le refus des agressions ne se produit pas en une journée.

Par ailleurs, un aspect de la vie qui est foncièrement détestable peut être allié à d’autres qui sont agréables ou supportables. Pensons par exemple aux agresseurs qui comblent leurs victimes de cadeaux. Ce n’est pas chose facile de démêler ses sentiments devant ces contradictions. Les agresseurs ont aussi beaucoup d’habileté à culpabiliser leurs victimes. Leur estime de soi est souvent très faible et elles en viennent à croire qu’elles méritent ce qui leur arrive.

Dans l’affaire Jutra, on constate qu’énormément de temps s’est passé avant que quiconque parle. Sans se prononcer sur l’opportunité de déboulonner tout ce qui réfère à lui, on peut réfléchir à ce qui retarde la dénonciation de comportements inacceptables. La réaction de l’entourage est rarement favorable à la personne qui porte plainte : le premier réflexe est toujours de condamner la victime. Hélas, un cas célèbre va dans ce sens, deux adolescentes ayant en 2010 faussement accusé d’attouchements leur professeur d’éducation physique. Mais pour un cas de fausse déclaration, combien de véritables cas d’agression sont tus.

Il faut comprendre que rien n’encourage les victimes à porter plainte : la culpabilité qu’elle ressente, la honte dont elles se couvrent, la bonne réputation des personnes responsables, la lourdeur du système juridique, la présomption d’innocence, qui est bien sûr une règle de droit, mais qui ne facilite pas la tâche, la difficulté d’apporter des preuves, la remise en doute constante des déclarations et le manque de compréhension des phénomènes complexes qui relient les victimes à leur agresseur, où se mêlent du côté de l’agresseur : jeux de pouvoir, séduction et manipulation ; du côté des victimes : dépendance, admiration et même amour.

C’est pourquoi, souvent, les victimes préféreront, au moment où elles se sentent assez fortes, couper tous les ponts et ne plus jamais avoir affaire avec les personnes qui les ont dominées. Comble de difficulté, on les accusera alors d’être de caractère difficile, d’être méchantes envers quelqu’un de si bon. On en a même vu se faire accuser de harcèlement parce qu’elles refusaient obstinément de prendre contact avec un être qui leur est devenu insupportable. Décidément, on a encore beaucoup de chemin à faire avant de reconnaître tout le poids qui pèse sur les épaules de gens qui n’avaient rien demandé.

Un autre détail est assez ennuyeux quand on associe une personnalité géniale à un trouble comportemental de ce genre. On semble accréditer l’idée selon laquelle il faut être tordu pour être génial ou qu’il faut être génial pour être tordu, ce qui est absolument faux dans les deux cas. La maladie, les écarts de comportement sont assez également répartis statistiquement parlant, bien que l’inconduite sexuelle soit plus souvent le fait des hommes, c’est la seule corrélation exacte, mais pour le reste : éducation, Q I, métier, position sociale ne sont pas des indicateurs de ces tares. Toutefois, plus on est riche, mieux on est positionné socialement, plus il est facile de camoufler ses dérèglements.

LAGACÉ, Francis

Francis Lagacé

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