Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Chili - Le mouvement social et les futures convergences par en bas

Entretien avec Roxana Miranda et Cristián Cepeda

Franck Gaudichaud : Pouvez-vous présenter en quelques mots le parti Igualdad (Égalité) et son histoire ?

Roxana Miranda et Cristián Cepeda : Le parti Igualdad entame son processus de légalisation en 2010 et se transforme en parti à caractère national en mai 2013. Il est présent dans huit régions : Arica, Iquique, Antofagasta, Coquimbo, Région Métropolitaine, Valparaíso, Concepción, Coyhaique. Il a participé aux élections municipales de 2012 et à l’élection présidentielle de 2013. Le parti Igualdad se définit lui-même comme un instrument des mouvements sociaux pour impulser une transformation révolutionnaire par en bas. Il est anticapitaliste et son mot d’ordre est « Que el pueblo mande » (Que le peuple décide).

FG : Quel bilan faites-vous de la candidature et des résultats de Roxana Miranda ?

RM et CP : Tout d’abord, il faut dire que, depuis le début, nous pensons que la présentation de notre candidature n’entrait pas dans une logique électoraliste. C’est-à-dire que le succès ou l’échec de la campagne ne pouvait pas se mesurer en nombre de voix. Mais nous ne voulions pas non plus d’un acte symbolique ou d’une candidature de témoignage. Notre objectif politique, dans ce contexte électoral, était d’utiliser la conjoncture pour pouvoir projeter au niveau national une alternative politique révolutionnaire, qui rompe autant avec les discours qu’avec les pratiques de la gauche traditionnelle. Proposer et soutenir la candidature de Roxana Miranda avait pour objectif de poser l’action populaire collective et indépendante, comme un des éléments structurels de cette nouvelle période. C’est pour cela qu’en termes de bilan, si nous sommes absolument conscients qu’un résultat de 1,3 % est bas et marginal, comme le voient ceux qui déchiffrent la politique avec les yeux du pouvoir, nous pensons aussi que l’accueil de notre proposition a été bien au-delà de ce que nous attendions.

Le discours de Roxana Miranda a touché par sa simplicité et sa sincérité, en brisant les cadres « technocratiques » du club très restreint de celles et ceux qui sont autorisés à parler et à faire de la politique au Chili. Elle a bravé les puissants et dévoilé la cruauté avec laquelle ce système économique traite des millions de Chiliens. On n’a pas cherché à théoriser, ni à tempérer, les discours, mais à révéler qu’une partie de cette population est fatiguée du système de partis politiques et de son rôle servile face aux grandes entreprises. La simplicité, mais aussi la force, de la candidature a permis de faire entrer dans la tête et dans le cœur de centaines de milliers de Chiliens, la « folle » idée que peut-être le peuple pourrait décider dans ce pays. Un germe de rébellion qui doit encore se développer, mais dans lequel – dès maintenant — le parti Igualdad est considéré comme un acteur important.

En négatif, un des objectifs politiques du parti Igualdad était de faire partie de cette conjoncture électorale, dans le cadre d’une convergence politique avec tous les acteurs anticapitalistes qui se situaient hors de l’axe ex-Concertación plus le Parti communiste. Cet objectif n’a pas pu se réaliser, parce que l’ensemble des forces anticapitalistes porte le lourd poids du manque de confiance et aussi des objectifs propres à chacun. Le parti pris de l’action populaire collective et indépendante n’a pas été accepté par beaucoup de collectifs et de mouvements de la gauche anticapitaliste, qui ont préféré les vieilles conceptions de la politique et se sont engagés dans des paris électoralistes. Un autre élément négatif a été l’incapacité de la structure du parti Igualdad à engranger l’immense impact médiatique de la candidature au niveau national. Igualdad, qui n’a pas encore terminé son processus d’implantation nationale, n’a pu se projeter comme une force politique réelle que dans quelques endroits et il lui reste encore à développer une vraie ossature nationale.

FG : Quel est le rôle que pourrait jouer, dans les prochains mois, le mouvement pobladores (habitants pauvres de la ville) pour la réactivation des luttes sociales, mais aussi en vue de la constitution d’un mouvement anticapitaliste au Chili ?

RM et CP : Le tout récent processus électoral nous a donné des clefs sur ce qu’il faut dépasser pour arriver à une convergence entre les différents collectifs anticapitalistes. Et sans aucun doute il nous faut, en premier lieu, nous mettre d’accord sur quelques éléments essentiels pour la prochaine période. Nous pensons que dans la période à venir le rôle des mouvements sociaux est central. Les promesses de Bachelet et de la Nouvelle majorité (Nueva Mayoria) ne seront pas tenues.

Notre rôle sera donc d’être le moteur du mécontentement et de délégitimer non seulement un gouvernement, mais aussi tout le système politique. C’est dans la pratique concrète de la mobilisation qu’on trouvera la confiance nécessaire pour la création d’alliances avec les secteurs en lutte : le peuple mapuche, les lycéens, les travailleurs, les habitants des quartiers pauvres. Nous avons besoin d’un projet commun qui surgisse de ces processus de lutte et que ce soit là que se construisent les leaderships et les légitimités. Les futures convergences doivent se construire en ayant pour base tous les secteurs en lutte. Le pari du parti Igualdad, et des mouvements qui le composent, est de se trouver à leurs côtés. ?

Notes

Roxana Miranda, candidate à la présidence de la République lors des élections de 2013, est présidente du parti Igualdad (Égalité) ; Cristián Cepeda, est militant du parti Igualdad : http://partidoigualdad.cl/

Roxana Miranda

Roxana Miranda, candidate à la présidence de la République du Chili lors des élections de 2013, est présidente du parti Igualdad (Égalité)

Cristián Cepeda

Cristián Cepeda, est militant du parti Igualdad (Chili) : http://partidoigualdad.cl/

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