15 septembre 2025
D’abord, examinons de plus près ces sondages. Le site QC125 de projection électorale prévoit un gouvernement péquiste majoritaire mais avec seulement 30% des voix. C’est la division du paysage politique en cinq blocs, combinée avec le mode de scrutin, qui font en sorte qu’un parti peut former un gouvernement majoritaire avec trois votes sur 10. Ce résultat est symétrique à celui de la CAQ qui pourrait se retrouver avec aucun député malgré des appuis à 17%.
En fait, le revirement de situation, depuis l’automne 2023 marqué par les grèves dans le secteur public, est un déclin de la CAQ allant de pair avec la montée du PQ. On ne devrait pas sous-estimer cette mobilisation dans notre évaluation de la présente période. C’était la plus grande mobilisation syndicale au Québec depuis les années 1970 et le gouvernement Legault a tout fait pour miner sa propre crédibilité en présentant des offres ridicules au début, puis en cédant progressivement face à la mobilisation. Ce faisant, il s’est aliéné tant les travailleuses et les travailleurs du secteur public (avec leurs familles et leurs ami.e.s) que la classe patronale. L’augmentation de salaires de 30% pour les député.e.s est venue juste au bon moment pour achever le processus.
Plus récemment, la baisse des appuis pour la CAQ semble profiter aussi aux libéraux. Bref, la coalition hétéroclite qui avait mené la CAQ au pouvoir il y a sept ans semble se désagréger, ramenant la CAQ dans une zone d’appuis semblable à ceux de l’Action démocratique du Québec (ADQ), tandis que la polarisation PQ-PLQ semble revenir au premier plan.
Pendant ce temps, à Québec solidaire, après les succès relatifs de 2018 et 2022, on se présentait comme l’opposition de fait face au gouvernement de la CAQ. Une polarisation CAQ/QS pouvait être envisagée comme la voie de l’avenir. Certains pouvaient même espérer présenter le parti comme une alternative gouvernementale plausible. Mais les récents sondages placent QS en 4e ou 5e position, disputant l’avant-dernière place au Parti conservateur. Que s’est-il produit ?
Comme c’est souvent le cas en politique québécoise, c’est la dynamique combinant les questions nationale et sociale qui conditionne le système des partis et leur évolution. Autrement dit, l’enjeu de la place du Québec dans l’État canadien est toujours présent, de même que les mobilisations sociales et le rapport de force entre les classes.
Les contradictions profondes du péquisme
Le PQ a toujours été aux prises avec une contradiction impossible à résoudre. Il affirme être le véhicule de la lutte pour l’indépendance du Québec, un changement majeur qu’on pourrait qualifier de révolution politique. Mais il hésite profondément à remettre en cause les institutions ou à se confronter à la résistance acharnée de l’État canadien et des forces sociales qui voient leur intérêt dans le maintien de son unité. Les leaders péquistes, au-delà de leurs différences de tactique ou de style, ont en commun un rejet d’une stratégie consistant à mobiliser la majorité de la population en défense de ses intérêts bien compris. Il n’est pas question de faire de la lutte pour l’indépendance une lutte de classe. Bref, le PQ prétend apporter un grand changement, mais sans que rien ne change ; il se veut toujours rassurant. La campagne référendaire de 1995 était emblématique à cet égard, en mettant l’accent sur la continuité entre la situation actuelle et celle résultant d’une éventuelle victoire du OUI.
C’est cette contradiction qui est à la source des fluctuations constantes dans la posture du PQ sur la question du référendum. Parfois, on reporte l’échéance aux calendes grecques. Parfois, on promet de tenir un référendum dès que possible. Parfois on dit qu’on en tiendra un si on pense pouvoir gagner. Présentement, c’est l’engagement à un référendum durant un premier mandat qui est au programme, comme en 1976 et en 1994. Mais ce positionnement a été plus l’exception que la règle dans l’ensemble de la vie du parti.
Un paysage politique dense et mouvant
On peut s’attendre à ce que la CAQ et le PLQ fassent du rejet du référendum un message central de leur campagne en 2026. La CAQ se présentera comme l’option nationaliste raisonnable et le PLQ comme les fédéralistes authentiques. Pour QS, une vision différente de l’indépendance, tant sur le plan du pourquoi que du comment, sera essentielle. Nous y reviendrons. Le Parti conservateur ne semble pas avoir grand chose à dire sur le sujet, ce qui explique en bonne partie sa difficulté à dépasser le vote de protestation marginal et à faire élire des député.e.s
D’un point de vue social, le PQ se présente comme un peu plus progressiste que la CAQ et le PLQ, mais avec peu d’engagements significatifs. On comptera sur le rejet des politiques d’austérité de la CAQ et des Libéraux par la majorité de la population et sur l’histoire des politiques progressistes mises en place (au siècle précédent…) par des gouvernements péquistes pour protéger son flanc gauche. Québec solidaire, qui vient d’adopter un plan de mobilisation sur le thème “un Québec solidaire de ses travailleuses et ses travailleurs”, va devoir travailler fort pour se distinguer en occupant le plus possible d’espace à gauche. Les Libéraux sont déjà bien identifiés comme le parti du monde des affaires. La CAQ, dont la députation est composée pour l’essentiel de patrons, après avoir gouverné comme des Libéraux pendant deux mandats, n’arrivera pas à se distinguer sur ce plan, ce qui laisse de la place sur sa droite pour la montée des conservateurs.
Le piège du pouvoir
Alors que la division du paysage politique et le mode de scrutin permettent d’envisager une victoire électorale du PQ avec 30% des votes, tandis que les appuis à la souveraineté restent stables autour de 35% depuis des années, on peut parier sur le fait que le futur probable premier ministre va devoir se rendre à l’évidence qu’il n’est pas sur le point de réussir là où René Lévesque et Jacques Parizeau ont échoué. L’échéance référendaire sera repoussée et la base péquiste sera accablée par un mélange de résignation et de démoralisation.
En fait, il faut obtenir deux fois plus de votes pour gagner un référendum que pour gagner une élection, étant donné l’augmentation marquée du taux de participation lors des référendums. Même si on ajoutait les 10% présentement annoncés pour Québec solidaire aux 30% du PQ, on est loin du compte. On doit ajouter à cela qu’environ la moitié des intentions de vote pour QS et le tiers des votes pour le PQ viennent de personnes qui ont l’intention de voter Non à la souveraineté.
Deux scénarios nous semblent improbables dans ce contexte. Le leader péquiste pourrait difficilement mettre de côté sa promesse de référendum avant ou pendant la campagne électorale. C’est cette promesse qui tient ensemble l’édifice fragile de son parti. Aller de l’avant avec un référendum quand tout indique qu’il serait perdant est aussi improbable. Personne ne veut assumer la responsabilité pour une troisième défaite, qui serait encore plus démoralisante que la décision de reporter l’échéance à un avenir indéfini.
L’élection d’un gouvernement péquiste sera donc le point culminant d’une parenthèse dans le développement de la crise profonde de ce vieux parti. Tôt ou tard, la réalité finira par le rattraper.
Pour la gauche : patience et honnêteté
Comment Québec solidaire devrait-il se positionner dans ce contexte ? D’abord, la complaisance avec le leadership du PQ et les illusions que celui-ci entretient par intérêt partisan est à écarter. On peut bien dire, hypothétiquement, que s’il y a un référendum, nous serons dans le camp du OUI. Mais en mettant l’accent sur le fait qu’il n’y en aura pas ! Il faut être brutalement honnête et affirmer clairement que le PQ s’apprête, au mieux, à trahir sa promesse, et au pire, à nous entraîner dans une défaite encore pire que celles de 1980 et 1995.
Il faut rappeler que c’est le PQ lui-même qui est responsable de cette situation, étant donné qu’il incarne toujours, pour la majorité de la population, le projet d’indépendance. C’est lui qui a échoué à renouveler la stratégie et les arguments souverainistes depuis 30 ans. C’est lui qui a convaincu bien des gens de tourner le dos au projet national, d’abord avec ses politiques de droite sur les questions sociales et économiques (le libre-échange, le déficit zéro, le virage ambulatoire…). Ensuite, et surtout, à cause de ses politiques discriminatoires (la Charte des valeurs) et xénophobes (blâmer l’immigration) depuis 2007.
Tous ces messages seront difficiles à entendre pour une base péquiste qui tente présentement de se convaincre elle-même que nous sommes à la veille du grand soir. Mais on se souviendra de la franchise des solidaires, seule base possible pour une éventuelle relation de confiance.
Ensuite, on doit mettre de l’avant, fièrement et avec conviction, notre vision stratégique. Pour que l’indépendance se réalise, il faut d’abord rallier la majorité de la population autour d’un projet de transformation politique, économique et sociale enthousiasmant. On veut mettre un pays au monde pour changer le monde. Ce projet, il appartiendra également à toutes les personnes qui vivent au Québec, peu importe leurs origines, leurs croyances et leurs habitudes vestimentaires. Il ira de pair avec l’autodétermination des 11 nations avec lesquelles nous partageons le territoire de la province de Québec.
Ce projet s’incarnera dans une constitution rédigé par une assemblée élue pour cette tâche, suite à une vaste consultation populaire. Le référendum viendra conclure cette démarche démocratique. pas donner un chèque en blanc au gouvernement pour négocier une nouvelle entente au sommet.
Pour que ce projet se réalise, il faut que Québec solidaire devienne le principal parti indépendantiste et reprenne le flambeau que le PQ va laisser tomber prochainement. Malheureusement, Québec solidaire aussi va devoir passer par une période difficile, suite aux prochaines élections, avant de jouer ce nouveau rôle historique. Avec une baisse probable de son vote populaire en 2026, toute la période allant de la prochaine élection générale à celle de 2030 sera ardue. On doit s’y préparer en gardant en tête notre vision à long terme, nos valeurs et notre engagement collectif.
Benoit Renaud
15 septembre 2025

 
                             
                             


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