Édition du 29 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Les États généraux du syndicalisme : Entrevue avec Éric Gringras, président de la CSQ

Après avoir connu deux décennies de vaches maigres, le mouvement syndical québécois semble reprendre de la vigueur, depuis la pandémie. La victoire du Front commun de 2023, qui a réussi à obtenir une convention collective décente, est probablement le meilleur exemple de ce retour en force.
Dans la foulée de ce grand mouvement, plusieurs mobilisations à plus petite échelle ont aussi portées fruit, avec des ententes de principe avantageuses adoptées aumunicipal, au provincial, ainsi que dans le secteur privé, surtout dans les domaines de la construction et de l’hôtellerie.
Mais des nuages s’accumulent à l’horizon. Plusieurs membres de la fonction publique et parapublique demeurent sans contrat de travail.
Et si la CAQ est légèrement moins pingre que Parti libéral de Philippe Couillard, qui n’aurait jamais accepté la hausse salariale de 17,4% obtenue par le Front commun, son antisyndicalisme primaire s’exprime avec encore plus d’agressivité.
Alors que son prédécesseur, connu pour sa froideur comptable, agissait avec plus de retenue, François Legault affiche ouvertement son arrogance de gros boss d’entreprise et tente de supprimer toutes les instances démocratiques au sein de l’État. C’est ainsi qu’il a aboli les commissions scolaires (loi 40), saboté la CNESST (loi 59) et accéléré la centralisation en santé, ainsi qu’en éducation (lois 15/23). Son ministre du Travail cherche maintenant à limiter le droit de grève avec le projet de loi 89.
Face à cette attitude altière du gouvernement, les syndicats proposent un exercice axé sur le dialogue et la coopération, pour continuer d’alimenter l’élan positif amorcé depuis quelques années dans le monde du travail. C’est ainsi qu’ont débuté les états généraux sur le syndicalisme, auxquels toutes les grandes organisations sont conviées. Je m’entretiens avec Éric Gingras, président de la CSQ, sur sa participation à cet évènement historique.
Côté politique, la montée de l’extrême droite était beaucoup moins prononcée, il y a à peine dix ans, il faut le prendre en compte. On a senti un vent de positivisme par rapport à nos actions pendant le Front commun, mais il risque d’y avoir une réaction politique hostile.

23 avril 2025 | tiré de la lettre de l’Aut’journal

Pour retrouver les documents des États généraux du syndicalisme : https://syndicalisme.com

Orian Dorais : En commençant, Éric, est-ce que c’est la CSQ qui a convoqué ces états généraux ?

Éric Gingras  : L’organisation d’états généraux est une tradition bien ancrée dans l’histoire des quatre grandes centrales, depuis maints congrès. Cette fois-ci, il faut donner à César ce qui est à César et souligner que la FTQ a amorcé l’exercice.

Mais dans le passé, nous avons parfois pris cette initiative, la CSN aussi, tout dépendant des éditions. Maintenant que le processus est entamé, toutes les organisations sont très actives pour favoriser le bon déroulement des activités, qui vont s’étaler sur un an et demi.

O. D. : Et quels sont les objectifs de la CSQ durant tous ces mois de délibérations ?

É. G.  : Les neuf associations syndicales (CSQ, FTQ, CSN, CSD, APTS, FIQ, FAE, SPGQ, SFPQ) qui participent ont les mêmes objectifs et nous nous sommes entendus sur un protocole. On veut arriver avec des propositions tangibles pour renforcer le syndicalisme, pas juste avec des grandes déclarations de principes.

Tout va être sur la table : notre rapport aux membres, aux gouvernements, à la société civile, notre approche des communications, notre culture organisationnelle, les relations de travail et notre vision de la démocratie syndicale. J’ai pas besoin de vous dire que le monde du travail change à grande vitesse, avec les nouvelles technologies et le numérique, qui prend toujours plus de place.

O. D. : À ce propos, est-ce que vous allez aborder le projet de loi 89 pendant les états généraux ?

É. G.  : C’est certain. La CSQ, la FTQ et la CSN se sont coordonnées pour déposer des mémoires sur le PL89, en commission parlementaire. Tous arrivaient à la même conclusion : le texte proposé n’est pas nécessaire et risque fortement d’être déclaré inconstitutionnel, car il est contraire à l’arrêt Saskatchewan de la Cour suprême du Canada, qui protège le droit de grève au pays.

Le ministre Boulet veut se donner les pouvoirs d’encadrer ce droit, en s’arrogeant l’autorité de mettre fin aux conflits de travail qui menaceraient les « services minimums » à la population.

Nous avons consulté des spécialistes ressources humaines, des experts en relations industrielles qui enseignent à l’université, et ils s’accordent pour dire que le projet de loi ratisse beaucoup trop large. Sa définition des services nécessaires est à ce point vague que le gouvernement peut, au final, intervenir dans une majorité des négos.

On reconnait qu’il faut protéger les services essentiels, mais ces derniers sont définis par l’Organisation mondiale du Travail. Est-ce que Jean Boulet en connait plus que l’ONU ? Il semble le croire, car il veut redéfinir et élargir les critères de ce qui compte comme un service essentiel.

Le gouvernement prétend que sa loi va passer le test des tribunaux, parce qu’il se base sur l’article 107 du code du travail fédéral, celui qui a permis de forcer un retour au travail à Postes Canada. Sauf que cet article de loi est aussi attaqué en justice et les experts pensent qu’il va tomber ! La loi 89 va le suivre de près et la CAQ ne peut pas l’ignorer.

La CSQ ne proposera pas d’amendements à une législation que nous jugeons illégitime, nous demandons au ministre de la retirer. Nous craignons qu’elle soit adoptée unilatéralement par le gouvernement, sans dialogue social. Le cas échéant, nous allons l’attaquer immédiatement, mais, pendant des années de procédures judiciaires, les syndicats ne pourront plus lutter à armes égales. On y voit un peu la vengeance de la CAQ sur le secteur public, après les succès du Front commun.

O. D. : Malgré ces vents contraires, est-ce que vous abordez les états généraux avec confiance ?

É. G.  : Oui, quand même. On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, avec la CAQ au provincial, ni ce qui nous attendrait avec un Pierre Poilièvre au fédéral, ou même avec Mark Carney, dont on ne connaissait que le nom au déclenchement des élections.

Plus que jamais, il faut se reposer sur la solidarité intersyndicale, qui est très forte. Ça fait 25 ans que je m’implique dans différentes instances, dont quatre ans comme président de la CSQ, et je peux dire que le lien fort qui unit nos différentes associations fait chaud au cœur. On continue la lutte.

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