Tiré de A l’Encontre
22 octobre 2025
Par Shir Hever*
Shir Hever, dans cet article, analyse les évolutions de la stratégie militaire de l’Etat sioniste et les liens existant entre les choix d’armement, les relations militaires avec les Etats-Unis, la production et l’exportation d’armes par Israël, la colonisation des territoires palestiniens et le type de guerre menée depuis 2023 où s’articulent « domination et anéantissement » d’une population. – Réd. A l’Encontre]
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Israël est l’un des pays les plus militarisés au monde. Les Forces de défense israéliennes (FDI) et, plus largement, les forces de sécurité israéliennes constituent le noyau autour duquel les institutions, les structures financières et l’économie du pays se sont développées depuis que David Ben Gourion a ordonné la création des FDI le 26 mai 1948. Au cours des décennies qui ont suivi, l’économie politique du pays s’est développée autour de ce principe central d’organisation de la guerre, évoluant au fur et à mesure que la nature de la guerre changeait avec la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient.
Dans les années 1940, les milices coloniales décentralisées se sont regroupées pour former une entreprise publique gérée par l’État pour la production de matériel militaire. L’État israélien a limité les exportations de cette industrie, une tendance qui s’est poursuivie après l’indépendance, les fabricants d’armes publics produisant des armes à des fins expansionnistes. Au début de la guerre froide et pendant la période postcoloniale, la stratégie militaire israélienne reflétait ce modèle économique. Plutôt que de mener une guerre conventionnelle, la colonisation était encouragée par de petites unités militaires menant des campagnes de nettoyage ethnique avec des armes légères. Si Israël importait des armes, principalement de France, il équipait ces milices principalement grâce à la production nationale.
C’est à la suite de la guerre israélo-arabe de 1973 (guerre du Yom Kippour), avec l’augmentation du financement militaire par les Etats-Unis, que les pratiques d’approvisionnement de l’armée israélienne ont changé. La nouvelle phase de la guerre froide mondiale a marqué le début d’une période de changement sectoriel au sein de l’industrie de défense israélienne. La guerre a mis en évidence de graves faiblesses dans la défense israélienne, qui avait lutté contre les armées des pays arabes équipées par l’Union soviétiques. La réponse d’Israël a été une augmentation rapide et forte des importations de systèmes d’armes états-uniens. Mais cette décision a nécessité un ajustement structurel : afin de renforcer ses liens avec l’industrie de défense américaine, Israël a privatisé et libéralisé son appareil militaire national. Au cours des dernières décennies du XXe siècle, les Forces de défense israéliennes (FDI) se sont transformées en une force de police coloniale de haute technologie, gérant les populations palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie par la surveillance et le contrôle. Alors que les importations d’armes en provenance des États-Unis se poursuivaient à un rythme soutenu, Israël a réorienté sa propre production vers de nouvelles technologies spécialisées de surveillance et d’incarcération. Une nouvelle division mondiale du travail dans la production d’équipements militaires a vu le jour, façonnée par la guerre contre le terrorisme et l’industrie mondiale de la défense dirigée par les États-Unis jusqu’en 2023.
La campagne génocidaire menée par Israël dans la bande de Gaza marque une rupture avec le statu quo qui prévalait depuis des décennies. Depuis le 7 octobre, l’industrie militaire israélienne cherche de plus en plus à compenser sa dépendance écrasante vis-à-vis des importations militaires par sa propre production nationale, revenant ainsi à ses origines de nation-milice mobilisée pour des hostilités constantes. Ce changement est à la fois qualitatif et quantitatif. En produisant pour la consommation nationale, le complexe militaro-industriel israélien a commencé à recomposer son profil de production autour d’armes de faible technologie conçues pour la destruction et le déplacement de masse, donc pour des produits et des pratiques plus proches de sa stratégie fondatrice.
Un État colonialiste
Les racines de l’industrie de l’armement israélienne sont antérieures à la fondation de l’État lui-même. Israel Military Industries, la société à l’origine du Desert Eagle (pistolet semi-automatique) et de l’Uzi (pistolet-mitrailleur), a été créée en 1933 en tant que fabricant d’armes légères pour approvisionner les premières milices sionistes. Ses armes étaient produites en secret [c’était l’époque du mandat britannique, s’étalant de 1922 à 1947, suite à la décision de 1917], introduites en contrebande et stockées illégalement pour être utilisées par ces groupes armés sionistes. Les milices qui ont ensuite formé l’armée israélienne étaient principalement armées de mitraillettes Sten [d’origine britannique], de mortiers et de véhicules blindés légers, des armes bien adaptées pour intimider les civils et finalement efficaces dans le nettoyage ethnique de la Palestine. Ces armes favorisaient les tactiques de petites unités et la guerre irrégulière sur des terrains accidentés, s’alignant sur la doctrine initiale d’Israël de haute mobilité et de commandement décentralisé, et illustrant ce que les généraux israéliens décrivaient souvent comme l’idéal d’une « armée petite et intelligente ».
La mentalité collectiviste des colons a joué un rôle essentiel dans le militarisme du mouvement sioniste, ses stratégies d’armement et ses relations avec la population palestinienne indigène. Sous la direction de l’ancien Premier ministre israélien David Ben Gourion, chef du Parti travailliste et des syndicats [il fut aussi dirigeant du groupe armée Haganah], l’État a monopolisé la fabrication d’armes israéliennes. Ce monopole sur la production d’armes a favorisé le développement du secteur public du pays, les recettes étant réinvesties dans la recherche et le développement [1]. Ce type de guerre a également influencé la politique de recrutement militaire. Afin de maintenir la cohésion et la loyauté des unités, Israël a exempté de conscription une grande partie de la population : les Palestiniens, les juifs ultra-orthodoxes et, plus tard, un nombre croissant de juifs laïques. Cette stratégie s’est avérée efficace en 1948, 1956 et 1967, lorsque des unités légères et agiles ont pu prendre le dessus sur des forces arabes moins organisées. Cependant, avec le déclenchement de la guerre en 1973, les limites de cette stratégie ont rapidement été mises en évidence.
L’infrastructure de la domination
Si les succès militaires d’Israël contre l’Égypte, la Syrie et la Jordanie lors de la guerre des Six Jours en 1967 ont engendré une confiance excessive parmi les élites militaires israéliennes, la guerre du Yom Kippour en 1973 a ébranlé cette conception de l’autosuffisance, y compris dans la fabrication d’armes. Les achats massifs d’équipements militaires russes par les gouvernements irakien et syrien, ainsi que l’explosion des revenus pétroliers arabes et l’afflux d’armes achetées grâce à ces revenus, ont marqué le début d’une course à l’armement régional sur de nombreux axes de conflit. Lorsque la guerre a éclaté en octobre 1967, les petites unités israéliennes et même la supériorité aérienne n’ont pas réussi à stopper l’avance des divisions syriennes et égyptiennes. Au milieu de la guerre, Israël s’est tourné vers les importations d’armes fabriquées aux États-Unis, ce qui a nécessité de nouvelles tactiques et, en fin de compte, une nouvelle stratégie.
La dépendance vis-à-vis du financement militaire états-unien a commencé au milieu de la guerre du Yom Kippour et est rapidement devenue une caractéristique essentielle de l’industrie israélienne de l’armement. L’hostilité inhérente d’Israël envers les gouvernements socialistes arabes financés par l’Union soviétique en a fait un allié naturel des intérêts états-uniens pendant la guerre froide. En sauvant Israël de la destruction, les États-Unis ont obtenu un nouvel outil pour projeter leur puissance au Moyen-Orient et une occasion toute trouvée de restructurer l’industrie militaire israélienne en fonction de leurs propres priorités économiques et géostratégiques.
Dans les années qui ont suivi, les États-Unis ont utilisé le financement militaire pour exercer une pression sur le type de technologies et d’équipements qu’Israël pouvait produire chez lui. Le Pentagone a identifié les projets de recherche militaire israéliens susceptibles de concurrencer les entreprises de défense états-uniennes et a négocié leur arrêt définitif. Il s’agissait notamment de travaux sur un missile antichar destiné à concurrencer le missile LAU de fabrication états-unienne, ainsi que du projet d’armement phare d’Israël, l’avion de chasse Lavi, développé dans les années 1980 et conçu pour surpasser le chasseur F-16 de Lockheed Martin [2]. Le Pentagone a également surveillé les exportations d’armes israéliennes contenant des technologies états-uniennes, interdisant leur vente à des pays comme la Russie et la Chine.
Depuis 1973, Israël est devenu le plus grand bénéficiaire de l’aide militaire étrangère des Etats-Unis dans le monde et, depuis la révolution iranienne de 1979, le plus grand acheteur d’équipements militaires américains de la région, et de loin. Depuis le début de la guerre du Yom Kippour, les États-Unis ont accordé à Israël une aide militaire totale de plus de 171 milliards de dollars, sans tenir compte de l’inflation et sans intérêts [3]. Ce changement dans la base des achats militaires israéliens a profondément réorienté le rôle des fabricants d’armes locaux. Si les États-Unis sont de loin le plus grand exportateur d’armes au monde, Israël est devenu à son tour un exportateur d’armes majeur, avec le taux d’exportation d’armes par habitant le plus élevé au monde. Cependant, alors que les exportations d’armes états-uniennes privilégient les membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la plupart des exportations d’armes israéliennes sont destinées à des pays non membres de l’OTAN.
Le mariage entre les intérêts militaires des Etats-Unis et d’Israël allait avoir deux conséquences. Premièrement, sous l’influence des États-Unis, les entreprises d’armement privées ont pris le pas sur les entreprises publiques dans les achats de l’armée israélienne, alors que le pays traversait une période de privatisation intense. Les pressions en faveur de la privatisation se sont accrues en raison des ajustements douloureux imposés par les États-Unis à la production d’armes et des réductions des dépenses militaires reflétant la fin de la guerre froide. En 1993, un comité gouvernemental présidé par le professeur Israel Sadan s’est réuni pour étudier l’avenir des achats militaires israéliens et a recommandé la privatisation des fonctions « périphériques », du stockage et de la distribution jusqu’aux acquisitions logistiques, voire à la sécurité des bases elles-mêmes. La concurrence entre les fournisseurs privatisés a été présentée comme une mesure d’économie qui, selon les assurances données aux Israéliens, ne compromettrait pas la sécurité. L’efficacité était le mot d’ordre du jour, un principe repris par le chef de l’armée israélienne de l’époque, Ehud Barak [chef d’Etat-major des FID de 1991 à 1995, puis ministre des Affaires étrangères, et premier ministre de 1999 à 2001], qui déclara : « Tout ce qui ne tire pas ou n’aide pas directement à tirer sera supprimé. » [4]
La privatisation ne s’est pas limitée à l’industrie de l’armement. Avec le plan de stabilisation structurelle de 1985, Israël s’est lancé dans un processus de privatisation à grande échelle de ses infrastructures et services de télécommunications, de sa compagnie aérienne nationale, du secteur bancaire, ainsi que dans une privatisation partielle des secteurs de l’eau, de la santé et des ports [5]. En plus de répondre aux préférences des États-Unis, la privatisation a offert aux membres de l’élite sécuritaire israélienne des opportunités lucratives dans la gestion d’entreprises d’armement privées.
Deuxièmement, ces entreprises privées allaient s’impliquer de plus en plus dans la guerre mondiale contre le terrorisme menée par les États-Unis. La privatisation allait de pair avec la spécialisation dans les technologies utilisées dans la cyberguerre, les drones d’attaque et les systèmes électroniques avancés pour les véhicules militaires [6]. À la suite de la deuxième Intifada [2000-2005] et des attentats du 11 septembre 2001 [World Trade Center], Israël et les États-Unis ont partagé un intérêt commun pour le développement de systèmes de haute technologie pour la surveillance, la réglementation et le contrôle.
Depuis 2001, entre 70 et 80% des armes fabriquées en Israël ont été vendues à l’exportation. Les entreprises d’armement israéliennes se sont forgé une réputation de vendeurs d’armes à des clients marginaux : les pays soumis à un embargo militaire, les groupes rebelles, les milices, les États sans relations diplomatiques avec les autres grands producteurs d’armes, et même des clients qui ont ensuite utilisé ces armes contre Israël [7]. Israël s’est forgé cette réputation dans les années 1960, au plus fort de la guerre froide mondiale, en exportant des armes vers l’Ouganda, l’Angola, le Chili, l’Afrique du Sud, Singapour, Taïwan, le Nicaragua, le Guatemala et l’Iran pré-révolutionnaire. Plus tard, à mesure que la géographie des guerres chaudes évoluait, ses exportations se sont déplacées vers le Rwanda, la Yougoslavie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Inde. Au cours des dernières décennies, les États du Golfe ont commencé à importer de plus en plus d’armes israéliennes [en complément des armées états-uniennes]. Bien qu’Israël soit loin derrière les principaux exportateurs mondiaux d’armes tels que les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, il a atteint le statut de premier exportateur mondial d’armes par habitant vers 2009, après que l’invasion de la bande de Gaza en 2008 ait tué environ 1400 Palestiniens [8].
En 2003, le président américain George Bush a créé le Département de la sécurité intérieure (DHS- Department of Homeland Security) avec un budget dépassant 59 milliards de dollars. Le DHS et le climat de la GWOT (Global War on Terrorism) ont offert aux entreprises militaires et de sécurité israéliennes l’occasion idéale de tirer parti de leur expérience dans les territoires occupés. Les entreprises israéliennes ont présenté les territoires palestiniens occupés comme un terrain d’essai pour développer des produits adaptés à un projet américain de sécurité intérieure en pleine évolution, et Tel-Aviv est rapidement devenue la capitale mondiale du secteur de la sécurité de l’industrie de l’armement [9]. La série d’opérations militaires israéliennes à Gaza, au Liban et ailleurs a été une aubaine pour les entreprises d’armement du pays, leur permettant de commercialiser leurs produits comme « testés au combat » lors des différents salons de l’armement qui ont suivi chaque opération [10]. À l’heure actuelle, ces produits militaires sont devenus une activité très lucrative et un secteur clé de l’économie israélienne. En 2012, Israël a engrangé 7,5 milliards de dollars grâce aux exportations militaires ; la même année, l’ancien ministre israélien de la Défense Ehud Barak a déclaré que 150 000 foyers israéliens dépendaient de l’industrie de l’armement pour leurs revenus.
La relation particulière entre Israël et les États-Unis est essentielle dans tout cela. Il s’agit d’une relation essentiellement militaire, où les flux monétaires et les exportations/importations d’armes jouent un rôle structurant dans l’économie israélienne. Si environ 75% des 3,1 milliards de dollars d’aide militaire états-unienne à Israël doivent être dépensés en armes américaines, le reste peut être consacré à des armes produites localement. Ce renforcement de l’alignement diplomatique a facilité l’intégration industrielle, comme lorsque la société américaine Magnum Research a transféré la production de ses pistolets Magnum et Desert Eagle en Israël. Aujourd’hui, même lorsque Israël achète des armes fabriquées aux États-Unis, celles-ci sont souvent construites avec des composants israéliens. Les fonds de recherche alloués par le gouvernement et les programmes de recherche universitaires conjoints ont conféré une légitimité scientifique aux technologies de répression [11]. En 2018, la vague de privatisation et la nouvelle demande à l’exportation ont abouti à l’achat de la société publique Israel Military Industries par la société privée Elbit Systems. Cette dernière est ainsi devenue la plus grande entreprise d’armement d’Israël et la vingt-huitième plus grande firme d’armement au monde en 2019. Elle fournit les armées non seulement directement, mais aussi indirectement en tant que sous-traitant de grandes entreprises telles que General Dynamics et Airbus [12]. Elbit Systems incarne clairement le nouveau visage de l’industrie de l’armement israélienne : technologies d’oppression, gammes de produits complémentaires plutôt que concurrentes des armes des Etats-Unis, et exportations mondiales qui misent sur la valeur que les gouvernements du monde entier accordent à l’expérience d’Israël en matière d’occupation.
Au cours des cinq décennies qui ont suivi la guerre de 1973, les milices de colons soutenues par l’État israélien se sont transformées en un système de haute technologie destiné à opprimer les Palestiniens. Dans son armée désormais à forte intensité capitalistique, les entreprises d’armement démontrent leur technologie de pointe à travers les assauts militaires contre les Palestiniens et la surveillance et le contrôle quotidiens de l’occupation [13 et 14].
Spécialisé dans les systèmes de surveillance, les équipements anti-émeutes et les infrastructures carcérales, ce « laboratoire » a produit des outils idéaux pour maintenir l’occupation, mais mal adaptés à la guerre conventionnelle. N’étant plus une force de combat, l’armée israélienne s’est transformée en une armée de police coloniale, privilégiant la dissuasion, l’humiliation et la répression de la résistance palestinienne plutôt que la suprématie sur le champ de bataille. Des dizaines de milliers d’agents de sécurité privés ont été formés au développement et à la maintenance de ces technologies.
La stratégie d’anéantissement, de nettoyage ethnique
La dépendance d’Israël, depuis des décennies, à ce modèle de surveillance high-tech des populations palestiniennes enclavées a été remise en cause par les attentats du 7 octobre. Des enquêtes internes divulguées en mars 2025 révèlent que les officiers avaient écarté la possibilité d’une attaque palestinienne, estimant que leur régime de dissuasion était infaillible. Lorsque le Hamas a brisé cette illusion, le gouvernement d’extrême droite israélien est revenu à ce qui semblait jusqu’alors être une forme de guerre dépassée : des armes lourdes fournies par les États-Unis (artillerie, chars, drones armés, bombardements navals et avions de combat) pour assiéger de manière prolongée toute une population.
Le génocide perpétré par Israël à Gaza, ainsi que l’invasion du Liban et les frappes aériennes en Syrie, au Yémen et en Iran, ont un point commun important : ils sont menés principalement avec des armes importées. La majorité d’entre elles sont subventionnées par les contribuables américains, bien qu’Israël paie un prix plus élevé pour les armes provenant d’Allemagne, de Serbie et, de plus en plus, « de pays avec lesquels nous n’avons pas de relations diplomatiques, y compris des États musulmans sur tous les continents », a déclaré un responsable de la Défense israélienne à Yediot Aharonot en novembre 2024. Alors que l’armée israélienne a épuisé ses munitions et son armement lors de sa campagne postérieure au 7 octobre, les marchands d’armes israéliens se sont transformés en charognards dans un commerce mondial des armes dont les prix sont gonflés par la demande en Ukraine, échangeant des systèmes d’armes de haute technologie tels que des drones et des équipements informatiques contre du matériel de base comme des obus, de la poudre à canon et d’autres explosifs [15]. Selon le Wall Street Journal, en décembre 2023, les États-Unis avaient livré à Israël plus de 5000 bombes non guidées Mk82, 5400 bombes non guidées Mk84 de 907 kg, 1000 bombes GBU-39 de 110 kg et environ 3000 kits JDAM (Joint Direct Attack Munition). Depuis le 7 octobre, les États-Unis ont fourni à Israël pour environ 17,9 milliards de dollars d’armes et de munitions, en plus du financement militaire extérieur annuel de 3,8 milliards de dollars et des importations payées de 8,2 milliards de dollars provenant des entreprises d’armement des Etats-Unis [16].
Le passage à une stratégie visant à maximiser la destruction a également entraîné un regain d’intérêt pour la fabrication d’armes au niveau national. Lors de la conférence des actionnaires d’Elbit Systems en 2025, la tendance était claire : Israël reste dépendant des importations d’armes, mais tente de s’approvisionner autant que possible auprès d’entreprises nationales afin d’échapper à l’impact de l’embargo militaire croissant dont il fait l’objet. La part des exportations d’Elbit Systems est passée de 79% au premier trimestre 2023 à 58% au quatrième trimestre 2024. Mais cette recomposition de la demande axée sur le client national fondateur de l’entreprise n’a pas réduit les ventes. Les derniers rapports financiers d’Elbit Systems révèlent que le chiffre d’affaires et le bénéfice d’exploitation de l’entreprise ont augmenté non pas grâce aux exportations, mais grâce à « une augmentation significative de la demande pour ses produits et solutions de la part du ministère israélien de la Défense (IMOD) par rapport aux niveaux de demande avant la guerre ». Pour l’année se terminant en décembre 2024, la société a réalisé 1,6 milliard de dollars de bénéfices sur 6,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires, contre 1,5 milliard de dollars de bénéfices sur 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023. Son carnet de commandes est passé de 17,8 à 23,8 milliards de dollars. Dans l’ensemble, les entreprises d’armement israéliennes ont vu affluer les commandes de l’armée nationale [17]. En mai 2025, Elbit a émis pour 588 millions de dollars de nouvelles actions, souscrites par Bank of America Securities, J.P. Morgan, Jefferies Group LLC et Morgan Stanley.
Comme lors des périodes précédentes, ce tournant économique s’est accompagné de changements dans la stratégie militaire. Le nouveau canon Sigma (Ro’em) de 155 mm d’Elbit Systems en est un exemple révélateur. À première vue, son développement semble paradoxal : Israël est confronté à une pénurie critique d’obus de 155 mm, alors pourquoi investir dans un canon qui double la cadence de tir ? Les innovations du Sigma révèlent les priorités profondes de l’armée israélienne : son chargeur automatique robotisé réduit les besoins en personnel de sept soldats à seulement deux, ce qui permet à des unités plus petites d’opérer avec un minimum de coordination ou de discipline. Avec l’afflux continu de bombes américaines et l’aide financière des États-Unis pour l’achat de munitions par Israël dans le monde entier, ce nouvel équipement peut faciliter une réorganisation de la stratégie de l’armée israélienne.
Le Sigma est une arme destinée à des bombardements de type milicien, qui maximise la destruction par soldat tout en institutionnalisant le manque de discipline qui a caractérisé la campagne israélienne à Gaza. Il incarne la transformation de l’armée israélienne : une armée technologiquement avancée qui revient à l’artillerie, où la puissance de feu remplace la stratégie et où l’anéantissement remplace l’occupation.
Ces outils sont utilisés avec la mentalité des milices de colons. « L’artillerie et les tirs directs de chars sont plus efficaces que les armes de précision coûteuses », a déclaré un officier de l’armée israélienne en novembre. « Tuer un terroriste à l’aide d’un obus de char ou d’un tireur d’élite, plutôt qu’avec un missile tiré depuis un drone, est considéré comme plus « professionnel » [18]. Les chars bombardent les camps de réfugiés à bout portant ; les frappes aériennes rasent des quartiers entiers pour tuer un seul militant. La doctrine américaine des armes combinées et des frappes de précision est ignorée, remplacée par une destruction aveugle. L’industrie de l’armement créée pour contrôler les zones d’occupation dans les pays du Sud à la fin de la guerre froide s’est recentrée sur l’intérieur, afin de compléter une gamme moderne d’équipements états-unies à capacité de destruction maximale. (Article publié par Phenomenal World le 29 août 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre)
*Shir Hever, économiste. Il est directeur de Alliance for Justice between Israelis and Palestinians. Ses recherches portent entre autres sur les dimensions économiques de la politique d’occupation, de colonisation des territoires palestiniens. Il a publié The political economy of Israel’s occupation. Repression beyond exploitation, Pluto Press 2010, et The privatisation of Israeli security, Pluto Press 2017.
1. Ya’akov Lifshitz, Security Economy, the General Theory and the Case of Israel, Jerusalem : Ministry of Defense Publishing and the Jerusalem Center for Israel Studies (2000).
2. Sharon Sadeh, “Israel’s Beleaguered Defense Industry,” Middle East Review of International Affairs Journal, Vol. 5, No. 1, March 2001, pp. 64–77.
3. Jeremy Sharp, “US Foreign Aid to Israel : Overview and Developments since October 7, 2023,” https://www.congress.gov/crs-product/RL33222, accessed August 2025.
4. Nadir Tzur, “The Third Lebanon War,” Reshet Bet, July 17th, 2011 http://www.iba.org.il/bet/?entity=748995&type=297, accessed December 2013.
5. Yael Hason, Three Decades of Privatization [Shlosha Asorim Shel Hafrata], Tel-Aviv : Adva Center (November 2006).
6. Sadeh, 2001.
7. Jonathan Cook, “Israel Maintains Robust Arms Trade with Rogue Regimes,” Al-Jazeera, October, 2017 https://www.aljazeera.com/news/2017/10/23/israel-maintains-robust-arms-trade-with-rogue-regimes, accessed December 2024.
8. United Nations, “5. Estimates of Mid-Year Population : 2002–2011,” Demographic Yearbook, 2013 http://unstats.un.org/unsd/demographic/products/dyb/dyb2011.htm, accessed December 2024 ; Richard F. Grimmett and Paul K. Kerr, “Conventional Arms Transfers to Developing Nations, 2004–2011, “Congressional Research Service, 7–5700, August 24, 2012 ; Amnesty International, “Israel/Gaza : Operation ‘Cast Lead’ – 22 Days of Death and Destruction, Facts and Figures,” July, 2009 https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/07/mde150212009eng.pdf, accessed December 2024.
9. Jonathan Cook, “Israel’s Booming Secretive Arms Trade,” Al-Jazeera, August, 2013 https://www.aljazeera.com/features/2013/8/16/israels-booming-secretive-arms-trade, accessed December 2024. Neve Gordon, “The Political Economy of Israel’s Homeland Security/Surveillance Industry,” The New Transparency, Working Paper (April 28, 2009).
10. Sophia Goodfriend, “Gaza War Offers the Ultimate Marketing Tool for Israeli Arms Companies,” +972 Magazine,January, 2024 https://www.972mag.com/gaza-war-arms-companies/, accessed December 2024.
11. Maya Wind, Towers of Ivory and Steel : how Israeli Universities Deny Palestinian Freedom, Verso (2023).
12. Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) “The SIPRI top 100 Arms-Producing and Military Service Companies, 2020,” SIPRI, December, 2020 https://www.sipri.org/sites/default/files/2021-12/fs_2112_top_100_2020.pdf, accessed December 2024.
13. Yagil Levy, Israel’s Death Hierarchy : Casualty Aversion in a Militarized Democracy, New York : NYU Press (2012).
14. This is widely referred to as the Palestinian “laboratory”—a term used in the critical literature as well as by Israeli arms companies themselves.
15. Hussein, 2024. Yoav Zitun, “From deals in the Third World to dubious brokers : a glimpse into the IDF arms race,” Ynet, November 22nd, 2024, https://www.ynetnews.com/article/h1tefly71g ; Cf. https://www.haaretz.com/israel-news/2024-09-27/ty-article-magazine/.highlight/retired-israeli-general-giora-eiland-called-for-starving-gaza-does-he-regret-it/00000192-33f5-dc91-a1df-bffff4930000, accessed January 2025.
16. Ellen Knickmeyer, “US spends a record $17.9 billion on military aid to Israel since last Oct. 7,” AP, October 9th, 2024, https://www.ap.org/news-highlights/spotlights/2024/us-spends-a-record-17-9-billion-on-military-aid-to-israel-since-last-oct-7/, accessed August 2025 ; Hagai Amit, “89 Billion NIS in two years : the numbers behind the buying binge of the IDF in the war,” The Marker, July 27, 2025. https://www.themarker.com/allnews/2025-07-27/ty-article/.highlight/00000198-4735-deec-ab9e-e73f8bc40000, accessed August 2025.
17. Yuval Azulay, “Israel’s Arms Industry Profits Soar as Wars Fuel Billion-Dollar Contracts,” Calcalist, August, 2024 https://www.calcalistech.com/ctechnews/article/hkuwdfkic, accessed December 2024.
18. Zitun, “From deals in the Third World to dubious brokers : a glimpse into the IDF arms race,” Ynet, November 22nd, 2024, https://www.ynetnews.com/article/h1tefly71g(Back)
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