17 avril 2025 | tiré du site thenconversation.com | AP Photo : Des personnes déplacées par les combats entre les rebelles du M23 et les soldats gouvernementaux quittent leur camp sur instruction des rebelles à Goma, en République démocratique du Congo, en février 2025. Ces personnes déplacées internes subissent les conséquences du demantèlement de l’USAID. Moses Sawasawa/
https://theconversation.com/le-demantelement-de-lusaid-a-aussi-des-impacts-sur-les-organismes-daide-canadiens-et-les-communautes-voici-comment-253886
Rappelons que le 20 janvier, le président Trump annonçait une suspension de l’aide étrangère américaine. Fin mars, l’administration informait que le personnel de l’USAID serait réduit de 10 000 à environ 15 postes. On peut anticiper une perte par cascade d’innombrables emplois au sein des organisations sous-traitantes de l’USAID, ainsi qu’un préjudice incalculable pour les millions d’individus qui n’ont désormais plus accès à des biens et services vitaux.
Le démantèlement rapide de l’agence américaine laisse peu d’espoir quant à une reprise de ses activités.
Une enquête menée le 14 février par l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) s’est penchée sur les multiples impacts du démantèlement de USAID. Elle a mobilisé une quarantaine d’individus représentant 26 organismes québécois de coopération internationale, six de leurs partenaires de mise en œuvre dans les pays du Sud global, et des chercheurs et chercheuses du milieu académique spécialisées en aide internationale, dont nous faisons partie. Les résultats ne sont pas publics, mais nous vous en donnons ici les grandes lignes.
Je me spécialise en gestion de projets d’aide internationale et je dirige l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires. Ma co-autrice, Katherine Robitaille, est doctorante et chercheuse en gestion de la coopération climatique internationale à l’Université Laval. Nous tenons à souligner l’apport dans cette recherche de Denis Côté, analyste des politiques à l’AQOCI. Il a piloté l’enquête sur l’impact des coupes de l’USAID auprès des membres.

Une femme porte un tshirt bleu
Une employée de l’USAID exhibe son t-shirt après avoir récupéré ses effets personnels au siège de l’agence à Washington, en février 2025. Jose Luis Magana/AP photo
Fin de l’âge d’or des États-Unis en matière d’aide
Né des cendres de la Seconde Guerre mondiale et des rivalités idéologiques de la Guerre froide, l’USAID a été créé en 1961 en réponse à l’insécurité mondiale qui menaçait le bien-être américain.
Grâce à l’USAID, les États-Unis ont ouvert la voie à la création d’autres agences bilatérales en Occident. Le pays a ensuite été essentiel dans la création du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques(OCDE). Celui-ci établit les normes en matière d’aide publique au développement (APD).
Le démantèlement de l’USAID sonne le glas de l’âge d’or des États-Unis en APD. Les coupes s’élèvent à 60 milliards de dollars. Le pays, qui occupait depuis longtemps le premier rang parmi les donateurs du CAD, chutera à la huitième place, selon les données compilées par l’OCDE.
Certes, les États-Unis conservent leur influence idéologique et politique. En réaction aux reconfigurations des dynamiques géopolitiques provoquées par Trump, certains donateurs (l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France) ont réduit leur enveloppe d’APD. Ces pays ont opté de consacrer une plus grande part de leur budget à la sécurité nationale.
Le Canada pourrait emboîter le pas : le chef conservateur Pierre Poilièvre a proposé une réduction de l’APD pour financer la défense de l’Arctique.
Des impacts sur les organisations d’aides canadiennes et québécoises
Pour les organismes québécois et canadiens et leurs partenaires locaux, les conséquences sont multiples et profondes.
L’enquête de l’AQOCI révèle que pour les organisations dont la programmation inclut un financement de l’USAID, ou dont les partenaires de mise en œuvre en bénéficient, les pertes d’emplois sont massives.
Une organisation québécoise a rapporté qu’en République démocratique du Congo (RDC), elle a dû mettre fin aux contrats de 77 individus, coupant ainsi les services d’eau et d’assainissement pour plus de 400 000 personnes déplacées. Au Ghana, l’un des 28 pays où cette organisation mène des projets, un partenaire de mise en œuvre a dû licencier 40 travailleurs et travailleuses du jour en lendemain en réponse au gel des financements de l’USAID.
L’organisme Humanité & Inclusion indique que sur 29 projets employant plus de 700 personnes, 400 ont perdu leur travail. Selon le Carrefour de solidarité internationale, un organisme de coopération internationale situé en Estrie, ces mises à pied créent un effet domino ; ceux et celles qui conservent leur emploi subissent une pression accrue pour soutenir leurs familles dans des contextes déjà précaires.
L’incertitude règne parmi les organisations. Un autre organisme, Mission inclusion a évoqué des craintes chez certains partenaires de devoir fermer définitivement leurs portes. SUCO rapporte que plusieurs organisations qui étaient sur le point de signer des ententes se retrouvent face à des contrats gelés ou annulés. D’autres organisations doivent fermer temporairement leurs bureaux sans savoir si elles reprendront leurs activités.
Des effets importants sur les populations déjà vulnérabilisées
Les coupes de l’USAID affectent même les projets que l’agence ne finançait que partiellement. Terre sans Frontières souligne qu’au Mali, la moitié des fonds du Programme alimentaire mondial provenaient de l’USAID. La sécurité alimentaire de centaines de milliers d’individus est désormais en péril. Au Congo-Brazzaville, Humanité & Inclusion estime que 225 000 personnes ne reçoivent plus de services essentiels.
La réduction des financements depuis le gel de l’USAID en janvier entraîne la fermeture de centres de santé et limite l’accès aux médicaments essentiels. Toujours selon l’enquête de l’AQOCI, les hôpitaux soutenus par l’USAID en Haïti, qui prennent en charge des individus atteints de la tuberculose et du VIH/Sida, sont désormais menacés. Faute de soins, les transmissions et les décès évitables augmenteront.

Deux hommes passent devant un hôpital
Des gens passent devant le centre hospitalier Fontaine, temporairement fermé le lendemain de son attaque par un gang armé à Port-au-Prince, en Haïti. Les hôpitaux haïtiens sont aussi touchés par le démantèlement de l’USAID. Odelyn Joseph/AP Photo
Voici d’autres exemples :
- En RDC, les personnes déplacées internes subissent les conséquences de l’arrêt des financements, ce qui aggrave la situation d’urgence déjà marquée par des violences physiques et sexuelles, notamment sur les filles et les femmes.
- Au Nigéria et au Mali, les programmes agricoles et alimentaires sont suspendus, mettant en péril l’approvisionnement en nourriture pour des milliers de familles.
- Au Guatemala, un refuge pour enfants et femmes victimes de violence a dû fermer complètement.
- En Colombie, la réduction des financements compromet les programmes de reconstruction de la paix, et menace la stabilisation et la lutte contre l’impunité. Un projet de déminage en Colombie employant plus de 100 personnes y est à l’arrêt.
- En Haïti, au Honduras et en Colombie, les programmes de soutien aux communautés LGBTQIA2S+ et de lutte contre les violences de genre sont en arrêt.
Le constat est clair parmi les membres de l’AQOCI et leurs partenaires : la perte de l’USAID entraîne des répercussions catastrophiques.
Vers une nouvelle solidarité internationale
Face aux coupes, rappelons l’importance de la solidarité internationale informelle et citoyenne qui demeure une force essentielle de résistance et d’adaptation aux crises.
L’ALNAP, un réseau de recherche qui pilote une méta-étude sur le système humanitaire tous les quatre ans, estime qu’en 2022, les transferts de fonds provenant de la diaspora étaient dix fois plus élevés que le volume annuel d’aide humanitaire publique. Il s’agit d’une solidarité à l’échelle humaine.
Le désinvestissement des pays donateurs de l’Occident signifie-t-il un réinvestissement des pays du sud ?
Citons par exemple la coopération médicale de Cuba, qui a déployé depuis 1960 plus de 400 000 médecins dans des pays du Sud global, selon La Havane, et qui forme gratuitement des étudiants et des étudiantes issues de pays du sud. Au Vanuatu, la réponse au cyclone Harold, qui s’est abattu sur l’archipel en pleine pandémie de Covid-19, a pu compter sur la solidarité interîles au lieu de l’aide étrangère.
Grâce à la Déclaration de Biketawa, un cadre de coopération régionale qui affirme la volonté des États insulaires du Pacifique de collaborer en matière économique, politique et sociale, les pays frappés par les crises et catastrophes ont de plus en plus recours à la solidarité de proximité.
Des centaines de tels exemples pourraient être fournis. Ils rappellent que la solidarité internationale ne se résume pas à l’aide des habituels pays donateurs.
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