17 septembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/17/la-guerre-dagression-de-poutine-en-ukraine-les-etats-unis-la-russie-leurope-et-nous/#more-97863
L’un est celui de l’affrontement entre l’armée russe et la résistance ukrainienne. Résistance de ses soldat·es luttant pied à pied sur le front, résistance d’une population qui, bien que soumise à la menace permanente des bombardements, est impliquée de multiples manières dans cette résistance.
L’autre est celui des manœuvres politiques à l’échelle internationale : un spectacle politico-médiatique d’ampleur inégalée, avec ses vedettes, ses retournements et ses suspenses…
L’évolution du premier est fonction de la résistance ukrainienne dans cette guerre d’attrition, donc de la capacité du peuple ukrainien à tenir sans céder à l’épuisement et à la démoralisation. Mais c’est du second que dépend grandement le dénouement de la guerre, c’est-à-dire de ces dirigeants pour lesquels comptent pour peu les souffrances et engagements humains.
Si la solidarité avec le peuple ukrainien oblige à s’intéresser au cirque des rencontres internationales, aux marchandages et négociations entre deux impérialismes, pour en démonter les ressorts et observer les effets, ce doit être en conscience de ce qu’a de scandaleux ce mépris arrogant à l’égard de la réalité que vivent l’Ukraine et le peuple ukrainien.
L’irruption d’un facteur nouveau, l’illusionniste et erratique Trump
Si la présidence de Trump entraîne une rupture majeure dans les rapports de force, c’est que le soutien politique et militaire des États-Unis à l’Ukraine, notoirement insuffisant mais néanmoins décisif, est remis en cause et devenu précaire. Trump peut le neutraliser à tout moment. Pis : il menace d’un renversement d’alliances prenant à revers l’Ukraine et l’Europe. Á l’égard de Poutine il affiche une complaisance et une réelle complicité.
Malgré ses rodomontades, on voit une perméabilité au narratif poutinien. Les responsables de la guerre ? Biden et Zelensky ! Qui doit voir garantie sa sécurité ? La Russie, les territoires qu’elle occupe ou revendique en Ukraine, au motif fallacieux de protéger les « minorités russophones » d’Ukraine ! Qui exerce un pouvoir ? Non pas Poutine, mais Zelensky !
C’est ainsi que, pour Trump, un accord de paix peut apparaître à portée de main ! D’autant qu’il s’appuie sur certains fondamentaux de la politique américaine, qu’il applique avec une brutalité hors normes. D’une part, la primauté des intérêts états-uniens sur ceux des autres pays, y compris alliés, et sur les principes du droit international. D’autre part, le caractère
central de la rivalité avec la Chine dans la course à la puissance mondiale et le pivotement géostratégique vers le Pacifique. Ces deux paramètres le conduisent à mépriser l’importance de l’Ukraine, voire de l’Europe, et donc à rechercher les moyens de se débarrasser de la question ukrainienne, avec peut-être l’espoir, de détacher la Russie de la Chine, voire de l’ériger en un partenaire pour les réorganisations mondiales.
Poutine même affaibli campe sur ses positions bellicistes et annexionnistes
Poutine a su effacer partiellement l’échec patent de la prétendue « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine, qui visait par une offensive éclair à conquérir Kyiv, à faire tomber le gouvernement Zelensky et à rétablir la domination russe sur l’Ukraine. Cette offensive s’est brisée sur la résistance ukrainienne. Mais l’obstination de Poutine conduit à une guerre longue, destructrice, qui dure depuis plus de trois ans.
Le peuple ukrainien en paie un prix terrible. Mais la Russie également, en termes de pertes humaines, de recul économique, de dégradation croissante de la vie démocratique et de discrédit international. Sans que Poutine ne renonce à sa politique belliciste.
Celle-ci répond à un impératif auquel le régime Poutine s’identifie : restaurer la puissance impériale de la Russie sur son ancien espace géopolitique. D’où les interventions sanglantes menées hier en Tchétchénie, celles en Moldavie, en Géorgie, et depuis 2014 l’agression contre l’Ukraine.
Écraser la souveraineté de l’Ukraine, son aspiration à la démocratie et sa volonté de rapprochement avec l’Union européenne représente le test décisif pour la poursuite de cette politique.
Car il joue sur des atouts non négligeables
° Réduire ses objectifs à la recherche de gains territoriaux ? Ce serait une erreur de le croire (erreur aggravée pour certains qui s’autorisent à juger celle-ci « légitime »). Ces territoires représentent autant de points d’appui pour imposer la domination politique du Kremlin sur une Ukraine anéantie comme État et préparer d’autres étapes de son expansionnisme : on voyait déjà ce qu’il en était en Géorgie (occupation de l’Abkhazie, puis de l’Ossétie du Sud), en Moldavie (l’occupation de facto de la Transnistrie), la Crimée et une partie du Donbass occupées en 2014…
Du fait de la réussite de ces coups de force, acceptés au plan international au nom des compromis pour la paix, ces territoires ont été consolidés comme bases pour des offensives ultérieures. Les pays qui ont été naguère intégrés à l’espace de l’ex-URSS ou ont subi sa domination (en premier lieu, les Pays baltes, mais également la Pologne et la Finlande), comprennent parfaitement qu’une victoire russe contre l’Ukraine se traduirait par de nouveaux appétits sans limites.
° L’autre erreur est d’ignorer la temporalité spécifique du Kremlin (en contraste avec la frénésie imposée par Trump à la politique mondiale). Poutine parie sur le temps long, estimant que l’épuisement de la résistance ukrainienne, les divisions et la fatigue des Européens, ne feront que croître, alors qu’à cette heure son régime n’est pas vraiment menacé par les difficultés économiques et la colère populaire. Il peut escompter s’assurer dans la durée un rapport qui lui est favorable, du fait de l’inégalité démographique et des atouts militaires dont il dispose : un arsenal nucléaire qui intimide les Occidentaux, les moyens dans le domaine de la guerre hybride et du cyberespace…
Avec un autre atout, décisif celui-là, Trump.
Le prétendu sommet qui a réuni Trump et Poutine en Alaska a représenté une incroyable victoire symbolique pour celui-ci et un camouflet pour celui-là. La mise en scène a eu valeur de réhabilitation internationale de Poutine, qui, de criminel de guerre (mandat d’arrêt de la CPI du 17 mars 2023) s’est vu transfiguré en codirigeant de l’ordre mondial. Quant à Trump, il a remisé l’exigence d’un cessez-le-feu qu’il se faisait fort d’imposer, pour l’« accord de paix » – proposé par Poutine. Ce dernier sait pertinemment que cela implique un temps long au cours duquel il aura les mains libres pour poursuivre ses attaques dévastatrices en Ukraine. Et imposerait des conditions catastrophiques pour l’Ukraine (et dont on peut soupçonner Trump de les avoir acceptées « en privé ») : l’abandon des territoires occupés par la Russie et au-delà (tout le Donbass, les parties non occupées des oblasts de Kherson et Zaporijjia, et donc la perte des lignes de fortifications protégeant le reste de l’Ukraine), une Ukraine neutralisée renonçant à tout rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN, l’éviction de Zelensky (revendication relayée par d’aucuns en Europe !) qui, quelles que soient les critiques que nous formulons légitimement à l’égard d’un libéralisme dominant, incarne la résistance ukrainienne !
Bref, pour l’Ukraine, la capitulation. Et, pour les « Européens », le renoncement à assumer leurs responsabilités internationales. Après l’acceptation de leur impuissance au Moyen-Orient, qui laisse le gouvernement Netanyahou mener son offensive génocidaire à Gaza, et l’accélération de la colonisation de la Cisjordanie, annihilant la perspective de « deux États » et tout espoir de paix, c’est le devenir même de l’Europe qui leur échapperait.
L’alternative est de ne pas céder sur le droit à l’autodétermination du peuple ukrainien et à sa souveraineté nationale. Donc d’assumer l’exigence d’une défense européenne, question redoutable pour la gauche et les écologistes à laquelle il est impossible d’échapper. Une question sur laquelle il faudra entamer, ou poursuivre, une réflexion approfondie.
Les « Européens » face à un « diktat »
Avec retard, réticences et divisions les « Européens » – les membres de l’Union européenne (à l’exception de la Hongrie et de la Slovaquie), et le Royaume-Uni -, avec le soutien d’importants pays non européens (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, voire Japon…) s’accordent sur le caractère vital du soutien à l’Ukraine face à l’agression de la Russie de Poutine… Ce qui implique des engagements d’aide politique, économique et militaire.
Mais le problème auquel ils sont confrontés est que cette aide militaire est étroitement dépendante de la puissance militaire américaine et des armes états-uniennes. D’où l’obligation, excessivement contraignante, de « faire avec Trump » !
Compte tenu des accords de fond entre Poutine et Trump, et de la « personnalité » particulière de ce dernier, les « Européens » se retrouvent à mener avec Trump une diplomatie de pression, qu’il leur faut à la fois ménager et pousser de l’épaule vers le bon côté…
Le « spectacle » se révèle aussi permanent qu’ahurissant.
L’urgence était de corriger « l’effet Anchorage » et de compenser le succès relatif engrangé par Poutine. Le « contre-sommet » de Washington a en partie répondu à cette préoccupation.
Trump a dû accepter de recevoir (courtoisement, cette fois !) Zelensky, accompagné (et de fait protégé) par une brochette de sept responsables de haut rang (représentant cinq États européens, plus l’UE et l’OTAN), pour mener au vu du monde une discussion d’apparence ouverte.
Au prix de flatteries éhontées à l’égard de Trump, ce pack diplomatique a su borner cette « conversation » à hauts risques : discrétion sur la question explosive des territoires susceptibles d’être concédés à la Russie, pour mettre l’accent sur les garanties de sécurité devant être données à l’Ukraine dans la perspective d’un accord de paix (lesquelles supposent une implication des États-Unis), accord appuyé à la perspective d’un sommet tripartite (avec Zelensky), voire quadripartite (aves les Européens)… L’urgente nécessité d’un cessez-le-feu, décisive, a été rappelée sans pouvoir être imposée.
Le seul résultat tangible est que Trump s’est montré fort d’avoir convaincu Poutine de l’intérêt d’une rencontre incluant Zelensky, qui pourrait confirmer la mauvaise volonté de Poutine. Sans compter que tout cela reste soumis aux voltes-faces habituelles de Trump !
Comment ne pas dénoncer cette fantasmagorie diplomatique dont dépend le sort du peuple ukrainien, et au-delà le devenir de ce qui reste de droit international et de démocratie ?
Et aussi ne pas constater que les gouvernements européens déploient des trésors de flagornerie pour dire leur mot sur le devenir du continent ?
Reste qu’on est contraint de s’y intéresser pour s’efforcer de peser sur le réel…
Cela en solidarité, une solidarité internationaliste
toujours aussi indispensable, avec le peuple ukrainien !
Le 28.08.2025
John Barzman, Stefan Bekier, Jean-Paul Bruckert, Armand Creus, Bernard Dreano, Hugues Joscaud, Didier Martin, Roland Mérieux, Henri Mermé, Robi Morder, Vincent Présumey, Mariana Sanchez, Henri Saint-Jean, Francis Sitel
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