Édition du 29 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Sommet de la santé et de la sécurité du travail des 15 et 16 avril 2025 : un moment clé dans une mobilisation unitaire et élargie !

Le Sommet sur la santé et la sécurité du travail 2025 s’est tenu les 15 et 16 avril au Centre des congrès de Québec, rassemblant plus de 1 500 participant.e.s issus des milieux syndicaux et communautaires, en particulier des organisations de défense de non-syndiqués. Cet événement d’envergure a été organisé conjointement par les quatre grandes centrales syndicales du Québec — la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) — en collaboration avec l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).

L’objectif principal du sommet était de dresser un bilan critique des récentes réformes législatives, notamment la Loi « modernisant » le régime de santé et de sécurité du travail (le Projet de loi 59, devenu la Loi 27), qui a profondément modifié la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Au-delà du bilan, il s’agissait de renforcer et élargir la mobilisation commune aux groupes de femmes, de travailleurs accidentés, de non- syndiqués et de tous les syndicats, laquelle avait permis de limiter les reculs en indemnisation et augmenter les gains en prévention, tout au long des débats sur le PL59, de sa publication à l’automne 2020 à son adoption à l’automne 2021. On se rappellera que tous les partis d’opposition ont voté contre, et que toutes les organisations syndicales et populaires s’y sont opposées.

On le sait, la supposée « modernisation » a en fait consisté à échanger des reculs pour les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades du travail et une réduction des coûts pour les employeurs, contre certaines avancées quant aux obligations de ces derniers en matière de prévention, et des outils pour la représentation des travailleur.euse.s, en particulier les « représentant.e.s en santé et en sécurité », disposant d’heures de libération pour agir auprès et pour leurs collègues, aussi en prévention. C’est cette dernière mesure qui constitue le principal gain des travailleur.euse.s, et en particulier des femmes, largement exclues jusque là de son application comme de celle du « programme de prévention », du « programme de santé » (des obligations de l’employeur d’identifier et d’éliminer sinon de contrôler les risques de manière systématique) et du « comité de santé et de sécurité du travail ». Cet événement est unique à plusieurs égards, et certainement important pour l’ensemble des travailleur.euse.s, alors que les risques ne font que s’accentuer avec l’intensification du travail et la précarisation de l’emploi.

Unique et important d’abord parce qu’il s’agit d’un événement intersyndical et communautaire, au-delà d’une simple manifestation où chacun reste dans son contingent, et parce que les difficultés des non-syndiqués à faire usage de leurs droits y ont été discutées tant en plénière que dans des ateliers : y étaient entre autres présents des militant.e.s de l’Union des travailleurs et travailleuses accidentés ou malades (parmi les organisateurs), d’autres organismes ou associations de défense des accidentés, du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles (RATTMAQ) et du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI). Les enjeux pour les travailleurs précaires et vulnérabilisés par leur statut d’emploi (travailleur.euse.s étrangers temporaires, travailleur.euse.s d’agence, etc.) ont été examinés. Ce fut l’occasion de réaffirmer la nécessité d’un soutien pour les non-syndiqués, autant pour l’exercice de leurs droits en matière d’indemnisation que de représentation en prévention.

Important aussi parce que les enjeux touchant particulièrement les femmes au travail, du fait de la nature des emplois qu’elles occupent, étaient bien visibles et largement reconnus par les participant.e.s., alors qu’ils sont en grande partie invisibilisés dans les statistiques de lésions indemnisées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les troubles musculosquelettiques et les lésions psychologiques sont en effet difficiles à faire reconnaître, et les accidents du travail et maladies professionnelles indemnisés par la CNESST ne représentent ainsi que la pointe de l’iceberg. La mobilisation autour du PL59 initial avait mis en évidence cette sous-estimation et mené au retrait de la répartition initiale des secteurs d’activité économique par niveaux de risque, qui reproduisait cette invisibilisation. En effet, le « niveau de risque » est le mécanisme introduit pour déterminer le nombre d’heures de libération pour les représentant.e.s des travailleur.euse.s en SST. Le gouvernement n’ayant pas voulu trancher au moment de l’adoption de la LMRSST, on s’est donc retrouvé avec un « régime intérimaire » laissant les comités réglementaires paritaires de la CNESST trancher, ce qui devait être fait avant l’automne 2024, sinon le gouvernement trancherait. On verra la suite plus bas.

Événement important également parce qu’il a été l’occasion de discuter de stratégies communes et de mobilisation. On a constaté que les quelques gains obtenus par la mobilisation unitaire et élargie, autour du PL59, dépassaient largement ce que les syndicats représentés au Conseil d’administration de la CNESST avaient pu gagner dans les débats à huis clos des comités réglementaires, ou encore au Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre. Le rôle joué par le gouvernement, comme employeur dans les secteurs de l’administration publique, de la santé et de l’éducation, a été identifié : c’est bien ce qui avait freiné, en 1985, l’application à tous les secteurs des dispositions de la LSST, dont celles qui fournissaient des outils aux travailleur.euse.s pour faire entendre leur voix. Or, c’est encore ce qui se produit aujourd’hui en 2025 : quelques jours après le Sommet, le gouvernement de la CAQ a publié le Projet de loi 101 qui, s’il est adopté tel quel, exclura de grands pans des secteurs de la santé et de l’éducation de l’application du régime permanent, les conservant à un niveau de risque faible. Or, cela ne correspond pas à l’évaluation combinant des données lésionnelles et d’enquêtes populationnelles sur l’exposition aux risques. Les sous-secteurs de la santé se trouvaient en fait, dans le projet de Règlement sur les mécanismes de prévention et de participation, au niveau de risque « élevé » (4), classement que le gouvernement veut contourner avec le PL101. En effet, par exemple, l’Enquête québécoise sur la santé de la population 2020-2021 [1] montre que les femmes du secteur de l’enseignement ou du milieu de la santé sont plus nombreuses en proportion à faire face à une charge detravail importante et à se sentir peu reconnues au travail, une combinaison associée à des problèmes de santé psychique comme physique, en plus de l’exposition grandissante à la violence.

Enfin, toute une séance plénière a été consacrée à l’action collective et à la mobilisation, dans une approche inspirée de Labor Notes, appliquée à la santé et la sécurité du travail. Si la santé ne doit pas se marchander (contre du salaire ou des emplois, par exemple), les gains passent certainement par la proximité avec les collègues et la construction d’un rapport de force collectif, parfois lors de la négociation collective (comme l’ont fait les employés des hôtels pour réduire le nombre de chambres à nettoyer par jour). Des ateliers ont d’ailleurs fourni des exemples de telles mobilisations, dans les secteurs public et privé. Comme cela a été dit au Sommet, la santé et la sécurité sont une aspiration démocratique fondamentale, et à ce titre, un vecteur de mobilisation essentiel mais encore sous-estimé. Espérons que le Sommet contribuera à lui donner l’élan unitaire si nécessaire et à faire reconnaître le rôle central que pourrait jouer l’aspiration à un travail qui ne tue pas, ne blesse pas et ne rend pas malade, à la revitalisation du syndicalisme et de l’action collective autonome des travailleur.euse.s.

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