Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Crise interne au sein de Québec solidaire pour l'élection dans Jean-Talon

La direction du parti impose un candidat de droite à la militance jetable

Bien que nous ne partagions pas toutes les conclusions de l’auteur, il pointe des préoccupations qui méritent d’être discutées. NDLR-PTAG

D’expliquer La Presse dans un article du 23 octobre :

Rififi chez Québec solidaire dans la circonscription de Jean-Talon. Cedrik Verreault, 19 ans, accuse « l’establishment » du parti, Manon Massé au premier chef, de s’ingérer dans le processus d’investiture pour désigner un candidat à l’élection partielle. « En poussant pour une candidature externe dans une investiture d’ores et déjà contestée par trois militants de la base, le parti désavoue la fameuse démocratie participative inscrite dans la déclaration de principes datant de la fondation de Québec solidaire », dénonce M. Verreault, étudiant en science politique à l’Université Laval et candidat à l’investiture solidaire dans Jean-Talon [et le seul candidat résidant dans le comté. NDLR] Québec solidaire a annoncé avoir approché (avec succès) Frédéric Poitras, un conseiller du maire de Québec, Régis Labeaume, pour qu’il se présente à l’investiture. Manon Massé elle-même a fait les démarches pour qu’il se présente.

« Une fois que tu approches quelqu’un, tu ne le laisses pas tomber, surtout quand il dit oui », a affirmé à Radio- Canada la cheffe de Québec solidaire, Mme Massé. « Je dénonce l’ingérence de différentes personnalités en position d’influence à l’intérieur du parti dans le processus d’investiture […]. Ma candidature teste la logique de QS. Le parti cible l’important segment de l’électorat qu’est la jeunesse […], mais doit toujours démontrer que l’implication en politique active de jeunes Québécois est la bienvenue. Les récentes décisions de l’establishment du parti ne vont certainement pas dans ce sens », écrit M. Verreault par voie de communiqué.

En plus de M. Poitras et de M. Verreault, deux autres candidats ont aussi présenté leur candidature à l’investiture solidaire dans Jean-Talon. Une élection partielle devrait être déclenchée au cours des prochaines semaines [elle aura lieu le 2 décembre] afin d’élire la personne qui remplacera le libéral démissionnaire Sébastien Proulx.

Un ex homme d’affaires « glamour » salarié de l’équipe Labeaume

Il aurait suffi de moins pour déclencher un vif débat sur les réseaux sociaux de la militance liés à Québec solidaire, en particulier celui intitulé « Réflexions stratégiques » regroupant plus de 800 membres. La question clef dans ce vif débat doit être l’origine, l’orientation et les positions politiques des candidatures avant de discuter la méthode. Surtout si un candidat surgit à une une semaine de l’investiture avec l’appui médiatisé de la porteparole du parti, et semble-t-il de la députation, ce qui serait à confirmer. S’y ajoute l’annonce de cette candidature par aussi le Facebook public du parti ce dont dont les trois autres candidatures connues depuis un bout de temps n’ont pas bénéficié. On apprend que ce candidat est un salarié de l’équipe Labeaume depuis quelques années après avoir été un candidat malheureux de ce parti. Auparavant il était un entrepreneur réputé innovant du divertissement et de la restauration dont l’entreprise a fermé suite à son départ et à la vente de ses actions à son partenaire.

L’équipe Labeaume n’est-elle pas un parti populiste de droite ? La seule intervention du très long fil de « Réflexions stratégiques » cherchant à caractériser politiquement l’équipe Labeaume dit ceci : « Rappelons-nous qu’est-ce que représente l’équipe Labeaume. C’est le contrat de sous-traitance douteux à Quebecor pour la gestion du Centre Vidéotron. C’est le bulldozage des fonds pension des employés de la ville de Québec. C’est l’équipe du maire ayant été débouté en cours d’appel à cause de ses lois liberticides contre les manifestions. La police de Québec est aussi celle qui ne reconnaît pas les crimes de haine contre les Musulmans. Les policiers de Labeaume on aussi arrêté Amir Khadir, en 2012, comme s’il était un criminel. » Jusqu’à preuve du contraire, il est estomaquant de savoir que la direction du parti ait catapulté à la dernière minute un ex-entrepreneur recyclé dans un parti de droite. Le verticalisme électoraliste pervertit-il le parti au point de faire preuve de mauvais jugement à ce niveau ?

Il me semble que la qualification de Labeaume comme étant de droite est une affaire entendue. Qu’il se soit rallié au tramway — la position d’exiger plus de transport en commun est celle des Chambres de commerce depuis longtemps — signale qu’il va où est l’argent. Par contre, par opportunisme politique vis-à-vis la droite réactionnaire pour laquelle la CAQ s’est engagé par électoralisme, il refuse de fermer la porte au troisième lien. On a affaire à un typique politicien de droite pragmatique et opportuniste.

Contrairement à l’actuel député de Rosemont qui n’avait pas et ne pouvait pas avoir d’allégeance politique de par sa fonction de commentateur de La Presse, la nouvelle candidature dans Jean-Talon est un ex homme d’affaire devenu conseiller payé de l’Équipe Labeaume. C’est là le profil typique d’une personne de droite malgré son côté glamour à la Alexandre Taillefer. De plus, il semble — mais ce serait à confirmer — qu’il est en congé sans solde de son emploi auquel il retournerait s’il n’était pas choisi ou perdait l’élection. L’incartade de Vincent Marissal du côté du PLC suite à son renvoi de La Presse, renvoi qui traduisait une forte insatisfaction de la gestion Desmarais à son égard, est certainement un motif d’inquiétude même si elle peut être interprétée comme un moment de panique d’une carrière brisée. Par contre, le lien du Alexandre Taillefer de Québec avec l’Équipe Labeaume ne me semble pas remis en question.

Les candidatures « vedettes » bulldozent toute velléité de démocratie participative

Côté organisationnel qui est bien sûr aussi politique, des questions se posent. Est-ce vraiment nécessaire de solliciter des candidatures dit vedettes quand la matrice Solidaire produit abondamment de candidatures dont plusieurs ont fait leur preuve dans le mouvement social ou dans le parti ? (Et il y a ces candidatures internes mais provenant d’un autre comté, ce qui à mon avis n’est pas à encourager.) Quand des candidatures dit vedettes s’intéressent au parti de leur propre chef, la procédure à suivre ne serait-elle pas de les diriger vers l’association de comté la plus pertinente, autant que possible celles de leur résidence pour minimiser les parachutages, quitte même à les encourager à militer dans le parti au préalable avec la visibilité que leur notoriété, si elle est fondée, leur mérite ? Ensuite, leur tour viendra. Il me semble que dans un parti de gauche, il n’y a pas de place pour les grands seigneurs, surtout de droite. Et il ne devrait pas être humiliant d’y militer sans être député-e.

Tout n’est pas qu’une question de loi, règlement et procédures. Ce qui compte en dernière analyse, ce sont les rapports de forces sociaux. Dans cette affaire, ils sont nettement du côté de la direction du parti qui les exerce à plein. Heureusement est préservée la sanction finale de l’assemblée d’investiture... sur laquelle pèse toutefois une énorme pression sociale qui risque de la transformer en feuille de vigne de la démocratie. On est à des années-lumières de la démocratie participative qui sied à un parti de gauche. L’immense pression, combinant média et appareil du parti, exercée sur l’assemblée d’investiture de Jean-Talon l’est aussi. Il n’en reste pas moins que l’acceptation « enthousiaste » de sa candidature serait une tragédie. Ce serait une conséquence de l’incroyable effet bulldozer de la direction du parti vis-à-vis de l’organisation de Jean-Talon qui auparavant avait été pratiquement mise en tutelle. Dès la fin septembre, la coordination du comté de Jean-Talon a été mis en minorité dans le comité d’investiture sans compter l’encadrement par une employée et par une élue de la coordination nationale. Adieu autonomie.

Finance contraignante et vedettariat générant un parti bureaucratique s’adaptant au capitalisme

À la fin, la culture du militantisme jetable, car c’est de cela dont il s’agit, est une adapatation-capitulation au capitalisme incapable de régler l’urgence climatique de par sa loi de la concurrence entre capitaux privés qui lui impose la loi d’airain de l’accumulation sans fin. Le capitalisme a appris à mater les partis politiques qui mettent l’urne au centre des leurs activités et non la rue, y compris ceux qui prétendent faire « la révolution des urnes ». Il les maîtrise par le financement et par le vedettariat médiatique.

L’État bureaucratisé, dont la haute fonction publique est en symbiose avec le capital et que la Banque et consorts tiennent à la gorge par la dette publique, finance les partis soit directement (au prorata du nombre de votes, les campagnes électorales moyennant une performance minimum) soit indirectement (contribution volontaire donnant droit à un rabais fiscal). En découle des partis bureaucratisés au budget millionnaire (2M$ pour QS) dont le but réel devient la reproduction de l’appareil et de la députation.

Ces partis bureaucratisés doivent encadrer le discours politique pour qu’il ne compromette pas leur reproduction, ce qui exige de le rendre acceptable aux médias de masse qui sont de plus en plus financés par l’État (subventions, publicité gouvernementale), en plus de la publicité commerciale déclinante, étant donné l’emprise de GAFAM sur la diffusion de l’information qui accapare la publicité commerciale. Car le message des partis envers le grand public est de moins en moins direct (absence de médias liés au parti comme jadis et pauvreté de la formation des membres). Il passe nécessairement par les médias de masse eux-mêmes dépendant du capital, directement ou indirectement, tout comme les partis.

Reste à régler la contrainte de rendre ce contrôle systémique acceptable aux membres. C’est là le rôle du vedettariat médiatique résultant de la collaboration des appareils des partis qui les proposent et des médias de masse qui les sélectionnent. Comme ce vedettariat risque de laisser sceptique la militance au fait de la vie interne et tenant à une orientation politique radicale si ce n’est anticapitaliste, le parti facilite le membership large (parti à cartes ne requérant qu’une cotisation annuelle minime) attiré par le vedettariat et pour qui le parti se résume au discours politique des vedettes.

Ainsi la militance est noyée. Cela se manifeste particulièrement dans les congrès, où les délégations ne sont souvent pas complètes tellement est manifeste la passivité du membership large hors période électorale. Tandis que les conseils nationaux beaucoup plus restreints assurent une dominance des membres clefs des coordinations et de la direction centrale sur les épaules desquels reposent le bon fonctionnement de l’appareil, ce qui les rend vulnérables à ses pressions. Se contenter, pour se sortir de ce guêpier, de négocier avec l’appareil une étroite réforme de la démocratie interne sans lien avec l’orientation politique, comme le fait le groupe Solidaires pour la démocratie interne, ne suffira pas.

Une thématique faisant le plein « progressiste » contre le peuple ou répondre à l’urgence climatique ?

Cette culture du militantisme jetable, propre au parti bureaucratisé, qui annonce un virage programmatique de conciliation avec le capitalisme est à l’oeuvre dans la crise Jean-Talon au sein du parti, non seulement au niveau organisationnel mais aussi au niveau programmatique. Se pose la question de la thématique de la campagne.

D’expliquer un intervenant Facebook :

Le National n’a aucun intérêt pour les enjeux locaux. La campagne de Jean-Talon est maintenant une simple campagne de publicité pour les thèmes du national. On parle de la circonscription où il y a eu le pire attentat terroriste de l’histoire du Québec contre la communauté musulmane, une circonscription ou les logements sont hors de prix et une circonscription ou une grand partie des victimes de PL21 de le ville de Québec vivent. On va tout de même mettre tous nos oeufs dans le même panier du troisième lien. La chance inouïe que représentait cette partielle pour s’implanter dans le tissus social de Jean-Talon sera gâchée au profit de marketing politique et il ne restera rien des efforts des militants au lendemain de cette campagne. C’est désolant.

La réalité sociale de la circonscription invite un parti de gauche à mettre au centre de la campagne l’interconnexion entre lutte pour le logement et lutte contre l’islamophobie et le racisme en général. Ne serait-ce pas oublier la priorité climatique sans compter que cette interconnexion n’est pas évidente ? La simple hiérarchisation non articulé des thèmes de type général-local paraît permettre la grande réconciliation en masquant le problème de fond. La revendication du rejet du troisième lien rallie l’ensemble des « progressistes » pro transport en commun contre le gouvernement caquiste qui mise sur la culture populaire du « char » c’est-à-dire de l’auto solo à essence aujourd’hui, hydroélectrique demain par le biais de généreuses subventions. Qui sont ces « progressistes » ? Un amalgame de prolétariat pauvre sans auto, de jeunes prolétaires branchés et de petits bourgeois des villes centres et de leur périphérie immédiate, en un mot l’électorat Solidaire. En fait la meilleure revendication serait le tramway mais comme il est pratiquement dans le sac, son financement étant assuré, ce serait défoncer des portes ouvertes.

Concentrer la thématique de la campagne sur le troisième lien c’est rendre antagonistes les rapports entre « progressistes » et le contingent principal du prolétariat habitant les banlieues plus lointaines et les régions limitrophes. Le gagnant politique en sera la CAQ car les prêchi-prêcha écoeurent le peuple pro-caquiste. Mais la CAQ en sera aussi le gagnant économique car elle sait bien que le troisième lien ne tient pas la route en termes de coût-bénéfice. Elle n’a jamais eu l’intention de réaliser ce projet – ou le réaliser le plus tard possible une fois le tramway fait — qu’elle maintient pour satisfaire sa base quitte à traîner l’affaire en faisant des études. Si Québec solidaire laissait tomber la centralité de cette revendication, sans l’éjecter de son panier évidemment, il ne sacrifierait en rien le transport en commun car le projet structurant du tramway est assuré. Mais le parti ferait de la place pour d’autres revendications climatico-sociales positives telles la construction massive de logis sociaux à la fine pointe de la technologie écologique de la conservation de l’énergie et de l’eau, stock de logis qui viserait à damer le pion au soi-disant libre marché des promoteurs immobiliers, à la réhabilitation écologique du vieux bâti et à la généralisation du transport en commun gratuit, électrifié et en voie réservée sur les autoroutes et boulevards. Où trouver la main d’oeuvre de tous ces projets en ces temps de pénurie et de vieillissement de la population si en plus on veut réduire le temps de travail normatif ?

L’ouverture des frontières à l’immigration et aux réfugié-e-s climatiques et des guerres en est la réponse. Voilà des revendications qui me semblent adaptées à la réalité de Jean-Talon et à celle de tout le Québec. C’est simple et collé à la réalité sans faire dans le simplisme populiste mettant de l’avant un ou deux enjeux faisant consensus chez les « progressistes ». Et surtout c’est un début de réponse convaincante à l’urgence climatique. Faire campagne à la mode populiste est avoué que le parti n’est pas apte à gouverner ce qui réclame un programme dont on peut certes mettre en évidence certains aspects adaptés au lieu et aux temps mais sans jamais réduire à quelques mous consensus ratissant large. Ce que la direction de notre parti ne veut pas faire car elle refuse de remettre en question le technocratique Plan de transition capitaliste vert et de lui substituer un Plan d’action climatique de ’prendre soin’ éco-féministe des gens et éco-autochtone de la Terremère.

Que faire ?

À court terme pour l’élection complémentaire, ne serait-il pas opportun que les trois autres candidatures s’unissent autour de la seule provenant du comté soit un jeune étudiant articulé impliqué dans la mouvance climatique ?

Plus globalement, il faut une opposition politique organisée ayant sa propre critique programmatique anticapitaliste et organisationnelle parti de la rue. Elle doit être prête à affronter la direction du parti qui profite à plein de notre faiblesse, comme le démontre l’affaire Jean-Talon, si ce n’est de notre timidité et de notre peur.

Marc Bonhomme, 27 octobre 2019
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c a

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