Stefan Liebich
Je voudrais vous présenter Bhaskar Sunkara. Il est bien sûr le fondateur du magazine Jacobin, mais aussi le président de l’hebdomadaire The Nation. Nous sommes très heureux de vous accueillir et nous vous remercions de votre coopération. Je m’appelle Stefan Liebich. Je suis le directeur du Rosa Luxemburg Stiftung, et j’ai été membre du Parlement allemand de 2009 à 2021.
Je vais immédiatement changer de rôle, n’étant pas l’animateur mais l’un des panélistes. Rosa Luxemburg Stiftung est l’une des six fondations allemandes financées par les contribuables et associées à des partis politiques allemands. En Allemagne, la loi prévoit que chaque parti politique élu pour trois mandats consécutifs au Bundestag, le parlement allemand, reçoit des fonds gouvernementaux dédiés à l’éducation politique. Notre fondation est liée à Die Linke, le Parti de gauche..
Je vous remercie donc pour cette journée. À présent, je passe la parole à Bhaskar, et j’espère que nous en ferons une utilisation intéressante.
Bhaskar Sunkara
Je pense qu’il serait utile de commencer par un petit historique. Je suppose que si vous vous rendez à un événement juste après le travail à 18 heures, vous êtes probablement familiers avec la politique allemande ou avec le sujet dont nous traitons. Je vais donc partir du principe que vous avez un bon niveau de connaissances. Mais, pour commencer, je pense qu’il serait utile que vous dressiez rapidement le paysage de la politique allemande, afin que nous sachions quels sont les cinq partis qui sont entrés au Parlement et où ils se situent sur l’échiquier politique.
Stefan Liebich
Bien sûr. Je vais passer en revue les résultats des élections. Les élections de dimanche dernier ont été remportées par la CDU. Il s’agit de l’Union chrétienne-démocrate et de son parti frère bavarois, la CSU. Je dirais qu’il s’agit d’un parti de centre droit. Certains diraient conservateur. Il a obtenu son deuxième plus mauvais résultat dans l’histoire de l’Allemagne, mais il a remporté les élections avec 28 % des voix. Il a malheureusement été suivi par ce que l’on appelle Alternative pour l’Allemagne (AfD). Il s’agit d’un parti de droite, voire d’extrême droite, que l’on peut même qualifier de fasciste en Allemagne. Malheureusement, ce parti a doublé le nombre de ses voix et est arrivé en deuxième position avec 20 % des voix. Le troisième est un parti qui a actuellement la chancellerie, le parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), qui est le plus ancien parti d’Allemagne. Il n’a obtenu que 16 % des voix, ce qui est le pire résultat de son histoire. Vient ensuite le Parti des Verts avec 11 % des voix, ce qui représente également une perte, moins importante que celle subie par les sociaux-démocrates, mais suffisante pour que leur principal candidat décide de se retirer et de ne plus participer à la vie politique.
Mais la grande surprise était la performance de Die Linke, qui a obtenu 8,8 %, un résultat auquel personne ne s’attendait vraiment. Je parlerai du parti plus tard. Ensuite, c’est vraiment pour les accros de la politique. Il y a une personne élue au sein du SSW (Südschleswigscher Wählerverband). Nous avons une loi supplémentaire pour la minorité danoise. Elle n’a pas l’obligation d’atteindre le seuil de 5 % exigé par le scrutin proportionnel mixte, c’est pourquoi elle a obtenu un siège pour être représentée au parlement. Ce sont tous les partis qui siègent actuellement au parlement. Le Parti démocrate libre (FDP), favorable aux entreprises, a été exclu du parlement. Il faisait partie du dernier gouvernement. Ils avaient le ministre des Finances de l’Allemagne, ils ont été écartés. Ensuite, il y a eu un projet de vanité en guise de BSW (Partei Bündnis Sahra Wagenknecht), dont nous n’avons pas besoin de parler. Nous pourrons y revenir si cela vous intéresse.
L’histoire du parti, Die Linke, Le Parti de la gauche, commence en RDA. Le Parti communiste de la RDA, ou Parti de l’unité socialiste, s’est transformé en Parti du socialisme démocratique. Au cours de cette transformation, ce parti a perdu 90 % de ses membres et est devenu un parti totalement différent, passant de 2 millions de membres à 100 000. Le PDS était très fort à l’est et très faible à l’ouest. Il a obtenu environ 5 % aux élections fédérales, mais il a sombré dans la crise. Il y a eu un moment où un groupe né de la scission du parti social-démocrate, mené par son ancien président, Oskar Lafontaine, et par le PDS, a initié une fusion. En 2009 Die Linke a été fondé. Ce parti s’est présenté pour la première fois en 2005 au Bundestag allemand. Nous avons obtenu 8 %, puis même 12 %, puis 8 %, puis 9 %, et lors de la dernière élection, terrible défaite, même pas 5 %. Il y a quelques semaines, si vous m’aviez posé la question, je n’étais pas sûr que Die Linke reviendrait au Bundestag allemand. Nous sommes maintenant revenus à 8 %. 8 %, c’est vraiment formidable.
Bhaskar Sunkara
Il y a quelques semaines, la plupart de mes discussions avec mes amis allemands portaient sur la question de savoir si Die Linke serait en mesure d’obtenir trois ou quatre députés lors de la prochaine élection. Mais il y a un retournement de situation assez stupéfiant dans les sondages. Tout est relatif, encore une fois. Nous sommes de gauche, socialistes. Pour nous, 9 % en 2025, avec les forces montantes de l’extrême droite, ce serait un peu notre version du soviet de Petrograd ou quelque chose comme ça. Mais nous devons tous remettre les choses dans leur contexte. Les résultats sont passés d’environ 3 % à environ 9 %. Je me demandais si vous pouviez nous parler un peu de la campagne qui a été menée. Selon vous, quels sont les messages qui ont trouvé un écho auprès des électeurs ordinaires qui ont décidé de soutenir Die Linke, même s’ils auraient pu envisager de voter pour ce parti dans le passé ?
Sofia Leonidakis [deputé de die Linke à Bremen]
Personne ne s’y attendait, même un mois avant. Nous figurions dans de nombreux sondages autour de 3 %. Nous n’apparaissions même pas comme un parti connu. Nous étions mélangés à d’autres partis. Nous n’étions plus visibles dans le paysage politique. On peut dire que nous n’étions plus une force politique. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’entre elles est que nous nous sommes battus entre nous à l’intérieur de la gauche pendant des années. Un membre de notre parti, Sarah Wagenknecht, a quitté le parti avant l’année dernière. Elle a fait cela il y a un an et demi. Pendant longtemps, elle a affaiblit Die Linke de l’intérieur parce que nous nous battions constamment. Elle s’est toujours opposée aux positions démocratiquement décidées et a su s’imposer en s’opposant à nous. Elle a fait beaucoup de mal à notre parti, mais c’est maintenant du passé et nous pouvons aller de l’avant.
Il y a donc beaucoup d’autres éléments, comme le travail sur les médias sociaux qui a été intensifié, dix fois plus qu’avant. Il a fait l’objet d’un investissement important. Mais je pense que l’élément essentiel est que nous avons travaillé ensemble, nous ne nous sommes pas battus publiquement. Nous ne nous sommes pas opposés les uns aux autres, mais nous avons parlé d’une seule voix. Puis, le gouvernement s’est effondré, et nous avons dû mener une campagne électorale en l’espace d’un mois. Mais auparavant, elle avait été préparée avec une nouvelle stratégie qui consistait à diffuser des messages simples. La base était là, sur la base d’une autre culture politique au sein du parti lui-même, entre nous, et aussi sur une base stratégique. Ces deux bases existaient déjà. Nous avons donc pu mener cette campagne électorale. Dans le cadre de cette campagne, différents éléments ont été mis en place pour aller à la rencontre des électeurs. Nous avons frappé à plus de 600 000 portes en Allemagne, ce qui est énorme. Le message était le suivant : nous ne sommes pas des faiseurs de promesses, mais nous avons une réponse claire aux questions sociales, à la sécurité sociale et à une plus grande justice sociale.
Et nous avons écouté les problèmes des gens. C’est la raison pour laquelle aller à la rencontre des gens était un élément très important de notre campagne électorale.
Bhaskar Sunkara
Je pense donc qu’il serait bon d’évoquer le spectre de la perte du soutien historique de la classe ouvrière aux partis de gauche en Allemagne. À bien des égards, l’Allemagne a été le berceau du premier véritable parti de masse des travailleurs. Le SPD était le parti le plus important de la Deuxième Internationale et le parti le plus important du mouvement ouvrier européen au 19e siècle. C’est le parti qui a créé la démocratie moderne en Europe, en dehors de la Grande-Bretagne. Il a contribué à créer le modèle qui a permis d’instaurer le suffrage universel en Europe et de créer toutes ces autres voies pour diverses formes de gains de la classe ouvrière. Lorsque nous parlons de la perte de certains bastions de la social-démocratie européenne, nous parlons de quelque chose d’encore plus significatif que le Parti démocrate perdant des endroits qui ont voté bleu pendant 30 ou 40 ans, ce qui, bien sûr, est également significatif, mais des endroits qui ont voté selon des lignes de classe pendant 140 ans. Je pense donc que ce à quoi je veux en venir, c’est si vous pouviez discuter de manière générale de ce qui arrive en particulier au SPD et à Die Linke. En ce qui concerne ce dernier, je suppose que la perte des électeurs traditionnels de Die Linke dans l’Est fut compensé —et dites-moi si j’interprète mal la démographie du parti— par des électeurs issus de la classe ouvrière et de l’immigration dans certaines villes d’Allemagne, mais aussi par des étudiants, des jeunes travailleurs, des transfuges de partis comme les Verts. On assiste donc à un déplacement de la base de l’Est vers l’Ouest. Dans le cas du SPD, il s’agit moins d’un changement de coalition que d’une perte sèche pour ces travailleurs.
Je critique également le BSW, mais je pense que pour offrir une interprétation de bonne foi de la tentative initiale, il s’agissait de dire : « Nous perdons radicalement toute une couche de la classe ouvrière à l’Est, et nous devons répondre à leurs préoccupations ». Die Linke a essayé de rejoindre les travailleurs sur des questions comme les loyers et l’État-providence, tout en restant fidèle à ses principes sur l’immigration. Le BSW a peut-être eu moins de confiance dans la capacité des Allemands ordinaires à voter sur ces questions économiques sans faire le jeu de certains éléments sociaux conservateurs. C’est donc une grande question. Mais je me demande si nous pourrions discuter davantage du SPD, puis du lien et de l’évolution de la composition de ces partis.
Stefan Liebich
Oui, et ces deux histoires, Die Linke et le SPD, sont liées. Parfois, les gens se souviennent avec un peu de nostalgie de l’époque où le SPD était un parti de travailleurs. Cependant, il faut tenir compte d’un certain type de représentation des travailleurs. En Allemagne de l’Ouest, le taux d’emploi des femmes était très faible. Ce n’est pas un modèle que nous recherchons actuellement. Le modèle ouest-allemand était également basé sur ce qu’ils appelaient, et c’est vraiment désagréable, les travailleurs invités (Gastarbeiter). L’Allemagne invitait des gens de Turquie, d’Italie, de Grèce et d’autres pays de venir travailler en Allemagne avec l’idée folle qu’ils viendraient travailler et rentreraient ensuite chez eux. Lorsqu’ils ne rentraient pas et qu’ils avaient des familles, ce n’était pas du tout ce que voulaient certaines personnes en Allemagne. Ce modèle, l’ancien modèle ouest-allemand, n’est en fait pas un modèle auquel je souhaite revenir. Mais c’était aussi un état d’esprit que nous avions dans notre parti avec ces gens qui sont maintenant dans le SPD parce qu’ils avaient une certaine nostalgie. Ce qu’ils ont réalisé est que lorsque Tony Blair a commencé avec son « New Labour », Gerhard Schröder, qui était le chancelier social-démocrate, essayait de l’imiter, et il intimait ‘Nous ne sommes plus du tout pour les travailleurs’. C’est un peu comme les démocrates ici. On réclame les services publics et ils nous laissent tomber. Ce processus a été très difficile. Ils ont supprimé de nombreux programmes très importants pour soutenir les chômeurs, etc. Le parti social-démocrate a suscité une énorme déception. De cette déception est née la scission qui a donné naissance, avec le PDS, au nouveau parti Die Linke. Le parti social-démocrate n’a cessé de s’effondrer. Le problème, réside dans notre système de coalition. Les Américains aiment parfois notre système de vote proportionnel. Je comprends pourquoi, parce qu’on peut voter pour une certaine orientation politique sans aimer toute la tendance. Le problème, c’est qu’après les élections, les partis doivent former des coalitions. La déception s’est prolongée parce que le parti social-démocrate a dû former des coalitions, soit avec la CDU, soit, dans ce cas, avec le FDP, et aussi parce qu’il existe une tendance conservatrice au sein même du SPD. Je pense que l’issue de cette élection est le sentiment qui se propage parmi les travailleurs et les personnes moins riches que ce parti ne les représente plus. C’est là le problème du SPD.
Si nous parlons de Die Linke, il y a également une mécompréhension. J’entends parfois des gens dire que Die Linke doit revenir à l’époque où il était un parti ouvrier. Pour être honnête, le PDS, le Parti du socialisme démocratique, n’a jamais été un parti ouvrier. Il a fait de la politique pour les travailleurs. Il a réalisé de bonnes avancées pour les travailleurs. Mais la plupart de leurs membres et électeurs étaient des personnes déçues par la manière dont la réunification s’est déroulée. Il s’agit de personnes qui travaillaient pour le gouvernement de la DDR (République démocratique allemande). Les travailleurs des trois premières élections ont voté pour la CDU parce qu’ils voulaient la réunification. Il n’y a eu qu’un seul moment, juste après la fusion entre le PDS et une fraction pro-travailleur qui a quitté le parti social-démocrate, où nous avons bénéficié d’un soutien important de la part des syndicats et des travailleurs. Mais ce fut un court moment de notre histoire. Ensuite, vous avez raison, un problème qui existe parmi les partis de gauche dans le monde entier — ou un défi, je ne veux pas le décrire comme un problème — est de savoir sur quoi se concentrer.
Bien sûr, nous sommes en faveur du féminisme. Nous voulons appuyer les migrants. Nous luttons pour la paix dans le monde, etc. Mais la question est de savoir comment rejoindre une majorité de la population allemande pour avoir la force de faire tout cela. Je pense que c’était une stratégie intelligente dans cette élection, comme Sophia l’a mentionné, de mettre l’accent sur deux messages : les prix élevés du logement et des denrées alimentaires. Nous en avons parlé sans cesse. C’est un message qui résonne. La différence avec le BSW, c’est qu’il a, en même temps, livré en pâture les minorités et les personnes défavorisées de la société. Ce n’était pas juste qu’ils ciblaient surtout les travailleurs blancs. Au même moment, ils se sont officiellement opposés aux migrants. Ils ont voté avec l’aile droite, avec les fascistes et avec le Bundesrat allemand. Ils se sont battus contre les personnes LGBTQ+ en Allemagne. Je pense que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles ils ont perdu. Je pense que notre idée, à savoir de ne pas abandonner les minorités et les personnes défavorisées, et de se battre pour elles, mais de se concentrer, lors d’une campagne électorale, sur des questions économiques telles que les prix élevés, était la bonne.
Bhaskar Sunkara
Je pense donc que cela vaut la peine de parler de ce que c’est que d’être au gouvernement et de faire partie d’une force qui construit sa crédibilité au niveau national parmi les travailleurs ordinaires, sur la base d’une force d’opposition. Historiquement, du moins depuis ma première rencontre avec la gauche allemande il y a environ 10 ou 15 ans, il semble qu’il y ait toujours eu un clivage très fort entre—et encore une fois, il s’agit d’une généralisation grossière—les personnes qui sont plus orientées vers l’électoralisme et la recherche de crédibilité, en particulier après l’expérience du PDS au pouvoir, en cherchant à obtenir des gouvernements d’État en particulier à l’Est, et les militants qui se concentrent davantage sur l’extraparlementaire, il y a toujours eu cette tension. Je pense que nous avons été déçus par les différents gouvernements de coalition qui ont été formés avec Die Linke dans le passé. Sa participation très précoce à un gouvernement dans l’Est est l’une des raisons pour lesquelles le BSW n’a pas atteint son seuil. Je vous demande donc, en tant que personne ayant participé à la tâche complexe d’essayer de gérer un gouvernement existant dans un état capitaliste dans l’intérêt des travailleur.e.s, comment vous gérez certains des compromis que vous devez faire en tant que coalition en maintenant ce profil d’opposition et en vous affichant comme un parti différent du SPD et différent de beaucoup de ces partis de l’establishment dont les gens sont de plus en plus désenchantés.
Sofia Leonidakis
Je vais répondre à votre question, mais permettez-moi d’abord d’ajouter deux points à la discussion précédente, car nous ne les avons pas mentionnés. Une autre raison de notre succès est que nous avions un excellent personnel. Ils sont célèbres. Ils ont des millions de « likes » sur les réseaux sociaux, donc les gens les connaissent. Lorsqu’ils organisent un événement, les gens font même la queue pour leur parler. Ils font des centaines de kilomètres et quittent leur travail pour venir nous voir. Aujourd’hui, ils sont vraiment célèbres parce qu’ils ont fait ce travail sur les réseaux sociaux et qu’ils ont pris en charge le travail des médias. C’est la première raison. La deuxième raison, que je voudrais ajouter car nous ne l’avons pas mentionnée, c’est qu’il y a eu, au Bundestag, deux semaines avant les élections, un débat organisé par le parti conservateur sur un projet de loi, et ils ont obtenu une majorité avec l’AfD d’extrême droite. Ils le savaient avant le débat, car ils n’obtiendraient une majorité que s’ils acceptaient les votes de l’AfD.
C’était donc la première fois qu’au Bundestag, un projet de loi était voté avec la majorité de l’extrême droite fasciste de l’AfD. C’était peut-être le moment crucial de la période préélectorale, car c’est à ce moment que Heidi Reichinnek, la chef de Die Linke au Bundestag, a prononcé un discours où elle s’en est pris de manière très virulente à Friedrich Merz, le chef des conservateurs. Cette colère a vraiment touché les gens, car ils étaient des millions dans les rues. Un groupe de recherche médiatique a publié que l’AFD prévoyait d’enfoncer et de briser la Constitution de l’Allemagne tout en planifiant l’expulsion de millions de personnes ayant un héritage étranger, comme les migrants. Il s’agissait donc, une fois de plus, de mobiliser des milliers de personnes dans les rues pour dénoncer cette coalition malsaine des conservateurs et de l’AFD fasciste. Nous étions au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne, avec un discours qui rejoignait les gens.
Pour répondre à votre question, à Bremen nous avons deux ministères, le ministère de l’Économie et le ministère des Droits des femmes et de la Santé. Je pense que nous avons fait du très bon travail. Pendant la pandémie de COVID-19, nous avons été l’État fédéral avec le meilleur taux de vaccination, car nous avons mené une politique d’aide axée sur le social. Notre ministre de la Santé a envoyé des autobus afin de vacciner les gens dans les zones pauvres, pour vacciner tout le monde, parce que les études de santé publique montrent que plus les gens sont pauvres, moins ils ont accès aux soins de santé. Il s’agissait là d’une politique sociale de santé exemplaire, et elle a été couronnée de succès. Et je pense que c’est l’une de nos recettes pour faire de la politique sociale ou de la politique de gauche au niveau fédéral. Je pense qu’il est clair que nous ne gouvernons pas uniquement pour gouverner, mais que nous gouvernons pour améliorer la vie des citoyen.ne.s. Tant que nous y parviendrons, nous continuerons. Si nous ne pouvons pas continuer avec les sociaux-démocrates et les Verts, nous quitterons la coalition gouvernementale de Bremen.
Jusqu’à présent, nous continuons. Nous nous préoccupons aussi du logement. Nous faisons également beaucoup de choses en matière de politique de santé et d’égalité des droits pour tous les genres. Et je pense que le parti en général reconnaît que nous pouvons réaliser des choses pour améliorer la vie des gens. Je pense que le parti de gauche ne devrait pas toujours s’attarder sur ce qui nous divise. Devons-nous gouverner ou ne pas gouverner ? Quelle est la bonne voie ? Ce qu’il faut nous demander est comment nous pouvons être utiles pour la population. Par exemple le parti a développé une application permettant de vérifier si les loyers étaient trop élevés conformément à la loi. De nombreuses personnes ont constaté qu’elles payaient un loyer trop élevé et ont récupéré des milliers d’euros. Cette politique était donc véritablement utile dans l’opposition. En ce qui nous concerne, nous faisons également des choses très utiles quant aux transports publics, entres autres. Il faut voir de quelle manière on pourrait être plus utile. Si vous gouvernez simplement pour gouverner, sans rien accomplir, alors ne le faites pas. Cela ne peut que vous nuire, car vous perdez alors votre crédibilité. Et pour un parti, la crédibilité est la chose la plus importante.
Bhaskar Sunkara
Pendant longtemps, l’Allemagne a conservé une grande partie de sa base manufacturière. À une époque où les États-Unis perdaient beaucoup d’emplois dans les années 90, principalement à cause de l’automatisation, mais aussi un peu à cause de l’ALENA, en Allemagne, il y a eu une véritable tentative concertée de créer un système qui, en gros, supprimait les salaires, mais permettait de maintenir l’emploi dans l’industrie manufacturière, de maintenir la position de l’Allemagne en tant qu’exportateur en Europe et au-delà. Il semble que ce modèle ait soudainement été détruit au cours des dernières années. Il est évident que l’augmentation des prix de l’énergie et d’autres facteurs qui expliquent ce manque de compétitivité. Mais je me demande quel est l’effet de cette situation ? Pensez-vous que la montée de la droite et la chute du SPD sont dues à des problèmes culturels plus larges ? Pensez-vous que c’est directement lié à ces changements ?
Stefan Liebich
Je pense qu’il s’agit des deux. Vous avez mentionné le modèle du passé. L’économie allemande était basée sur l’énergie bon marché en provenance de Russie, sur la défense payée par les habitants du pays, puis sur l’exportation de toutes nos belles voitures dans le monde entier, tout en essayant de consolider ce modèle. Le pire, c’est lorsque la crise financière a frappé le pays de plein fouet. En Europe, de nombreux pays du sud ont été frappés de plein fouet. L’Allemagne a consolidé son système de manière très brutale, et le sud de l’Europe a été laissé pour compte. C’est aussi une grande perte pour l’Europe. Aujourd’hui, en Allemagne l’économie ne croît plus. Nous avons également des différences entre les régions. Il y a la différence évidente entre l’Est et l’Ouest, mais c’est plus complexe que ça. Tout d’abord, pour expliquer l’Est et l’Ouest, si vous regardez une carte électorale en ce moment, vous verrez que les frontières de l’ancienne RDA sont toutes bleues. Il y a quelques points rouges, mais c’est surtout du bleu, ce qui signifie en Allemagne un appui pour l’AfD, le parti de l’extrême droite.
Il faut bien comprendre que dans notre système proportionnel, cela ne veut pas dire qu’une majorité a voté pour eux. Cela signifie que l’AFD est arrivée en tête avec environ 30 %. Ainsi, même en Allemagne de l’Est, deux tiers des citoyens n’ont pas voté pour l’AfD. Mais c’est tout de même un résultat très élevé. On constate également que l’Allemagne de l’Est est à la traîne quant aux salaires, à l’emploi et à la richesse. Je n’offre pas cela comme une excuse. Je n’excuse personne d’avoir voté pour un parti fasciste, mais nous devons garder cela à l’esprit. J’ai dit qu’il ne s’agissait pas d’un tableau complet, car il y a actuellement d’autres régions en Allemagne de l’Ouest, comme Bremerhaven ou la Sarre en Allemagne de l’Ouest, qui ne se portent pas très bien non plus. D’autre part, il y a des régions en Allemagne de l’Est, comme Leipzig, Halle et Rostock, pour ne citer que celles là, où la situation est plutôt bonne. Néanmoins, l’image générale que vous avez est celle d’un AfD fort là où les gens sont économiquement moins bien nantis. C’est un problème dont nous devons discuter, et c’est aussi un sujet qui fait l’objet de vives controverses entre nous.
S’il y a des gens qui sont déçus par la situation économique, nous pouvons peut-être leur expliquer que son problème n’est pas les immigrants mais les milliardaires, pour l’exprimer dans un style très populiste. C’est ainsi que nous essayons de gérer la situation actuelle. Je dois mentionner une chose qui est particulière à l’Allemagne qui est le frein à l’endettement. Lorsque j’étais membre du Parlement d’État de Berlin, cela m’embêtait qu’on a pris la décision en 2009 que l’État allemand ainsi que les États fédéraux ne seraient plus autorisés à s’endetter autant qu’ils le souhaitent parce que la Constitution a été modifiée pour l’empêcher. Au début, cela ne posait pas de problème. Bien sûr, nous avions une économie forte et tout allait bien. Mais la guerre en Ukraine et la crise COVID-19 sont arrivées. Nous avons donc fait des exceptions pour faire face à la pandémie. Puis avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a eu une autre exception. Mais aujourd’hui, ils ne peuvent plus investir. Les États-Unis ont investi, mais ils ont bénéficié de nombreux investissements de la part de l’État, avec l’argent des contribuables. L’Allemagne n’a pas été autorisée à le faire, ce qui a constitué un problème qui n’était vraiment pas nécessaire.
Bhaskar Sunkara
Mais je pense que ça vaut la peine de parler davantage de la base de l’AfD. Qui sont ces gens ? Quel est le programme de leurs dirigeants ? Et comment expliquer leur politique en ce qui concerne leur base de masse ? En d’autres termes, utilisons-nous le terme « fasciste » principalement pour décrire la montée remarquable d’un parti d’extrême droite en Allemagne, ou pensons-nous réellement qu’ils ont un programme fasciste plutôt qu’un programme populiste de droite, dans la mesure où nous pouvons faire ces distinctions ? Je commencerai par Sophia.
Sofia Leonidakis
Le caractère de l’AfD a changé au fil des ans. Elle a été fondée en tant que parti contre le projet de l’union européenne et contre l’euro en tant que monnaie, puis elle s’est rapidement tournée vers la droite et est devenue un parti anti-immigrant. Comme j’ai mentionné, sa position anti-immigrant et ses positions racistes sont également contre la Constitution de l’Allemagne à plusieurs égards. Ils ont même inscrit dans leur programme électoral le terme « remigration », qui est un code pour la déportation de millions de personnes. C’était la première fois qu’il figurait dans le programme électoral, mais l’AfD avait déjà déposé au Bundestag des projets de loi concernant la remigration. Ils se sont alors tournés vers l’extrême droite. Björn Möcke, le leader de l’AfD à Thuringe est même qualifiable de fasciste, car ses positions sont clairement antisémites et racistes.
Leur objectif est de procéder à un nettoyage ethnique de l’Allemagne en déportant les personnes ayant des ancêtres étrangers. Même s’ils ont un passeport allemand, ils ne sont pas reconnus comme de vrais Allemands. Il s’agit des éléments fascistes de l’AFD lesquels comptent environ 10 000 personnes, ce qui n’est pas négligeable. Ils dominent l’orientation du programme ainsi que les décisions prises au sein de l’AfD. La co-chef du parti, Alice Weidel, vit en Suisse, était candidate au poste de chancelier. Elle a utilisé le terme « remigration » dans ses discours et elle écrit sur cette thématique. C’est leur stratégie. C’est le racisme stratégique. L’AfD est également le centre organisationnel de l’extrême droite allemande. Il entretient de nombreux liens avec les think-tanks de l’extrême droite, avec les bailleurs de fonds de l’extrême droite et avec le mouvement identitaire qui est comme un mouvement fasciste sur le terrain. Il s’agit d’un mouvement de jeunesse fasciste qui a des liens étroits avec l’extrême droite en Autriche et aux États-Unis. Ils sont donc très bien connectés.
L’AfD est maintenant le parti des travailleurs dans le sens que c’est le parti qui gagne la part majeure des votes des travailleurs. Ensuite, c’est Die Linke. L’AfD reçoit aussi la plus grande part des votes parmi les syndiqués. C’est là que réside le vrai problème. On comprend que les membres de la classe ouvrière votent pour l’AFD pour des raisons sociales. Une enquête réalisée quelques semaines avant les élections a montré qu’une augmentation des loyers d’un euro entraînait une hausse de 4 % de votes pour l’AfD. L’injustice sociale et les questions de sécurité sociale expliquent donc le soutien de l’AfD, mais ce n’est pas la seule raison. Les sondages que j’ai fait pendant de nombreuses années affirment qu’il existe en Allemagne un public réceptif aux idées fascistes, racistes, antiféministes et au darwinisme social. L’AfD lui offre maintenant une voix.
Stefan Liebich
Oui, et ce qui est vraiment horrible, c’est que les idées économiques de l’AFD vont totalement à l’encontre des intérêts des personnes qui votent pour eux. Ils sont contre la syndicalisation et pour les grandes corporations. C’est tellement triste de voir les gens voter pour un parti qui, rendu au gouvernement, aggraverait encore la situation. C’est vraiment atroce que ce parti ait doublé son pourcentage de vote.
Il faut faire la distinction entre l’AfD et la CDU. Il y a des membres libéraux au sein de la CDU. Cependant, ensemble la CDU-CSU et l’AfD disposent d’une majorité au Bundestag. Ils ne gouvernent pas ensemble parce qu’il y a ce qu’on appelle un ‘pare-feu’ entre les deux partis, et la CDU dit toujours qu’elle ne veut pas former un gouvernement avec l’AfD. Cependant, de plus en plus de membres de la CDU sont prêt à bruler ce pare-feu. C’est un vrai risque. Cela soulève aussi une question très complexe que Bhaskar a un peu abordée : quelle est la bonne stratégie pour un parti socialiste de gauche ? Alors que la CDU serait peut-être ouverte lors des prochaines élections à un gouvernement avec l’AfD, comment pouvons nous les empêcher d’accéder au pouvoir ? La seule autre majorité possible serait une majorité du centre-gauche. Mais la situation actuelle entre le Parti social-démocrate, le Parti vert et Die Linke ne s’aligne pas pour former une coalition à mon avis. Je pense finalement que nous avons eu un peu de chance lors de cette élection, mais nous ne sommes pas à l’abri. Il est possible qu’un gouvernement CDU-AfD se mette en place dans un État de l’est au cours des prochaines années, et ensuite, qui sait ce qui se passera.
Bhaskar Sunkara
Nous avons donc fait une grande erreur stratégique en commençant par l’optimisme. Nous parlons de Die Linke et de la lutte abstraite contre les propriétaires et tout le reste. Puis nous avons fini par parler des succès bien plus importants de la droite allemande.
Questions et réponses
Q : Quelles sont les coalitions les plus probables ? Est-ce qu’elles vont inclure un tiers parti ?
Sofia Leonidakis
Il n’y a en effet qu’une seule possibilité de former une majorité au Bundestag sans l’AfD, et il s’agit d’une coalition du CDU/CSU avec le parti social-démocrate. Ce dernier, qui avait jusqu’à présent la chancellerie, sera désormais le partenaire junior, car le parti conservateur est plus fort que le parti social-démocrate.
Bhaskar Sunkara
Y a-t-il des chances que les Verts acceptent d’entrer dans une coalition ? Je sais que ce n’est pas nécessaire d’un point de vue mathématique, mais est-ce que les dirigeants des Verts accepteraient d’entrer à nouveau au gouvernement ?
Sofia Leonidakis
Les Verts traversent actuellement une crise profonde, car les co-leaders ont démissionné. Ils doivent régler leurs problèmes, à mon avis, et aussi il n’y a pas de majorité possible avec les Verts. Aussi, la CDU-CSU, qui fait partie de l’Union conservatrice, a décidé de ne pas s’associer au parti vert, donc ni les Verts ni le parti conservateur ne souhaitent former une coalition ensemble. Le pays sera donc dirigé par une coalition de sociaux-démocrates et de conservateurs, ces derniers étant devenus plus à droite ces dernières années. La situation sera donc difficile pour le parti social-démocrate. Il sera contraint de devenir plus conservateur. Il a en effet perdu environ 1,7 millions de voix au profit du parti conservateur. Je pense que le gouvernement allemand va se tourner vers la droite.
Q : Ma question porte sur le mouvement syndical en Allemagne, sa réaction sociale, et jusqu’à quel point le mouvement syndical a diminué ou a reculé devant l’assaut du néolibéralisme. Pensez-vous que la réponse réactionnaire des travailleurs syndiqués soit liée à l’effondrement de la syndicalisation, ou y a-t-il un autre processus en cours ?
Stefan Liebich
Je vais parler de la syndicalisation et des blocs d’électeurs. Le système syndical allemand est très différent. Nous sommes organisés par secteurs : Il n’y a pas des syndicats plus à gauche, plus au centre ou plus conservateurs ; il y a des travailleurs de la métallurgie et des services publics. Vous avez raison, le nombre de membres a baissé pendant toute la période néolibérale. Mais nous avons encore des syndicats forts, et les syndicats ont plus de droits qu’ici aux États-Unis. Parfois, ils siègent même dans les conseils d’administration et prennent des décisions. Mais ils sont également intégrés dans l’ensemble du système allemand, ce qui fait qu’ils ne sont pas très politiques. Ils ne font pas de grève politique. Ils n’y sont même pas autorisés, pas plus qu’à faire une grève générale. Ils se préoccupent — et cela n’est pas sans importance — de se battre pour des meilleurs salaires, pour des meilleures conditions de travail et pour une meilleure protection de l’environnement. A l’approche des élections, s’ils sont courageux, ils peuvent déclarer qu’ils ne votent pas pour l’AfD, mais c’est tout. La plupart des dirigeants syndicaux sont des sociaux-démocrates, donc traditionnellement ils sont tous liés au parti social-démocrate, mais évidemment, cela ne signifie pas que le parti social-démocrate est fort. Bien sûr, je suis toujours en faveur du renforcement des syndicats, mais ils ne sont pas la force politique qu’ils pourraient être.
Q : J’ai entendu dire que de nombreux jeunes électeurs avaient voté pour l’AFD.
Sofia Leonidakis
En fait, Die Linke était le premier choix des jeunes. Nous avons obtenu 27 % des voix des jeunes de moins de 27 ans. Je pense que nous devons ce résultat aux réseaux sociaux. Mais l’AfD réussit également grâce à son travail sur les réseaux sociaux. Des enquêtes ont été menées auprès des jeunes, à qui l’on a demandé pourquoi ils votaient pour l’AfD. Ils ont répondu : « Nous voulons un changement rapide. » Les Verts ont également perdu beaucoup de jeunes parce que la question du changement climatique n’était pas un enjeu auprès des jeunes. C’est dommage qu’il n’ait pas été abordé, mais il était écarté par le thème de l’immigration.
Stefan Liebich
Dans l’est, L’AfD était particulièrement fort chez les jeunes hommes. Dans les régions rurales la culture d’extrême droite chez les jeunes était complètement dominante.
Q : Ma question est la suivante : vous avez dit que l’immigration était le sujet dominant dans le discours public. En effet, si l’on regarde les débats politiques pendant les élections ici, chaque débat dure 30 minutes, les 30 premières minutes étant consacrées à l’immigration, à la sécurité nationale, etc. Comment pouvons-nous faire en sorte que l’immigration ne soit plus le sujet principal du discours public ?
Sophia Leonidakis
Comment changer le discours ? C’est une question très importante. En Allemagne dans les derniers mois, il y a eu trois agressions au couteau qui ont été commises par des immigrants qui étaient des islamistes et souffraient aussi de problèmes psychologiques. L’extrême droite et le parti conservateur se sont servis de ces événements pour radicaliser le débat politique et le transformer en un discours général contre les migrants, quoique les victimes de ces agressions étaient eux aussi des immigrants.
La réalité est que plus de 30 % des 20 millions d’Allemands ont des ancêtres immigrants. Notre message est donc de ne pas faire des généralisations et de mettre l’accent sur les individus. Je pense que cela a fonctionné un peu. On a adopté une stratégie de pas trop parler de l’immigration, mais de souligner que les partis conservateurs et d’extrême droite se servent des immigrants comme bouc émissaire, tel qu’ils ont fait le cas des agressions, en blâmant tous les immigrants pour les actions d’une très petite minorité. Beaucoup de gens comprennent que cela n’est pas correct.
Nous avons donc ramené la question à un autre niveau. Mais je pense que c’est nécessaire, en tant que parti de gauche, de participer à ces débats.
Q J’ai écouté la semaine dernière une analyse de votre élection. L’animateur de l’émission parlait de l’Allemagne de l’Est et il disait que certaines personnes parlent de sécession et de la nécessité de diviser à nouveau le pays. J’aimerais savoir s’il y a des discussions en Allemagne sur ce sujet et comment les gens de l’Est pourraient survivre avec l‘écart économique qui existe entre l’Ouest et l’Est. Et aussi le lien avec le vote pour la droite.
Stefan Liebich
Je suis né en Allemagne de l’Est et j’ai grandi en RDA. Il y a un sentiment des deux côtés. Quand les gens sont très en colère, ils disent : « Reconstruisons le mur. Construisons-le deux fois plus haut qu’avant. » Mais je vous le dis, personne, personne, personne ne le ferait en réalité. Même les habitants de la RDA qui se plaignent de la réunification ont de bonnes raisons. Beaucoup de choses vont mal. De l’autre bord, il n’y aurait qu’un très petit nombre d’Allemands de l’Est qui occupent des postes importants, comme ceux d’ambassadeur ou de professeur. Les plaintes sont fondées. Mais si vous leur demandez « voulez-vous vraiment revenir en arrière ? » Vous voulez attendre 10 ans avant d’obtenir votre belle voiture (qui était un drôle de voiture) ou attendre 10 ans pour faire un voyage en la belle Tchécoslovaquie ? À l’époque on ne pouvait même plus aller en Pologne… Je crois que personne ne voudrait remonter dans le temps.
Q : Il me semble que ce que je n’entends pas, c’est une vision stratégique, en particulier d’un point de vue socialiste. Nous devons faire face aux changements climatiques, qui sont réels. Nous sommes également confrontés à une productivité supérieure à nos besoins. Nous pouvons produire plus de choses qu’il n’en faut pour le monde entier dans une petite partie du monde, ce qui signifie que différentes régions sont en concurrence pour être producteurs de biens, comme on voit en Allemagne dans le cas de voitures, par exemple. Il me semble que nous devons commencer à créer une nouvelle vision, avoir une nouvelle conversation, et ne pas nous contenter de fonctionner avec les mêmes vieilles indicateurs de performance et les mêmes idées de comment l’économie devrait être structurée dans l’Ouest.
Sofia Leonidakis
Le secteur automobile allemand connaît une crise en partie parce qu’il a pris du retard dans la transition à l’électrification du transport individuel. C’est pourquoi on leur refuse l’accès au marché. Mais il y a aussi de la surproduction. Et nous, à Die Linke, nous pensons qu’il faudrait réduire la capacité de production et mettre l’accent sur les transports publics plutôt que sur le transport individuel. En même temps, des processus de changement de la production industrielle et de décarbonation de celle-ci sont également en cours. Des changements sont en cours, mais ils sont trop lents. Ce que nous avons fait dans cette campagne électorale, c’est de démontrer une contradiction claire entre les classes. C’était là notre principale distinction politique : être un parti de classe et présenter les milliardaires comme notre adversaire. Le chef de notre parti, quand il s’est présenté lors du discours juste avant son élu, a déclaré : « Je suis jeune et je pense que nous ne devrions pas avoir de milliardaires ». Et nous misé sur des images plus simples à comprendre que la surproduction en mettant l’accent sur le gaspillage économique des milliardaires qui ont des jardins et qui utilisent des avions privés.
Stefan Liebich
En revenant à la question de comment changer le discours et puisque nous voulons terminer sur une note positive, je vais donner un exemple de quelque chose qui a vraiment réussi à changer le discours : la question du logement. Dans la ville de Berlin, dans la capitale de l’Allemagne, Die Linke s’est imposée comme la force politique la plus puissante de la ville, dans les deux parties de Berlin, l’Est et l’Ouest. Je pense que l’une des raisons importantes est qu’à Berlin, notre parti est perçu comme un parti qui se bat pour des loyers plus bas et des prix du logement plus abordables. Ce n’est pas seulement une question de la campagne électorale, c’est une longue histoire. À un moment donné, nous faisions partie du gouvernement à Berlin. La ministre du logement était une femme de notre parti, et elle a instauré un plafond de loyer à l’échelle de la ville et cela a permis aux gens de voir que leurs propriétaires n’étaient plus autorisés à augmenter les loyers à cause de nous. Mais après notre départ du gouvernement l’administration suivante a mis fin à cette mesure et les loyers ont augmenté. Nous avons aussi organisé, en concertation avec un mouvement social, un référendum pour l’expropriation des grandes sociétés de logement. Ce référendum a obtenu la majorité. Mais la nouvelle administration n’a pas répondu aux attentes des citoyens exprimées lors du référendum.
Je pense que l’on peut changer le discours si on parle de sujets qui intéressent une majorité de gens, comme l’immigration, et que l’on peut livrer quelque chose et que les gens croient que vous pouvez leur apporter quelque chose qui a un impact dans leur vie.
Sofia Leonidakis
Si vous me permettez d’ajouter quelque chose. À Brême, nous avons obtenons le meilleur résultat du parti de gauche en Allemagne de l’Ouest, à l’exception de Neukölln. Et au niveau fédéral, nous sommes l’État qui a obtenu le meilleur résultat avec près de 15 %. Nous avons donc été très forts. Nous aussi, nous avons beaucoup insisté sur le logement. Nous avons pris une décision en janvier, un mois avant les élections— et c’était l’initiative de Die Linke à Brême—de fixer des quotas de logements sociaux à 60 % dans les quartiers riches et à un pourcentage plus bas (moins de 60 %) dans les quartiers plus pauvres. Il s’agit d’assurer la mixité sociale de la ville et d’éviter cette division sociale typique des villes allemandes, qui se traduit par une énorme division ethnique et sociale des quartiers. Nous voulons aller à l’encontre de cela. Nous avons présenté un projet de loi en ce sens, qui a été adopté en janvier, et les gens en sont vraiment conscients. Je pense donc que la campagne menée conjointement au niveau national par Die Linke à Brême, en faisant du logement le thème principal, et au niveau fédéral, en soutenant également cette stratégie de mettre l’accent sur les questions de logement, a été vraiment fructueuse et utile.
Andréa Levy et André Frappier
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