Édition du 16 avril 2024

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Livres et revues

Des révoltées contre le poubelien supérieur ou l’androcapitalocène

Notre époque est frappée par des destructions environnementales considérables : extinction massive d’espèces animales, réduction de la bio- diversité cultivée et sauvage, déforestation à large échelle, dégel du pergélisol et émission concomitante de méthane, fonte des glaciers, montée des eaux, émissions croissantes de gaz à effets de serre à cause de l’utilisation intempestive des énergies fossiles et à l’élevage intensif, réchauffement climatique presque incontrôlable, épisodes récurrents de sécheresse, d’inondation ou de cyclones, maladies infectieuses émergentes dues à la destruction des écosystèmes, etc ».

Dans son introduction, Catherine Albertini souligne, entre autres, l’absence du pouvoir de décision économique, politique et social des femmes, les apports de l’écoféminisme.

« La logique de la révoltée est, certes, de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel, mais aussi de révéler sa propre invisibilité et les causes de cette dernière ». Dans le premier chapitre, l’autrice discute de terminologie, de la notion d’Anthropocène, du satirique « poubellien supérieur », de Capitalocène, Elle propose le terme d’Androcapitalocène « pour souligner l’aspect, certes genré de l’Anthropocène, mais indissolublement lié au capitalisme »et aborde l’écoféminisme comme mouvement « politiquement transformateur ».

L’intérêt principal du livre, à mes yeux, se trouve dans les analyses des théories et pratiques relevant des écoféminismes.

Catherine Albertini aborde, dans un premier temps, le travail dit non-productif et son exploitation par le capital, la hiérarchisation des êtres humains, les positions de Françoise d’Eaubonne, le refus d’envisager « la continuité relative entre le fondement biologique de la condition humaine et son existence sociale », la critique radicale du « progressisme », le démantèlement historique des terres communales et les phénomènes d’expropriation, la nature considérée comme marchandisable, les systèmes coloniaux, le rôle « nourrisseur, domestique et reproductif des femmes », l’importance de rendre visible et de dénaturaliser le travail domestique, le néolibéralisme et la volonté de réduire le service public « à la portion congrue au profit du secteur privé », le développement du secteur dit « informel », les migrations de femmes et adolescentes, l’essor de l’industrie du sexe – pornographie et prostitution -, le réductionnisme des sciences élaborées en occident (les principales critiques qu’il me semble nécessaire de porter sur les fondements ou pratiques de certaines sciences sont le refus de prendre en compte d’autres appréhensions des phénomènes à étudier, le peu d’interrogations sur les fondements socio-culturels des élaborations et des hypothèses, l’oubli de l’histoire et des apports d’autres « civilisations », le mépris envers des pratiques ancrées dans d’autres configurations sociales, l’impasse épistémologue autour de la notion de « neutralité »…), la place de la science dans le complexe militaro-industriel, la construction du dualisme nature/culture…

Au delà des appréciations sur le passé, il me semble juste de souligner le procès de développement du système capitaliste aujourd’hui, la fabrique permanente de « nouvelles enclosures » et les privatisations de biens qui devraient relever du commun, les conséquences de l’extractivisme, la poursuite sous des formes renouvelées des violences coloniales, l’élargissement des frontières du marché, les transformations de la concurrence en guerre, les violences masculines spécifiques envers les femmes…

Dans les chapitres suivant, Catherine Albertini analyse, la gestion de la dette et ses effets sur les femmes, les politiques institutionnelles au nom de l’empowerment, « On ne peut comprendre l’empowerment sans comprendre le pouvoir et leurs interrelations », les prêts programmes à l’ajustement structurel, la destruction des systèmes agraires paysans et la création de déficits alimentaires, le contrôle social par la dette, les politiques de micro-finance, la culpabilisation individuelle des emprunteuses, l’appauvrissement de populations rurales, les causes des famines, « les famines ne sont pas liées à la raréfaction de la nourriture, mais à l’impossibilité d’y accéder », l’imposition de monocultures d’exportation…

Je souligne, entre autres, l’exigence d’universalité de droits humains concrets et non virtuels, notamment les droits sexuels et reproductifs, la réduction dépolitisée de la notion d’empowerment, « Les droits sexuels fondamentaux relatifs au libre accès à la contraception, à l’avortement, à l’âge minimal de consentement au mariage et à l’orientation sexuelle n’y figurent pas », la novlangue au profit des industries criminelles (prostitution, vente d’organes, gpa) – que cette novlangue de l’empowerment atteigne jusqu’à des parties de la gauche radicale et du mouvement féministe est plus qu’inquiétant)…

J’ai particulièrement été intéressé par le chapitre sur les mouvements de résistances des femmes et des populations opprimées au modèle hégémonique de développement, l’exemple zapatiste du Chipas, les solidarités transnationales, la réappropriation territoriale, l’égalité de toustes, La Via Campesina et la revendication de la souveraineté alimentaire, la place des femmes paysannes, les cosmologies indigènes, l’agroécologie, le mouvement de la ceinture verte au Kenya, les plantations d’arbres et la restauration des forets, le mouvement Chipko en Inde, le refus des nouvelles formes d’expropriation des sols, la défense des terres communales en Papouasie Nouvelle-Guinée, l’agroécologie urbaine des Afro-Américaines à Détroit, la communauté noire de Détroit pour la sécurité alimentaire, le programme D-Tow Farm, l’économie solidaire portée par des femmes musulmanes à Bombay, les stratégie de survie…

En conclusion, Catherine Albertini revient sur le courtermisme et la prédation, le sous-développement induit par le développement capitalisme, les violences des traités dits de libre-échange, les agencements sociaux moins inégalitaires ayant existé dans des formations sociales, les savoirs invisibilisés des femmes, la place des femmes paysannes et leurs mobilisations…

Certains points d’analyses, en particulier dans la construction historique du capitalisme me paraissent discutables. L’impasse faite sur les contradictions internes et mouvantes du capitalisme ou des rapports sociaux unifie artificiellement des situations et contourne l’histoire des mécanismes concrets de pouvoir. L’espace des possibles et des émancipations ne peut se réduire à une vision romantique révolutionnaire de configurations sociales du passé. Toutes les actions transformatrices s’inscrivent dans des contraintes et des contradictions réelles. Prendre en compte ce que le capitalisme a détruit ne devrait cependant pas conduire à la survalorisation de configurations sociales anciennes, mais bien plutôt à montrer l’historicité de toutes les sociétés humaines.

Au delà du concret de luttes de femmes, l’idée d’une « complémentarité » des sexes ou des activités sexuées, reste un obstacle à la construction de l’égalité de toustes…

Catherine Albertini : Résistances des femmes à l’Androcapitalisme

Le nécessaire écoféminisme

M éditeur, Québec 2021, 128 pages

Didier Epsztajn

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