Un projet de classe pour le grand capital
Legault a voulu présenter son discours comme un appel à « se retrousser les manches » pour assurer la croissance du Québec. Mais pour qui ? Il ne s’adresse pas à la majorité laborieuse, ni aux femmes travaillant dans les services publics, ni aux jeunes étouffé·es par le coût du logement. Son message est clair : le gouvernement se met au service du capital industriel et financier, et il mobilisera la Caisse, Hydro-Québec et Investissement Québec pour soutenir le développement des grandes entreprises.
Il promet qu’Investissement Québec pourra soutenir les industries de l’armement, au nom de l’indépendance de cette industrie vis-à-vis des États-Unis ! Quand il parle d’une « Baie-James du XXIᵉ siècle », il s’agit d’une plateforme de subventions massives et d’accès à des blocs d’électricité au capital extractif.
Derrière l’efficacité, la déréglementation et la casse sociale
L’État, selon François Legault, sera chargé de garantir la rentabilité du capital sous prétexte de transition énergétique, alors qu’il envisage dans un même temps la déréglementation environnementale, la privatisation partielle d’Hydro et la mise au pas des communautés locales. La transition énergétique et l’électrification de l’économie ne sont pas envisagées comme un plan de lutte contre les changements climatiques mais comme une stratégie pour créer des avantages compétitifs pour les entreprises d’ici et d’ailleurs.
Le mot d’ordre de Legault est clair : « simplifier, accélérer, alléger ». La « réduction de la bureaucratie » annoncée n’est rien d’autre qu’un plan de compressions et de centralisation autoritaire. Moins de fonctionnaires, plus de sous-traitance, plus de contrats aux firmes privées. Mais il ne dit rien sur la perte d’expertise de la fonction publique et des organismes gouvernementaux au profit du privé avec les pertes d’argent public qui en découlent, comme l’a illustré le scandale de SAAQclic.
Une attaque frontale contre les syndicats
Dans le même souffle, il s’en prend directement aux syndicats, accusés d’être « favorisés » et responsables du « trop grand nombre de grèves ». En réalité, c’est le pouvoir collectif des travailleurs et des travailleuses qui est visé. « Il est temps, affirme le premier ministre, que les syndicats recentrent leurs actions sur leur mission essentielle. » Il vise essentiellement à réduire les capacités des syndicats à intervenir sur les problèmes de société par une ingérence dans l’utilisation des finances syndicales. Il s’attaque également au droit de grève, dans la perspective de soumettre les syndicats aux volontés patronales. Comble d’insulte, l’ineffable ministre du Travail, Jean Boulet, parle de défendre les syndiqué·es contre les syndicats.
L’austérité sélective et le mirage fiscal
Legault se vante d’avoir « remis de l’argent dans le portefeuille des Québécois ». Mais ces baisses d’impôts et aides ponctuelles ne visent qu’à acheter la paix sociale et à se construire une rente électorale. Elles profitent surtout aux classes moyennes et supérieures, tout en préparant le terrain à une nouvelle phase d’austérité.
Pour le premier ministre Legault, si les finances publiques ont un problème, ce n’est pas que les banques, les grandes entreprises et les plus riches ne paient pas leur juste part, c’est qu’on dépense trop et qu’il faudra donc couper dans les services publics. Pendant ce temps, il se vante de subventionner les grandes entreprises minières à coup de centaines de millions de dollars. Il ne faut d’ailleurs pas oublier Northvolt et l’argent qu’il a tiré par les fenêtres.
Sécurité, ordre et répression
La « sécurité » est un autre volet de son projet. Il vise le renforcement des pouvoirs policiers et pénaux. Il promet plus d’arrestations, plus de prisons, plus de sanctions. Mais il ne dit rien des causes sociales de la violence : pauvreté, crise du logement, mauvaises conditions de travail, problèmes de santé mentale. Son approche est purement répressive, orientée contre les plus pauvres, les sans-abri, les toxicomanes.
Cette politique s’inscrit dans une vision du monde profondément conservatrice : celle où l’État protège l’ordre établi, la propriété privée et les “valeurs traditionnelles”, au lieu de protéger la dignité et les droits des citoyennes et des citoyens.
Identité et laïcité : le masque de la division
La dernière partie du discours, consacrée à la « protection des valeurs québécoises », dévoile le cœur idéologique du projet de ce gouvernement. En invoquant la menace des « islamistes radicaux » tout en affirmant ne pas viser les musulmans, la déclaration semble équilibrée. En réalité, cette nuance est au cœur d’une stratégie de communication bien rodée : dire tout haut ce que plusieurs pensent tout bas, mais sous une forme politiquement correcte. En séparant les « bons musulmans » des « islamistes radicaux », le premier ministre se protège contre l’accusation d’islamophobie, tout en entretenant le soupçon que la menace viendrait de l’intérieur de cette même communauté. C’est ce qu’on appelle une dénégation performative : on nie vouloir stigmatiser un groupe, tout en le présentant comme porteur potentiel du danger.
Ce double langage n’est pas accidentel. Il est central à la rhétorique du populisme identitaire : affirmer la tolérance pour mieux légitimer la peur. En d’autres mots, François Legault souffle le chaud et le froid. Il prétend apaiser, mais il excite les réflexes de méfiance qui traversent déjà une partie de la société québécoise. En ciblant les « islamistes radicaux », Legault construit un ennemi intérieur racialement marqué, légitimant des mesures coercitives et un contrôle accru sur les communautés musulmanes. Cette logique nourrit le nationalisme conservateur bâti sur la peur de disparaître face à l’autre, la peur du métissage culturel et linguistique.
C’est une vieille stratégie : diviser pour régner. En désignant des boucs émissaires – immigrants temporaires, musulmans, demandeurs d’asile, comme responsables de tous les maux qui frappent la société québécoise – François Legault détourne la colère populaire de sa véritable cible : le capitalisme québécois et ses alliés politiques. Il habille ce nationalisme de mots nobles : laïcité, culture, langue. Mais derrière cette rhétorique se cache une offensive idéologique contre la gauche, les mouvements syndicaux, féministes et antiracistes, et contre toute forme de solidarité de classe.
La laïcité est au cœur du discours de Legault. Mais la laïcité qu’il invoque n’a plus grand-chose à voir avec la neutralité de l’État ou la liberté de conscience. Elle est devenue une bannière nationaliste, voire un instrument de contrôle culturel. La laïcité devrait servir à libérer l’espace public des discriminations, pas à les justifier.
Un projet de Constitution du Québec respectant la constitution canadienne et élaboré sans intervention de la majorité du peuple québécois.
Le projet d’une « Constitution du Québec » participe de cette même logique. « Je vous annonce aussi que, pour renforcer notre autonomie juridique, pour défendre nos valeurs communes et notre identité, le gouvernement va bientôt déposer à l’Assemblée nationale un projet de constitution du Québec. Ce qui nous définit, c’est aussi beaucoup notre culture. Notre belle langue française, notre histoire, notre patrimoine, les arts et ce qu’on appelle nos productions culturelles. » La constitution n’est pas vue comme un instrument de souveraineté populaire où le peuple se prononcerait sur les institutions et la mise en place d’une démocratie citoyenne, il s’agit pour ce gouvernement conservateur d’imposer un cadre institutionnel au nationalisme bourgeois, recentré sur l’ordre, l’autorité et la compétition économique.
Reconstruire une contre-hégémonie populaire
Le moment est grave, mais il peut devenir un moment de bascule. Car ce projet de recomposition autoritaire du capitalisme québécois ne triomphera que si le peuple n’approfondit pas sa mobilisation et son unité. À l’inverse, chaque lutte – des syndicats, du mouvement étudiant, des locataires, du mouvement écologiste, des communautés autochtones – peut contribuer à bâtir une contre-hégémonie populaire au discours conservateur et nationaliste.
Conclusion
Le discours de François Legault est un manifeste de classe : celui d’un bloc nationaliste bourgeois qui veut consolider sa domination en conjuguant le néolibéralisme économique, l’autoritarisme politique et le nationalisme identitaire et régressif.
Une résistance victorieuse du camp populaire au bloc nationaliste bourgeois ne peut s’appuyer que sur la convergence des luttes : celles pour le contrôle collectif de l’énergie et des ressources ; celles pour les réinvestissements massifs dans nos services publics ; celles pour le droit à un logement décent ; celles en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ; celles contre le racisme systémique ; celles pour la justice migratoire ; celles pour la redistribution des richesses par une réforme de la fiscalité ; celles pour la défense du syndicalisme comme pouvoir collectif et démocratique des travailleurs et des travailleuses ; et finalement, celles pour la souveraineté populaire dans la définition d’une constitution réellement démocratique et indépendantiste. C’est seulement par une telle convergence des luttes que nous pourrons inverser le rapport de force, briser l’hégémonie conservatrice et rouvrir la voie à un Québec indépendant, égalitaire, féministe, écologiste, antiraciste et véritablement démocratique.
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