Édition du 30 septembre 2025

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Canada

Les femmes se rebiffent

Les travailleuses du secteur des soins sont en première ligne. Elles vont au front pour faire valoir leurs droits. Le 16 août, les agents de bord d’Air Canada ont défié un employeur qui s’ingénie à ne pas vouloir laisser tomber le travail non rémunéré. Le 17 août, ces travailleuses et travailleurs ont défié la loi de retour au travail d’un gouvernement qui ne leur a même pas accordé un jour pour défendre leurs droits. Et le 6 septembre, ces membres du personnel navigant ont créé un précédent en rejetant les compromis proposés par les dirigeantes et dirigeants de leur syndicat.

Tiré de Rabble

Le 12 septembre 2025 / DE : Judy Rebick
Traduction Johan Wallengren

Toutes ces initiatives ont été décidées à la quasi-unanimité par les travailleuses et travailleurs. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu une telle combativité syndicale, avec une opinion publique qui bascule du côté des mécontents. Mais que se passe-t-il ?

Ces événements m’ont personnellement rappelé une autre expérience que j’ai vécue cet été, lors d’une conférence de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (ONA) : cela fait des décennies que je me démène au sein du mouvement syndical tout en ne voyant guère les infirmières se manifester ; et puis j’ai entendu le discours d’ouverture de la conférence de la présidente Erin Ariss dans lequel elle promettait une grande campagne à l’automne pour défendre les droits des infirmières à domicile qui, comme les hôtesses de l’air, ne sont pas rémunérées pour une partie de leur travail, et très peu pour le reste.

Cette semaine, elle a lancé la campagne en ces termes :

« Les infirmières auxiliaires en soins à domicile sont les infirmières les moins bien payées de la province, alors qu’elles sont confrontées à certaines des pires conditions de travail. Le système ne tient désormais plus qu’à un fil. En sous-effectif, soumises à de l’insécurité et sous-payées, les infirmières auxiliaires quittent le secteur, car, en évoluant dans un milieu largement féminin, elles sont confrontées à un niveau de violence stupéfiant, cinq fois supérieur à celui des infirmières dans d’autres secteurs de la santé. »

Et n’oublions pas les travailleuses et travailleurs de soutien à l’éducation de l’Ontario qui, en 2022, ont défié l’ordre de retour au travail du gouvernement de Doug Ford avec le soutien de l’ensemble du mouvement syndical, menaçant de déclencher une grève générale.

Tous ces syndicats regroupent du personnel concentré dans le secteur des soins et sont majoritairement composés de femmes et dirigés par des femmes. À l’heure où notre Premier ministre tente de nous vendre une économie basée sur l’extraction, la construction et les transports, une économie axée sur le fait pour de grandes sociétés d’engranger des bénéfices colossaux grâce à une main-d’œuvre majoritairement masculine, ces travailleuses nous rappellent ce à quoi il faut attacher la plus grande importance. Il est extraordinaire que les agents de bord aient bénéficié d’un soutien public de 66 % et que 88 % des personnes interrogées aient estimé que celles et ceux faisant ce travail devaient être rémunérés pour l’ensemble de celui-ci. Demandez à n’importe quelle personne qui a été hospitalisée ce qu’elle a le plus apprécié, et elle vous répondra que ce sont les infirmières. Dans les écoles, le personnel de soutien aide ceux qui ont le plus besoin d’assistance.

En 2025, nous sous-estimons encore massivement le travail des femmes et les soins que celles-ci prodiguent. Pourquoi les infirmières et les hôtesses de l’air sont-elles si mal payées ? Parce qu’elles font le travail que les femmes ont toujours fait, généralement sans rémunération. Sans le travail non rémunéré des femmes à la maison et leur travail sous-payé dans le monde du travail, notre économie s’effondrerait. Pourtant, lorsque notre Premier ministre ou Premier ministre provincial parle d’économie, il parle de l’ancienne économie, l’économie industrielle, sans presque jamais mentionner les gens qui prennent soin de nous et de nos enfants.

Le fait d’avoir des femmes comme porte-parole de l’industrie de l’armement et du pétrole ne constitue pas un pas vers l’égalité. Le fait que des femmes agissent pour soutenir les structures patriarcales n’est pas une victoire pour le féminisme. Mais le fait que des femmes dirigeantes syndicales soient capables de représenter une main-d’œuvre de plus en plus militante est une contribution importante de ma génération de féministes.

Dans ce que j’ai écrit, j’ai déjà souligné à quel point le Canada est unique de par le lien qui existe entre le mouvement féministe et le mouvement syndical. Lors de la lutte pour la légalisation de l’avortement, nous avons pu compter sur le soutien du mouvement syndical pour défendre la clinique Morgentaler. Grace Hartman – première femme à diriger un syndicat canadien – a été propulsée présidente du Syndicat canadien de la fonction publique en 1975. Mais ce n’est pas tout. Au milieu des années 1970, des féministes de l’Ontario et de la Saskatchewan ont créé un groupe appelé Organized Working Women (Femmes travailleuses organisées), groupe qui formait les femmes du mouvement syndical de façon à leur apprendre à participer aux congrès et qui a organisé des mouvements de solidarité féministes lorsque les femmes de l’industrie textile se sont mises en grève.

En cette période de troubles terribles où tout ce pour quoi ma génération s’est battue semble être remis en question, il me paraît logique que les travailleuses mènent la lutte et se battent pour que le travail des femmes soit valorisé et apprécié à sa juste valeur dans notre économie.

Et ce n’est pas seulement l’échelle salariale qui compte. Au terme de mon discours à l’ONA, j’ai encouragé les gens du public à venir raconter leur histoire, et les femmes qui se sont présentées ont l’une après l’autre parlé de violence sur leur lieu de travail, de coups violents infligés par un patient perturbé et du racisme et du sexisme terribles auxquels elles ont été exposées sans bénéficier d’aucun soutien ou presque. Les hôtesses de l’air parlent elles aussi de la violence à laquelle elles sont parfois confrontées. Mais malgré cela, elles continuent à servir, aider, soutenir. Elles ne devraient pas avoir à subir pareille violence et la lutte pour mettre fin au patriarcat est l’un des moyens pour y remédier. Mais leur courage, leur persévérance, leur capacité à travailler avec des personnes qu’elles n’aiment pas, voire qui leur ont fait du mal, sont une source d’inspiration et offrent des éléments de compréhension de ce dont nous avons besoin pour transformer notre société.

Dans les débuts de ma génération de féministes – que les universitaires appellent la deuxième vague –, l’un des principaux slogans était « plus de patriarcat, plus de merde ». Mais nous n’avons pas réussi à éradiquer le patriarcat. Nous avons considérablement amélioré la vie de nombreuses femmes, mais le patriarcat persiste à tous les niveaux de notre société. Les luttes des hôtesses de l’air, des infirmières et des aides-enseignantes nous montrent ce qui est vraiment important dans nos vies.

Aujourd’hui, en réclamant que le travail des femmes soit valorisé, nous exigeons que l’on cesse de considérer la recherche de profits toujours plus énormes pour les riches comme un fondement de l’économie. N’est-ce pas là ce que mesure le PIB ? Et que l’on commence à valoriser le travail des femmes, des immigrés et de tous ceux dont le travail facilite nos vies et soutient nos communautés.

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