Édition du 29 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Histoire

Vietnam, le 30 avril 1975 - Il y a 50 ans, une victoire historique, mais à quel prix…

L’indépendance du Vietnam a été proclamée une première fois en août 1945, et nous pourrions bientôt fêter son 80e anniversaire. De Gaulle en a décidé autrement, envoyant un corps expéditionnaire reconquérir sa colonie perdue. L’Indochine a dû subir deux dévastatrices guerres impériales successives, française, puis étatsunienne. Washington a mobilisé tous les moyens à sa disposition pour briser la révolution vietnamienne, certain qu’il l’emporterait – et a été vaincu. L’image est entrée dans l’histoire : le personnel de l’ambassade US à Saïgon exfiltré par hélicoptère. Le 30 avril 1975.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
26 avril 2025

Au moment où ont été signés les accords de Genève, en 1954, avec le gouvernement français de Pierre Mendès-France, le Vietminh était en position stratégique gagnante, les forces françaises ayant été décisivement défaites. Néanmoins, ces accords d’armistices lui ont été particulièrement défavorables. Ce sont les « grands frères » russe et chinois qui lui ont imposé l’abandon d’une grande partie de ses exigences. Il a dû replier ses troupes dans une « zone de regroupement temporaire » au nord du pays, alors que le régime de Saïgon était libre de redéployer son armée au sud.

Une élection devait se tenir sur l’ensemble du territoire, qui aurait vu le triomphe du gouvernement Hô Chi Minh. Bien entendu, elle n’eut pas lieu. Les Etats-Unis et le régime saïgonnais n’avaient même pas signé les accords, se gardant ostensiblement les mains libres. A leurs yeux, la division du pays devait devenir permanente, voire permettre une contre-offensive militaire pour renverser la République démocratique du Vietnam (RDVN). Le gouvernement Mendès-France a passé le relais à Washington en toute connaissance de cause.

Les accords de Genève sont l’un des exemples classiques d’armistices qui débouche sur une division territoriale permanente lourde de tensions purulentes (voir le cas de la péninsule coréenne, devenu un « point chaud » nucléaire) ou sur une nouvelle guerre, bien pire encore que la précédente (dans le cas du Vietnam, précisément).

Dans l’immédiat, le régime saïgonnais profita du repli des forces armées révolutionnaires pour lancer une campagne d’élimination des cadres du mouvement de libération au Sud et s’attaquer à leur base de masse, notamment dans la paysannerie et des tribus montagnardes des Hauts plateaux.

Stopper la dynamique révolutionnaire en Asie du Sud-Est

Les enjeux dépassaient la seule péninsule indochinoise. Washington voulait porter un coup d’arrêt à la dynamique révolutionnaire en Asie du Sud-Est. Il visait par l’ouest la Chine qui s’était déjà retrouvée menacée à l’est, lors de la guerre de Corée (1950-1953) et cherchait à consolider la suprématie mondiale de l’impérialisme US. La seconde guerre du Vietnam devait exemplifier la toute-puissance étatsunienne. L’affrontement au Vietnam est ainsi devenu le point nodal de la situation mondiale où se nouaient les rapports de forces entre révolution et contre-révolution d’une part, ainsi qu’entre blocs ¬dits occidental (Etats-Unis, Europe de l’Ouest, Japon…) et oriental (Chine-URSS).

Bien que bénéficiant d’une base sociale assurée, notamment, par les catholiques venus du Nord, le régime (corrompu et dictatorial) de Saïgon a déçu les attentes de Washington qui a dû s’engager toujours plus avant dans le conflit, jusqu’à mener une guerre totale, sur tous les terrains, d’une ampleur sans équivalent : envoi de centaines de milliers de soldats (les GIs, jusqu’à 550.000 hommes sur le terrain), bombardements en tapis de la République démocratique du Vietnam, contre-réforme agraire au Sud, épanchements massifs de défoliants (l’agent orange, toxique) sur les zones boisées, développement des technologies militaires pour débusquer les combattant.es caché.es dans les tunnels ou repérer les déplacements nocturnes de troupes…

Durant la Seconde guerre d’Indochine, toute la puissance économique et technologique des Etats-Unis a été mobilisée, déversée sur le Vietnam, un pays du tiers-monde de taille moyenne. Cependant, Moscou et Pékin se savaient dans la ligne de mire US, une aide militaire conséquente lui est parvenue, via le frontière chinoise, même durant la Révolution culturelle. Cette aide, aussi importante fût-elle, restait néanmoins qualitativement mesurée. Les armements les plus sophistiqués, qui auraient notamment permis de sécuriser le ciel du Nord-Vietnam, n’ont pas été fournis. Les « grands frères » ne voulaient pas une défaite de la RDVN, qui les aurait menacés, mais voulaient-ils la victoire ou la croyaient-ils possible ?

De l’offensive du Têt en 1968 à la chute de Saïgon

Le conflit a gagné une dimension internationale majeure, tant dans ledit tiers-monde que dans les citadelles impérialistes. Pour les révolutions russes ou chinoises, la solidarité est devenue pleinement d’actualité après la victoire. Pour la révolution vietnamienne (ou algérienne), elle a constitué un élément clé d’une stratégie en perpétuelle adaptation, qui a fini par conduire à la victoire.

La direction vietnamienne a compris l’importance de ce nouveau terrain d’action et le mouvement de libération national s’y est beaucoup investi, tant sur le plan diplomatique que celui de la solidarité militante. Avec beaucoup de savoir-faire, sollicitant tout le spectre politique solidaire. C’était l’une des caractéristiques de sa stratégie d’ensemble.

De quelque région du monde qu’elle s’exprime, la solidarité avait son importance, mais, bien évidemment, dans cette partition, un rôle particulier revenait au mouvement antiguerre des Etats-Unis.

D’aucuns en ont conclu que c’est le mouvement antiguerre qui avait défait Washington, en vue de défendre des thèses « pacifistes » sur l’inutilité de la lutte armée. Anachronisme trompeur. Pendant longtemps, la bourgeoisie étatsunienne a soutenu l’effort de guerre, ainsi que la majorité des scientifiques, chercheurs et ingénieurs appelés à fournir l’armée les technologies dont elle avait besoin. Les usines d’armement tournaient à plein. Les résistances à la guerre se sont certes considérablement renforcées durant la seconde moitié des années 1960, notamment dans la jeunesse. Cependant, pour que la contestation change décisivement de dimension, il a fallu que les pertes militaires deviennent trop lourdes, que le coût économique du conflit devienne trop grand, que la « légitimité » de l’impérialisme US dans le monde soit trop atteinte, que les mouvements d’anciens combattants se renforcent et que la crise politique éclate en 1972 avec le scandale du Watergate, forçant la démission de Richard Nixon.

Pour forcer des pourparlers ouvrant une fenêtre politique favorable à la victoire, après l’offensive du Têt en 1968 (défaite militaire, victoire politique et diplomatique), le mouvement de libération vietnamien a imposé une négociation en face-à-face : la RDVN (République démocratique du Vietnam) et le GRP (Gouvernement révolutionnaire provisoire) au sud d’un côté, les États-Unis et le régime de Saïgon de l’autre, excluant cette fois la présence des grandes puissances « amies » (Moscou, Pékin). Les négociations de Paris se sont ouvertes et se sont enlisées. Cependant, désireux de se désengager progressivement pour répondre à la crise intérieure, Washington a entamé la politique de « vietnamisation », retirant progressivement ses forces armées tout en tentant de consolider le régime saïgonnais. La signature à l’arrachée des accords de Paris, le 27 janvier 1973, a sanctionné le retrait des GIs. Deux ans plus tard, en 1975, l’offensive finale a été lancée, l’armée saïgonnaise s’effondrant. La guerre se termine alors enfin, presque sans combats. Comme un constat.

Trois décennies de guerre

Victoire historique d’une immense portée, mais pour laquelle le peuple vietnamien et les forces de libération ont payé un prix terriblement lourd. Trois décennies de guerre ont épuisé la société, écrasé le pluralisme politique, décimé les cadres implantés au sud, marqué en profondeur les organisations qui ont survécu à l’épreuve (à commencer par le PCV). Le Vietnam s’est libéré, la révolution l’a emporté, mais sous un régime autoritaire. Faute d’avoir été suffisamment soutenue en temps et en heure en 1945, en 1954, en 1968… « Soldat de toute première ligne », le peuple vietnamien a porté un combat dont les luttes populaires dans le monde — celles de ma génération —, ont, oh combien, bénéficié. Le prix payé a été lourd. Il mérite qu’on le soutienne encore aujourd’hui, y compris quand il est réprimé par son propre gouvernement.

Sévèrement défait, Washington n’a eu de cesse de se venger. Il a imposé l’isolement du Vietnam une décennie durant, avec, cette fois, le soutien chinois. A l’heure du grand schisme entre l’URSS et la Chine, Moscou devenait aux yeux de Pékin « l’ennemi principal ». Même si l’aide sino-soviétique (intéressée) avait été d’une très grande importance pour l’effort de guerre vietnamien, l’indépendance d’Hanoï était peu appréciée du régime pékinois. Dans un nouveau contexte géopolitique, le Vietnam s’est rapproché de la Russie, avant de devenir la victime directe des renversements d’alliances internationales, quand les USA et la Chine ont conjointement soutenu les Khmers rouges (!) dans une nouvelle guerre d’Indochine, en 1979. La realpolitik a alors atteint un de ses sommets.

Le Cambodge plongé dans le chaos

La « piste Ho Chi Minh » qui permettait de faire parvenir des armes aux combattants du sud passait en partie par le Laos et l’est du Cambodge, qui, sous l’égide du prince Norodom Sihanouk, n’avait pas été significativement impliqué dans la première guerre d’Indochine. Tout en affirmant sa neutralité, le prince tolérait la présence vietnamienne.

En bombardant massivement le Cambodge et en soutenant le coup d’Etat sanglant de Lon Nol (1969-1970), les Etats-Unis ont précipité dans la guerre et le chaos un royaume qui n’était préparé ni socialement ni politiquement à une « guerre du peuple » ; mais ils ont créé une situation de vide dont les Khmers rouges ont bénéficié. Le 30 avril 1975, ces derniers ont conquis la capitale. Dans la foulée, ils ont intégralement vidé la ville de sa population, en prévision de bombardements US, disaient-ils alors. Cependant, ils envoyaient sur les routes d’un exile intérieur des personnes hospitalisées qui ne pouvait survire à cette épreuve. La réalité est rapidement apparue. Les déporté.es ont été dispersé.es dans le pays, sans espoir de retour. Phnom Penh est devenu une ville Khmer rouge où opérait un centre de tortures soigneusement administré, chaque « interrogatoire » étant archivé.

Que se passait -il ? C’est à ce moment que nous avons réalisé à quel point nous ne savions quasiment rien de ce mouvement composite. Une aile des Khmers rouges avait collaboré pendant la guerre avec les Vietnamiens, de part et d’autre de la frontière. Elle a été victime de purges secrètes permettant à la fraction Pol Pot d’assoir son pouvoir. Il s’agissait d’un courant violemment ethnonationaliste, raciste, notamment antivietnamien. Sa base sociale ? Des tribus montagnardes du nord (la garde prétorienne de Pol Pot) et… l’armée dont il prend le contrôle. Les Khmers rouges ont été qualifiés de communistes radicaux (?) et de maoïstes, mais ils ont tout fait à l’inverse. De retour dans les centres urbain, le PCC s’est empressé de reconstituer une assise ouvrière (créant un statut particulier accordé aux ouvriers des entreprises d’Etat). Il a effectué une véritable réforme agraire et a pris des mesures emblématiques pour les femmes du peuple. Le tout, certes, en consolidant son monopole du pouvoir et son contrôle politique sur la société.

Une révolution cambodgienne n’aurait évidemment pas été le calque de ses consœurs chinoise ou vietnamienne. Mais de quelle révolution parle-t-on ? Paysanne, alors que les Khmers rouges mettent la paysannerie au travail forcé ? Ouvrière, sans aucune implantation, ne serait-ce que semi-prolétarienne ? Bourgeoise, alors qu’ils abolissent la monnaie ? Et comment définir cet Etat ? Par défaut, il a été qualifié dans bon nombre de milieux à gauche d’Etat ouvrier. Pour ma part, en 1985, j’avais avancé la formule d’une « fausse couche » d’un Etat ouvrier à naître. Un débat très alambiqué, c’est le moins que l’on puisse dire.

Et d’ailleurs, de quel Etat parle-t-on ? Dans quelle mesure existe-t-il ? Il est au mieux embryonnaire. Surtout, il n’a pas la base sociale sur laquelle il pourrait se construire. Une armée de paysans s’est coupée de la paysannerie. Devant un tel cas limite, mieux vaut ne pas se précipiter à brandir des concepts. L’histoire « inégale et combinée » de la Seconde guerre d’Indochine a provoqué au Cambodge l’émergence d’une situation chroniquement instable où une armée a mis la population en coupe réglée pour restaurer la grandeur d’antan du royaume, quitte à faire creuser un immense réseau de canaux… sans ingénieurs pour le penser (les intellectuels étant particulièrement visés par le nouveau pouvoir, ayant à sa tête une poignée d’intellectuels).

L’ordre khmer rouge s’est simplement effondré avec l’intervention militaire vietnamienne de décembre 1978-janvier 1979. L’une des raisons qui ont décidé Hanoi à agir était le sort fait aux populations vietnamiennes du Cambodge, menacées de génocide, à l’instar d’autres minorités. Cependant, cette intervention a été vécue par la majorité de la population comme une libération. Toutes et tous les déporté.es ont commencé à rentrer chez eux, spontanément. Le Vietnam a retiré ses troupes (les dernières quittent le pays en 1989), après avoir installé un gouvernement « ami » (mais pas client, comme la suite de l’histoire l’a montré).

Le pouvoir khmer rouge était irrémédiablement instable. Aurait-il pu se consolider à l’ouest et gagner un contenu social avec l’aide de l’armée, des trafiquants et des gangs thaïlandais ? Dans une telle hypothèse, il serait devenu bourgeois. Politique fiction.

La perspective qui aurait donné une chance progressiste à une révolution cambodgienne aurait été de l’inscrire dans une solidarité indochinoise, avec le Laos et le Vietnam. Un pan du mouvement khmer rouge y était peut être favorable. Le risque de se voir dominé par Hanoi était réel, mais rien ne pouvait être aussi terrible que ce qui s’est passé – des centaines de milliers de victimes – et qui a provoqué un profond trauma historique dont l’empreinte marque encore, insidieusement, le Cambodge d’aujourd’hui.

La Fédération socialiste des Etats indochinois n’a pas vu le jour. Ils étaient nombreux à ne pas le vouloir : Pol Pot, Pékin, Washington, l’ONU et Sihanouk qui s’est laissé instrumentaliser par la Chine et les Etats-Unis en donnant un vernis de légalité internationale à la sale guerre de 1979.

La guerre sino-vietnamienne

Les Khmers rouges polpotiens revendiquaient des droits historiques sur le delta du Mékong et avaient multiplié des incursions meurtrières en territoire vietnamien, avant qu’Hanoi ne décide de l’invasion de 1978.

En réponse au renversement du régime khmer rouge par Hanoi, la Chine a décidé d’une « expédition punitive » en février-mars 1979. Elle a duré un mois. La frontière, longue de 750 kilomètres, est pour l’essentiel montagneuse. L’armée chinoise a mené une attaque frontale à l’assaut des cols, appuyée par un barrage d’artillerie et des chars. Elle est arrivée à pénétrer en territoire vietnamien, mais l’opération s’est soldée par un double échec.

Un échec militaire, d’abord. La désorganisation de l’armée chinoise et ses défaillances (dans le renseignement ou la coordination du commandement) a surpris. Elle misait sur le fait qu’une grande partie des forces régulières vietnamiennes étaient au Cambodge, mais les milices locales se sont révélées capables de contrer l’offensive déclenchée par Pékin. La mise en évidence de ces incuries a ouvert une crise au sein de la direction du PCC. La modernisation en profondeur de ses conceptions et de son appareil militaire restait à faire.

Echec stratégique aussi. Hanoi n’a pas replié de troupes du Cambodge pour renforcer ses défenses au Nord-Vietnam. Pas de trêve pour les protégés khmers rouges de Pékin.

Le conflit sino-soviétique

La crise sino-khméro-vietnamienne représente l’un des points culminants du conflit sino-soviétique, sanctionnant aussi un spectaculaire retournement d’alliances internationales.

Les rapports entre Pékin et Moscou ont toujours été lourds de suspicions et tensions. La révolution chinoise s’était imposée (de même qu’au Vietnam) à l’encontre du partage des zones d’influence négocié entre les Etats-Unis et l’URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Staline avait enjoint Mao de ne pas renverser le régime de Tchang Kai-check. Il voulait préserver son contrôle sans partage sur le mouvement communiste international. Enfin, question particulièrement litigieuse, il refusait à la Chine l’accession à l’arme nucléaire.

La Chine a fait les frais de la politique de coexistence pacifique préconisée par Nikita Khrouchtchev, qui soutint l’Inde lors du conflit sino-indien de 1962, dans la chaîne himalayenne. Il mit brutalement un terme à l’assistance technique assurée à l’économie chinoise. Le rapprochement entre Moscou et Washington se fit clairement aux dépens des Chinois. La rupture est définitivement consommée en 1969, avec les guerres frontalières sino-soviétiques.

Le schisme dudit « camp socialiste » a donné la main à Washington, libre de jouer l’un contre l’autre. En 1971, Henry Kissinger s’est secrètement rendu en Chine pour préparer la venue de Richard Nixon à Pékin, en 1972 – qui, dans la foulée, se rendra de nouveau à Moscou aussi.

Les conséquences délétères du conflit interbureaucratique sino-soviétique se sont fait sentir dans le monde entier. La victoire vietnamienne de 1975 ouvrait néanmoins une fenêtre d’opportunité, Washington n’étant alors plus en mesure d’intervenir militairement massivement à l’étranger. La crise sino-indochinoise de 1978-1979 annonce, pour sa part, le changement de période des années 1980 qui a vu ma génération militante défaite dans les « trois secteurs de la révolution mondiale » (tiers-monde, pays de l’Est, pays impérialistes).

Guerre et révolution (brèves notes complémentaires)

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’occupant japonais a détruit l’administration française, avant d’être lui-même défait sur le théâtre des opérations du Pacifique. Le Vietminh profite de ce bref « moment favorable », qu’il avait anticipé, pour déclarer l’indépendance. Il agit très rapidement et garde l’initiative politique, mais dans une situation fragile. Ses capacités militaires sont faibles et son autorité contestée, surtout de la part de sectes religieuses et de mouvements nationalistes anticommunistes.

Révolution sociale et réforme agraire

Avec l’accord de la Chine de Tchang Kaï-chek, le corps expéditionnaire français a bombardé le port d’Haiphong au nord du Vietnam en 1946. C’est ainsi qu’a commencé la première guerre du Vietnam. Les offres de négociations d’Hô Chi Minh ont été rejetées. Comme en témoigne un discours de Vo Nguyen Giap, à son retour de Paris, cette éventualité avait été prise en compte par la direction du Parti communiste vietnamien.

Vu le rapport des forces militaires, cette guerre a pris la forme d’une guerre révolutionnaire prolongée. Elle mobilise dans ce cadre la paysannerie. Le patriotisme ne suffit pas. L’appel à la réforme agraire s’avère indispensable. Dorénavant, libération nationale et révolution sociale sont imbriquées. Ce sera le socle permettant d’inscrire la résistance dans la longue durée.

Il y a des « modèles » stratégiques. Cependant, une stratégie doit prendre en compte l’évolution de la situation, les réactions de la force ennemie, le résultat des phases précédentes de la lutte... Dans la réalité, une stratégie concrète évolue et combine souvent des éléments qui appartiennent à des « modèles » différents. Les Vietnamiens n’ont cessé d’adapter leur stratégie.

Une stratégie combine des formes de luttes de nature différente. L’adaptabilité stratégique, c’est aussi savoir arrêter la lutte armée quand elle ne répond plus à une nécessité.

Une décision difficile

Après 1954, la relance de la résistance armée contre le régime saïgonnais a tardé. Cette décision, progressivement mise en œuvre dans la seconde moitié des années 1950, de la reprise de la lutte armée n’a pas dû être facile à prendre, sachant que cette fois, ce seront les Etats-Unis qui entreront en lice. Mais quelle était l’alternative ? Accepter a minima la division du pays ad vitam æternam, comme en Corée. Abandonner sans soutien les réseaux militants et les bases sociales du mouvement de libération au Sud, face à une dictature sans scrupule aucun. Laisser l’initiative à Washington, s’il décidait de s’attaquer à la République démocratique du Vietnam.

La perspective de l’émancipation sociale et démocratique

Quand des secteurs sociaux significatifs entrent en résistance armée, c’est que la violence des pouvoirs établis était insupportable. La guerre populaire ouvre (potentiellement) une dynamique d’émancipation sociale, qui risque cependant de s’épuiser quand elle dure longtemps. En Asie, où des conflits n’ont jamais cessé, la question posée n’est pas seulement historique. Des réponses concrètes doivent alors sans cesse être apportées à un double problème : comment éviter que des groupes armés ne dégénèrent (cela arrive…) ? Comment défendre concrètement, la liberté démocratique de décision et les droits des communautés populaires ou montagnardes que les combattant.es sont censés protéger ? Nous bénéficions d’expériences très riches en la matière, notamment avec nos camarades de Mindanao, au sud de l’archipel philippin.

En Birmanie, quand la junte militaire s’est emparée il y a quatre ans de l’entièreté du pouvoir, on peut dire que le pays (quasi) entier est entré en désobéissance civique, non violente. La junte aurait pu être renversée, pour peu que la « communauté internationale » lui apporte son soutien en temps et en heure. Ce ne fut pas le cas, une fois encore. Et la répression a fini par forcer la résistance dans la plaine centrale à rejoindre la lutte armée portée, notamment, par des minorités ethniques. Là encore, il ne s’est pas s’agit d’un choix a priori, mais d’une obligation.

Pierre Rousset

P.-S.

• Version longue, considérablement développée, a été mise en ligne le 26 avril 2025.

La première version, courte, était parue dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 751 (24/04/2025). Publié le Mercredi 23 avril 2025
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/dun-colonialisme-lautre
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/guerre-et-revolution

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