Tout ceci suppose une intervention poussée de l’État fédéral, fût-ce au détriment des champs de compétence des provinces. Bref, c’est le parti des bonnes intentions, lesquelles frôlent parfois l’angélisme.
Cette orientation lui n’a pourtant valu que des performances électorales en dents de scie depuis sa fondation en 1961 par Tom Douglas. Entre autres, il n’est pas encore parvenu à percer au Québec de manière décisive, sauf en 2011 sous Jack Layton. Il n’y a pas remporté de succès électoraux durables.
Sans prétendre me livrer à une analyse savante et détaillée des résultats électoraux obtenus par le parti, je vais présenter l’audience qu’il a conquise à la fois au Canada dans son ensemble, et au Québec en particulier de 2006 jusqu’à 2025, tant en termes de votes recueillis que de députés élus. On remarque sur ces deux plans un contraste marqué entre les deux nations.
Examinons donc le pourcentage et du vote et le nombre de députés néo-démocrates élus au Canada et au Québec.
Au scrutin de 2006, le NPD obtient à l’échelle du Canada 17.4% des suffrages et fait élire 29 députés ; au Québec, il ne recueille qu’un maigre 7.49% du vote et aucun de ses candidats ne remporte la mise.
À celui de 2011, le parti bondit à 33.4% des voix et réalise une avancée aussi prodigieuse qu’imprévue au Québec avec 42.9% d’appuis. Dans tout le Canada, il récolte 103 députés dont 59 au Québec. Il forme l’opposition officielle et Jack Layton, son chef depuis 2003, peut rêver de devenir premier ministre. Il est le premier leader du NPD à avoir compris la nécessité d’effectuer une percée décisive dans la Belle Province et y avait par conséquent déployé les efforts requis pour assurer le succès de sa formation. Il s’était prononcé notamment pour un fédéralisme asymétrique et le respect des camps de compétence provinciaux, rompant ainsi avec la tradition centralisatrice des directions précédentes. Il avait présidé à une campagne électorale dynamique au Québec, y faisant de fréquentes apparitions. C’était un sympathique anglo- montréalais qui maîtrisait parfaitement le français.
Mais la suite des événements allait s’avérer beaucoup plus décevante. Tout d’abord, Layton meurt d’un cancer le 22 août 2011.
Thomas Mulcair, ancien ministre libéral provincial sous Jean Charest, le remplace au début de 2012. Il faut signaler que le nouveau chef avait été un des seuls candidats néodémocrates victorieux au Québec auparavant, lors d’une élection partielle tenue dans le comté d’Outremont le 17 septembre 2007. Layton en a donc fait son lieutenant pour le Québec et l’a nommé co-chef adjoint. Mulcair s’était fait la réputation d’être plus centriste que la majorité des membres de son parti pour ne pas dire plus à droite. Il a donc suscité une certaine méfiance dans le parti, notamment de la part de l’aile gauche.
Sous sa direction, l’audience électorale du NPD allait diminuer. Au scrutin de 2015, le NPD voit sa représentation parlementaire se rétrécir : il passe de 103 députés à 44, et de 59 au Québec à 16 seulement. Il ne recueille que 19.7% des voix à l’échelle canadienne dont 25.3% au Québec. On note donc un affaiblissement marqué des néo-démocrates par rapport aux résultats de 2011. Cet aboutissement décevant entraîne la démission de Mulcair en avril 2016 mais il demeure chef jusqu’à la désignation d’un nouveau leader. Ce leader, ce sera Jagmeet Singh, élu en octobre 2017. Nettement plus à gauche que son prédécesseur, Singh avait tout pour rassurer les militants et militantes. En effet, Mulcair avait semé la controverse par ses prises de position sur le libre-échange (il était en faveur, à condition qu’il soit assorti de clauses protégeant l’emploi et l’environnement), sur l’équilibre des finances publiques (qu’il voulait atteindre en un an, fût-ce au prix de possibles compressions budgétaires, notamment en santé) et au sujet de la loi sur la clarté référendaire (il était prêt à se contenter d’une majorité de 51% de OUI à la souveraineté pour enclencher des négociations entre Ottawa et Québec, ce qui heurtait les convictions de beaucoup de militants canadiens anglais).
Jagmeet Singh a renoué avec l’orthodoxie centralisatrice traditionnelle du parti. Notamment, il s’est opposé à la loi sur la laïcité de l’État votée par le gouvernement caquiste de François Legault en juin 2019. Au scrutin fédéral tenu cette année-là, le NPD a raflé 15.9% des suffrages partout au Canada, dont 10.8% au Québec ; sa représentation s’y est réduite à un seul député, Alexandre Boulerice dans Rosemont La Petite-Patrie. Au total, il n’y avait plus que 24 députés néodémocrates au Parlement. Ce recul n’a pas semblé pas inquiéter outre-mesure la direction du parti qui a continué sur sa lancée centralisatrice avec un programme social poussé mais dont l’application se serait avérée problématique puisqu’elle aurait entraîné de nombreux conflits fédéraux-provinciaux. Quant au nationalisme québécois, Singh s’en est toujours méfié.
Le scrutin de 2021 a abouti à la formation d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau mais où le NPD détenait la balance du pouvoir. À l’échelle du Canada, il a arraché 25 sièges mais seul Alexandre Boulerice a gardé le sien au Québec.
La suite est bien connue : le 28 avril dernier, la formation est tombée à 7 députés et on a assisté à l’affaissement de son vote (6.3%). Jagmeet Singh a été défait dans son propre comté, ce qui a provoqué sa démission.
Quelle conclusion tirer de tout cela ?
Tout d’abord, que le NPD n’a obtenu ses meilleurs résultats, tant en termes de votes qu’en ceux de députés que lorsque le Québec l’a soutenu, c’est-à-dire surtout en 2011 sous le dynamique leadership de Jack Layton qui avait bien saisi l’importance de l’équation nationaliste québécoise dans le jeu politique canadien. Layton a ainsi pu rejoindre l’importante frange nationaliste québécoise. Il a aussi été très présent au Québec, ce qui contraste avec l’attitude de Jagmeet Singh pour qui le fédéralisme canadien et la division des pouvoirs entre Ottawa et les provinces n’est qu’une "question académique". Layton rompait, ou du moins s’éloignait du programme centralisateur qui constitue en un sens la marque de commerce du NPD autant que la social-démocratie. Cette orientation a séduit une tranche non négligeable de l’électorat québécois sans effaroucher pour autant celui du Canada anglais.
Mais cette voie fut vite abandonnée par ses successeurs, surtout par monsieur Singh. Dès 2015, sous la gouverne de Thomas Mulcair, le parti reculait à 16 députés au Québec et à 28 au Canada anglais. La volonté de recentrage défendue par le chef lui a nui, mais le flou qu’il a entretenu sur la question du statut national ne l’a pas aidé non plus. Le centralisme qu’a défendu Jagmeet Singh n’a fait que contribuer à éroder encore davantage ses appuis québécois, même si ce n’est pas la seule cause du recul de son vote.
Tous ces facteurs font que le NPD n’a jamais été considéré comme un parti à vocation de pouvoir.
La frange autonomiste du Québec s’est longtemps sentie adéquatement représentée à Ottawa par les libéraux, ensuite, partir des années 1990 par le Bloc québécois, à tort ou à raison. Le récent retour en force des libéraux au Québec, en raison de la menace que Trump fait peser sur le Canada et de l’aversion que les conservateurs suscitent auprès de bien des Québécois ne garantit pas une réimplantation durable du parti au Québec. Tout simplement, Québécois et Québécoises ont voulu éviter de se trouver isolés dans une conjoncture politique jugée périlleuse. Mais même si le Bloc a perdu des plumes lors de ce scrutin, il y demeure bien présent avec 23 députés et 27% du vote. Le NPD, lui, n’a recueilli que 4,5% des voix au Québec.
Même les propositions du Nouveau parti démocratique qui devraient en principe séduire les électeurs et électrices progressistes du Québec n’ont guère réussi à y établir sa crédibilité. La "question nationale" interfère toujours dans l’équation et la brouille le plus souvent.
Pour résumer, si une majorité de Québécois juge le NPD sympathique et généreux, ils ne s’y reconnaissent guère. De leur point de vue, c’est le parti "des autres", celui d’une certaine gauche canadienne anglaise, ce que monsieur Singh n’a jamais voulu comprendre.
Si le Nouveau Parti démocratique tient à offrir à la population canadienne une alternative aux libéraux, il devra rallier le Québec et en faire un de ses bastions politiques. Le prochain chef devra accepter cette donnée de base.
Jean-François Delisle
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