Tiré de Reporterre.
Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète, mais visiblement, les deux principaux candidats au poste de Premier ministre n’ont pas reçu le mémo. Dans leurs programmes, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, et celui du Pari libéral, Mark Carney — chef du gouvernement depuis la démission de Justin Trudeau le 14 mars — misent davantage sur l’extraction d’énergies fossiles que sur l’environnement pour le futur du pays. Les électeurs trancheront entre ces deux projets lors des élections fédérales, lundi 28 avril.
Le Canada est le quatrième producteur de pétrole brut au monde et sa production était en hausse de plus de 4 % en 2024, avec près de 300 millions de mètres cubes produits.
Pierre Poilievre, le « Trump du Nord »
Le second candidat dans les intentions de vote, Pierre Poilievre, a fait du pétrole un socle de son programme électoral. Les conservateurs veulent accélérer l’autorisation des nouveaux projets pétroliers pour qu’ils soient validés en moins de six mois, comptent supprimer le plafond d’émissions de gaz à effet de serre (jugé « destructeur d’emplois »), ainsi que le volet industriel de la taxe carbone, qui impose le principe du pollueur-payeur aux grandes industries du pays. Le message conservateur, nimbé de patriotisme économique, se résume ainsi, sur leur site internet : exploiter les ressources « afin que nous puissions être forts et autonomes, voler de nos propres ailes et tenir tête aux Américains ».
Ce programme n’est pas une surprise. Pierre Poilievre, que beaucoup qualifient de « Trump du Nord », est né à Calgary (Alberta), berceau de l’industrie pétrolière dans le pays, et les provinces qui vivent de l’or noir lui sont acquises. Les effets de ses politiques s’annoncent dévastateurs.
D’après le site spécialisé Carbon Brief, une victoire des conservateurs pourrait causer l’émission de près de 800 millions de tonnes de CO2 supplémentaires au cours de la prochaine décennie, soit l’ensemble des émissions annuelles du Royaume-Uni et de la France réunis. La facture est estimée à 150 milliards d’euros de dommages climatiques.
Mark Carney, l’ex-champion du climat converti au pétrole
Ne comptez pas sur son principal concurrent, Mark Carney, qui le devance d’une courte tête dans les sondages, pour sortir le Canada de sa dépendance à l’or noir. Dans son programme, qui insiste pourtant sur « le potentiel illimité » du pays en matière d’énergie propre et abordable, il prône « une extraction des minéraux et des métaux » accélérée et « le renforcement de la production de pétrole et de gaz », considérés comme « l’épine dorsale » de la richesse canadienne. Objectif : « construire l’économie la plus forte du G7 » sans perdre de vue « l’impact [...] sur nos enfants et nos petits-enfants ». Un grand écart climatique réservé aux professionnels, à ne pas tenter à la maison.

Mark Carney justifie, lui aussi, ce penchant pour le tout-fossile en raison de la relation, désormais conflictuelle, avec les États-Unis. Ceux-ci dépendent du pétrole canadien, bien que Donald Trump n’ait de cesse de répéter qu’ils n’ont besoin de rien en provenance de leur voisin du nord. Face à cette situation, Carney assure que les oléoducs sont devenus des « enjeux de sécurité nationale », car si le Canada finit par ne plus pouvoir exporter de pétrole aux États-Unis, il en faudra d’autres pour amener les énergies fossiles de l’ouest du pays, où elles sont principalement produites, vers l’est, pour exporter ces combustibles outre-Atlantique.
Avant de remplacer Justin Trudeau à la tête du pays, l’ex-gouverneur de la Banque d’Angleterre (2013-2020) véhiculait pourtant une image de champion du climat. Il a notamment été l’envoyé spécial sur le financement de l’action climatique aux Nations Unies et était considéré comme un apôtre de la « finance verte », qui favorise l’investissement des banques dans la transition énergétique.
- « Tout politicien qui veut gérer le Canada doit devenir propétrole s’il veut gagner »
Mais dès son élection au titre de chef du Parti libéral, le 9 mars, sa première décision, pour se dissocier de son prédécesseur Justin Trudeau, a été de supprimer la taxe carbone pour les consommateurs. Celle-ci, qui représentait 0,17 dollar canadien (0,11 euro) par litre d’essence acheté à la pompe (mais n’était pas payée dans toutes les provinces), était vivement critiquée par Pierre Poilievre. Elle était aussi perçue par certains comme un symbole de la déconnexion du Parti libéral sur la question du coût de la vie et contribuait à l’impopularité des libéraux dans l’Ouest.
Lors des élections de 2021, l’environnement faisait partie des principales priorités des électeurs et les partis s’étaient entendus, cette même année, pour voter une loi visant à rendre le pays neutre en carbone en 2050. La guerre commerciale en cours entre le Canada et les États-Unis et les envies de Donald Trump d’absorber le Canada ont-elles empêché que l’environnement ne s’impose comme un thème majeur de la campagne cette fois-ci ?
Le contexte a en effet changé, estime Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire de gestion de l’énergie de HEC Montréal, mais l’apathie climatique était déjà bien perceptible auparavant. « Il y a des gens qui ne sont pas repoussés par le concept d’action climatique, mais qui ne veulent pas réellement agir, dans les faits, constate-t-il. On l’observe dans l’opposition à la taxe carbone lancée par Justin Trudeau, particulièrement dans l’ouest du pays. »

Et comment faut-il comprendre la mue de Mark Carney en amoureux du pétrole ? Est-ce simplement pour s’assurer de ne pas perdre trop de voix dans l’ouest du pays, avant un retour à la raison climatique une fois élu ? « Tout politicien qui veut gérer le Canada doit devenir propétrole s’il veut gagner. Mais s’il est honnête sur son ambition de faire du Canada un pays neutre en carbone, Mark Carney ne peut compter uniquement sur la captation de carbone, sur laquelle il insiste beaucoup : il faut réduire drastiquement les émissions de CO2 », dit Pierre-Olivier Pineau.
Le Canada a promis de faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % sous le niveau de 2005 d’ici 2030. Pour l’instant, il est loin du compte : elles n’ont baissé que de 8,5 %. Et quel que soit le vainqueur, lundi 28 avril au soir, il ne faut pas s’attendre à voir la courbe plonger.
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