Édition du 18 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

La partie n’est pas jouée

À moins d’un an de la prochaine élection générale québécoise, le paysage politique est toujours malléable et le résultat du scrutin demeure pour le moins imprévisible. Chaque parti fait face à des défis, des contradictions et des possibilités. Le fait que cinq partis aspirent à obtenir des appuis significatifs complique grandement les calculs de chacun. Voici comment je vois la situation et comment je crois que Québec solidaire pourrait éventuellement occuper un espace qu’on ne lui accorde pas dans les plus récents sondages.

À moins d’un an de la prochaine élection générale québécoise, le paysage politique est toujours malléable et le résultat du scrutin demeure pour le moins imprévisible. Chaque parti fait face à des défis, des contradictions et des possibilités. Le fait que cinq partis aspirent à obtenir des appuis significatifs complique grandement les calculs de chacun. Voici comment je vois la situation et comment je crois que Québec solidaire pourrait éventuellement occuper un espace qu’on ne lui accorde pas dans les plus récents sondages.

Cinq coalitions

Tous les partis politiques qui obtiennent des résultats appréciables sont des coalitions regroupant des forces sociales et des courants idéologiques divers. Cette diversité de perspectives se retrouve jusqu’à un certain point dans leur base militante, s’accentue quand on examine la masse des membres et atteint un niveau de complexité déconcertant à l’échelle de la base électorale. C’est ce qui fait qu’aucun parti n’est à l’abri d’une baisse importante de ses appuis et que les joutes électorales ne sont jamais prédéterminées. On n’a qu’à observer comment les Libéraux ont remporté les dernières élections fédérales ou comment les Démocrates ont tout raflé lors des scrutins du début novembre, un an seulement après la victoire décisive de Trump à la présidentielle.

La Coalition Avenir Québec a réussi à prendre le pouvoir en coalisant (comme son nom l’annonçait) la droite économique et la droite identitaire. Ce faisant, elle a pu arracher des appuis aux Libéraux d’un côté et au PQ de l’autre. L’usure du pouvoir chez les libéraux et la crise profonde du PQ ont fini par créer une masse critique qui a propulsé la CAQ au pouvoir en 2018, mais avec des appuis de seulement 37,4%. La pandémie à donné un nouvel élan au parti de François Legault avec 41% des votes en 2022.

Le Parti québécois est une coalition hétéroclite allant de l’extrême-droite au centre-gauche, autour du dénominateur commun de la souveraineté. Cet édifice fragile est actuellement maintenu en place par l’engagement ferme de son chef à tenir un référendum advenant une victoire électorale. Le renoncement à tenir un tel scrutin, avant ou après l’élection d’octobre 2026, ou une troisième défaite référendaire, ne manqueront pas de relancer la crise profonde de ce parti. (voir mon texte précédent)

Le Parti libéral dispose d’une base solide dans les communautés anglophones et anglicisées, généralement hostiles à la souveraineté et méfiantes face au nationalisme autonomiste de la CAQ. Ceci lui donne une série de château-forts dans l’Ouest de l’île de Montréal et dans Pontiac (en Outaouais). C’est aussi le parti traditionnel du grand patronat, dont l’influence est indéniable. Mais pour former un gouvernement, le PLQ doit élargir sa coalition en ralliant un électorat francophone de centre-droite, généralement structuré autour des chambres de commerce et des gouvernements municipaux.

Le Parti conservateur du Québec est parti d’un noyau dur regroupant divers éléments de la droite radicale, principalement du côté des libertariens. Ses appuis ont été multipliés en 2022 par son association avec le complotisme et l’hostilité aux mesures sanitaires durant la pandémie. Le maintien de ses appuis à un niveau respectable jusqu’à maintenant indique qu’il ratisse probablement aussi une frange de gens de la droite ordinaire simplement déçus par la CAQ.

Québec solidaire, de son côté, a coalisé différentes tendances de la gauche allant de la social-démocratie raisonnable à des éléments communistes en passant par bien d’autres nuances. Sa base électorale s’est élargie en 2018 - et est restée à environ 16% en 2022 - à la faveur de la crise des partis traditionnels (PQ et PLQ) et d’une nouvelle polarisation en face de la CAQ. Le retour à une polarisation PLQ-PQ constitue un défi de taille pour Québec solidaire. Il doit donc développer une stratégie électorale, une plateforme et des communications qui visent des segments de l’électorat de chacun des deux vieux partis.

Du mouvement possible dans toutes les directions

Jusqu’où la CAQ peut-elle descendre ? Son effondrement après deux mandats et de nombreuses erreurs de parcours a d’abord constitué une opportunité pour le PQ qui trône depuis un an en tête des sondages, après avoir obtenu le pire résultat de son histoire en octobre 2022. Mais depuis le début de 2025, ce sont les Libéraux qui remontent en symétrie avec le déclin continu des appuis pour le parti de François Legault. Les appuis au PLQ sont passés d’environ 15% en janvier à 25% en octobre.

Le fiasco actuel avec les médecins et la Loi 2, en accentuant l’impression que le gouvernement actuel n’est pas même capable d’un minimum de compétence (en plus du scandale SAAQClic), pourrait encourager un segment de l’électorat qui aspire simplement à la tranquillité à se rallier au PLQ. Les appuis pour le Parti conservateur pourraient aussi baisser à la faveur des Libéraux qui se positionnent clairement comme un parti de l’austérité budgétaire.

Le PQ a-t-il atteint son plafond ? Les derniers sondages donnent entre 32% et 38% des intentions de vote au parti de PSPP. Il serait très étonnant qu’il puisse monter plus haut, notamment en raison de la stagnation des appuis pour la souveraineté autour de 35%. Comme une partie de l’électorat souverainiste est installé du côté de Québec solidaire, le niveau actuel d’appui pour le PQ repose en bonne partie sur une frange de l’électorat qui se prépare à voter PQ malgré la promesse d’un troisième référendum et non en raison de cette promesse.

D’ici au jour du vote, on peut compter sur le fait que la CAQ va tout faire pour reprendre une partie de la base péquiste en se présentant comme le parti qui incarne leur peur de l’immigration tout en cautionnant leur peur de la souveraineté. À terme, le PQ va soit perdre l’élection, soit renoncer au référendum, soit perdre le référendum. À moins d’un revirement de situation peu probable, nous ne sommes pas à la veille du Grand Soir. Rappelons que les sondages donnaient entre 40% et 50% de OUI dans les quelques années qui ont précédé le référendum de 1995.

Des raisons d’espérer pour les solidaires

Les gens qui se préparent à voter pour le PQ se divisent en deux blocs. Il y a les personnes qui voteraient pour le PQ parce qu’il met de l’avant des politiques xénophobes et celles qui le feraient malgré ces politiques et uniquement par attachement pour la souveraineté. L’existence même de ce second groupe est une illustration parfaite du privilège blanc, soit la possibilité d’ignorer la question du racisme, ce qui n’est pas une option pour les personnes racisées…

Le message que QS peut lancer au premier groupe se limite à une vision de classe : “Unissons-nous contre les puissants et cessons de stigmatiser les minorités.” C’est un message nécessaire qui pourrait aussi être attirant pour des gens qui se préparent à voter libéral essentiellement par rejet pour les politiques identitaires de la CAQ et du PQ, mais qui ne partagent pas leur programme économique de droite. C’est à partir d’un tel message que Zohran Mamdani a remporté la mairie de New York en coalisant un vote de classe d’une hétérogénéité ethnoculturelle sans précédent.

Pour rejoindre le second groupe, le message mis de l’avant par Ruba Ghazal et par Sol Zanetti est le bon. Il faut affirmer de diverses manières que voter pour le PQ nuit à la cause de l’indépendance. En divisant la population sur des bases éthnique, culturelle et religieuse, le PQ rétrécit la base potentielle des appuis pour le OUI lors d’un hypothétique référendum. Comme le disait Ruba durant le récent congrès du parti, cette politique de la division peut permettre au PQ de gagner une élection (en grugeant la base de la CAQ) mais est désastreuse si on veut gagner un référendum. Rappelons qu’il faut deux fois plus de votes pour gagner un référendum que pour gagner une élection, en raison du taux de participation très élevé dans un référendum et des distorsions du mode de scrutin actuel.

L’élargissement potentiel des appuis pour QS se trouvent donc dans deux grandes directions : un vote de classe contre les politiques économiques de la CAQ et des Libéraux et un vote indépendantiste inclusif critique du virage identitaire du PQ. La prochaine plateforme électorale devra probablement mettre l’accent sur le premier volet, sans écarter le second. En effet, on peut et on doit inclure un projet indépendantiste inclusif dans la plateforme, mais la majorité des propositions devront porter sur des enjeux plus immédiats comme les salaires, le transport, le logement, la santé, l’éducation, etc.

Une difficulté pour QS présentement est qu’il est difficile de s’adresser à ces deux groupes en même temps. Si on met trop l’accent sur l’indépendance, on risque de perdre des appuis en raison de l’association de ce projet avec le PQ. Tandis que si on néglige l’indépendance, par exemple en laissant planer un doute sur le positionnement de QS lors d’un hypothétique référendum, on contribue à consolider la base du PQ autour du projet national.

La prochaine campagne électorale de Québec solidaire devra aussi mettre de l’avant la transition socioécologique. C’est notre réponse au chaos économique causé par la Maison blanche. Tant lors des élections fédérales en avril que pour celles de novembre aux États-Unis, la question de l’urne pour bien des gens était de savoir qui était le mieux placé pour s’opposer aux actions de l’administration Trump. Ce facteur conjoncturel aura aussi un rôle à jouer en 2026 chez nous.

Comme l’a réitéré le dernier congrès, nous rejetons le militarisme qui caractérise le gouvernement canadien actuel, autant que nous rejetons son appui indéfectible pour les industries fossiles. Cette transition, dont une des raisons d’être est de rendre notre économie plus résiliente face aux aléas de la conjoncture internationale, constitue aussi une des principales raisons de réaliser l’indépendance, afin que l’État québécois dispose des pouvoirs et des moyens de la réaliser.

Une plateforme qui met de l’avant les intérêts de classe bien concrets de la majorité est une base essentielle pour tout parti de gauche. Mais nous devons aussi positionner le parti clairement sur la question nationale en affirmant que nous voulons faire l’indépendance pour surmonter les divisions, par le processus de l’assemblée constituante, en même temps que nous voulons surmonter ces divisions dans le but de réaliser l’indépendance. Nous refusons de choisir entre une droite économique (le PLQ) et une droite identitaire (le PQ). En 2026, on peut s’attendre à ce que le patronat mise à nouveau sur les Libéraux, après avoir usé son pneu de rechange : la CAQ. Du côté de QS, on doit démontrer que la lutte pour l’indépendance est une lutte de classe et que la lutte pour la justice sociale et climatique passe par la libération nationale.

Benoit Renaud
17 novembre 2025

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